Publié le 8 Aug 2020 - 14:49
COMMERCE TRANSFRONTALIERE

A la rencontre d’anciens as de la contrebande du Sabakh 

 

Comme la plupart des zones frontalières, la commune de Médina Sabakh vit de la contrebande. Ici, les habitants se ravitaillent en denrées de première nécessité, à Farafenni, une commune gambienne située à 2 km. Aujourd’hui, avec la chute de la valeur de la monnaie gambienne, qui est le dalasi, et la conjoncture économique qui frappe le pays, la fraude n’est plus ce qu’elle était. Toutefois, ‘’EnQuête’’ est allé à la rencontre d’anciens ‘’champions’’ de la contrebande du Sabakh.

 

Village traditionnel wolof, Médina Sabakh est célèbre grâce au ‘’Ngoyane’’. Située à 2 km de la Gambie, plus particulièrement de Farafenni, cette zone est très connue des douaniers sénégalais, à cause de la contrebande. Ces soldats de l’économie provenaient des différents postes de contrôle des localités environnantes pour guetter les contrebandiers. ‘’Il y avait au minimum deux postes de contrôle à l’entrée du village. Ils venaient presque de tous les postes des communes environnantes. Il s’agit de Guinguinéo, Mbirkilane, Nganda, Keur Mousseu, de Kaolack, etc. Ils venaient passer une semaine à la frontière pour traquer les fraudeurs’’, confie Moussa Dia, un ancien contrebandier.

Aujourd’hui, poursuit notre interlocuteur, ‘’il n’y a plus de grands contrebandiers’’ sur cet axe. Selon Baye Moussa, comme l’appelle affectueusement ses proches, même les douaniers qui viennent dans la zone, actuellement, risquent de ‘’gaspiller’’ leur carburant pour n’attraper que de petits fraudeurs avec 2 ou 3 sacs de sucre au maximum. Alors qu’avant, les charretiers transportaient au minimum dix sacs de sucre, 7 ou 8 sacs de farine, etc. A dos d’âne, de la marchandise était transportée. On pouvait avoir 10 bêtes et chacune transportait au moins 2 sacs de sucre ou de farine. ‘’Ces gens, s’ils se faisaient arrêter, cela faisait l’affaire des douaniers. Or, tel n’est plus le cas maintenant. Vers les années 2000, avec l’arrivée d’Abdoulaye Wade au pouvoir, le gouvernement sénégalais a baissé les prix de beaucoup de denrées de première nécessité. Ce qui a fait que le rythme de la fraude a beaucoup baissé durant cette période. Et même les douaniers ont senti le changement’’, narre-t-il. 

Moussa Dia révèle que quand il s’est installé à Médina Sabakh, la fraude ne marchait pas très bien. Parce que l’économie gambienne n’était pas très développée. Donc, il s’est lancé dans le petit commerce à l’époque, et sa marchandise provenait de Kaolack. ‘’Parce qu’à l’époque, la Gambie ne produisait ni du ciment ni du savon. Elle n’avait même pas certaines marques de cigarettes. Les Gambiens venaient se ravitailler au Sénégal. Lors du marché hebdomadaire communément appelé ‘louma Issa Chérif Sadio’ de Farafenni, les produits sénégalais inondaient le marché. Ce qui facilitait le commerce, c’est que les Gambiens savaient bien prendre soin de leurs hôtes’’, rapporte-t-il.

Selon le vieux Dia, le jour du ‘’louma’’, ils allégeaient les procédures douanières pour que les gens puissent commercer facilement. Ce qui, à l’en croire, était le contraire du Sénégal. ‘’Quand on achetait des produits gambiens, c’était tout un problème pour les écouler au Sénégal, à cause des procédures douanières’’, ajoute-t-il.

100 % de bénéfice obtenu, si la marchandise est écoulée

Trouvé dans la cour de sa concession, chapelet à la main, cet ancien fraudeur fait savoir que progressivement, l’économie gambienne s’est redressée et le pays commençait à importer des tissus appelés ‘’Légos’’ (NDLR : tissus venant du Lagos et qui était une version imitée du wax) qui étaient moins chers. Même si durant cette période, au Sénégal, il y avait aussi la Sotiba qui fabriquait des tissus que Moussa Dia trouvait de bien meilleure ‘’qualité’’ et ‘’plus élégants’’ que ceux de la Gambie. ‘’C’est réellement entre 1980 et 1983 qu’il y a eu une nette différence des prix entre les marchandises des deux pays. On achetait le sac de sucre à Farafenni à 6 000 ou 6 200 F CFA. On le revendait dans les villages sénégalais du département de Nioro, tels que Mabo, à 10 000 ou plus. Le sac de riz de 50 kg était acheté à 4 000 F CFA en Gambie. Si on achetait la tonne, cela nous revenait à moins de 4 000 F CFA. Le même sac était revendu à 7 500 F CFA. Pareil pour la farine. On l’achetait à 4 000 F CFA et on l’écoulait à 8 000 F CFA. C’est pourquoi, pendant cette période, les gens se tuaient pour faire de la contrebande. Le tabac aussi rapportait beaucoup’’, poursuit Baye Moussa.

Ainsi, la fraude était, à l’époque, l’une des activités les ‘’plus rentables’’ dans cette zone. C’est ce qu’a confirmé aussi un autre fraudeur à la ‘’retraite’’. ‘’Elle rapportait beaucoup d’argent. Pour chaque sac de riz transporté, on nous payait 250 F CFA, de même que la bouteille d’huile. Et quand on faisait le point à la fin de la journée, on se retrouvait avec beaucoup d’argent. Mais peu de gens aussi avaient le courage de le faire. Quand les douaniers nous arrêtaient, ils nous faisaient payer de lourdes amendes. Elles allaient de 50 à 100 000 F CFA, et en plus, ils immobilisaient la charrette. Ce qui décourageait la plupart des gens’’, dit Mbaye Yade.

Très distingué dans le secteur de la contrebande en son temps, le vieux Yade ne faisait pas de transport de passagers la journée, comme les autres charretiers. Il se limitait uniquement à la contrebande matin, midi, soir. ‘’Pour moi, le montant que les charretiers gagnaient pour le transport était insignifiant. C’était 25 ou 50 F CFA par client. J’avais aussi beaucoup de soutiens des gens qui me donnaient des infos à l’avance sur la situation des douaniers. Ce qui me facilitait les choses. Même quand je me faisais prendre, j’avais des amis qui intervenaient pour qu’on me pardonne. Sur ce point, je rends grâce à Dieu’’, renchérit-il.

Jeune aventurier sur les terres de Sabakh, Mbaye Yade est le premier de sa famille à se lancer dans ce métier. Quand il est venu à Médina Sabakh, lui aussi s’activait dans le petit commerce, et c’est d’économie en économie qu’il s’est acheté un cheval et a commencé à faire du transport de clients. Et lorsqu’il s’est rendu compte que la fraude était plus lucrative, il a tout abandonné pour tenter l’aventure. Progressivement, son chiffre d’affaires a explosé et il s’est procuré d’autres chevaux.

‘’Au fil des années, mes enfants ont grandi et je leur ai donné chacun un cheval. Et on s’est mis, mes deux fils ainés et moi, à la fraude. Ils avaient déjà maitrisé le parcours. Car, depuis tous petits, ils venaient avec moi. Maintenant, ils sont dans le transport avec les motos Jakarta et moi, je me suis converti en cultivateur. Je n’ai plus la force de faire de la contrebande’’, narre le vieux ‘’Dior-Dior’’, d’un air nostalgique de la belle époque.

Si les gens se ruaient vers la contrebande, c’est parce que, suivant le vieux Moussa Dia, ils pouvaient vendre leurs produits au prix double, une fois qu’ils échappaient aux mailles des douaniers. ‘’Si on réussit deux fois, si on échoue une fois aussi, ce n’est pas tellement grave. Il nous restera quelque chose, vu qu’on avait un bénéfice de 100 %. Alors que ce n’est plus le cas. Donc, si on se fait attraper une ou deux fois, c’est fini. Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé. Il n’y a plus une grande différence entre les prix aussi bien pour l’huile et le sucre entre ceux pratiqués en Gambie et ceux pratiqués au Sénégal (NDLR : elle est actuellement de 200 F pour le kilo de sucre et le litre d’huile)’’, explique Moussa Dia, tout souriant.

Les indicateurs de la douane qui font la loi

Mais vu qu’ils ne peuvent pas avoir l’huile et le sucre sénégalais sur le marché, le vieux Dia affirme qu’ils sont obligés de se ravitailler en Gambie. ‘’En plus, les commerçants aussi, de leur côté, ne veulent pas acheter des produits sénégalais qu’ils auront du mal à commercialiser après.
Actuellement, il n’y a pas beaucoup de douaniers dans les parages, mais les indicateurs y rôdent toujours. Ils viennent ici sans les douaniers. Ils se donnent le droit de saisir la marchandise des gens, alors qu’ils ne sont pas des douaniers. Ce qui n’est pas normal. Mais vu que nous ne sommes que de pauvres citoyens, nous ne pouvons pas faire grand-chose, à part les dénoncer à voix basse’’, dénonce un autre contrebandier sous couvert de l’anonymat. Parce qu’en général, dit-il, on leur disait que si un douanier les arrêtait, ils devaient normalement lui demander sa carte professionnelle pour s’assurer que c’est un ‘vrai douanier’. ‘’Mais aujourd’hui, quand on le leur demande, ils nous créent des problèmes. Ils considèrent cela comme un outrage à un agent en service. Or, c’est ce que dit la loi. Parce que quand on nous arrête et qu’on contacte nos amis douaniers, ils nous recommandent de toujours demander la carte professionnelle’’, déplore-t-il.

Des moments d’échec

Comme toute activité illégale, la contrebande est un trafic en dents-de-scie. Et la chance ne sourit pas tous les jours aux fraudeurs. ‘’Une nuit, les douaniers ont saisi sur moi 65 sacs de sucre et 7 pots de tomate de 10 kg. Mes amis se plaignaient, mais moi, cela ne m’a pas tellement affecté, car je m’y attendais. Je savais qu’un jour, cela aller arriver. Cela fait partie du business’’, dédramatise le vieux Moussa Dia. Comme lui, Mbaye Yade et ses fils sont tombés dans les pièges tendus par des douaniers plusieurs fois. ‘’On m’a attrapé à maintes reprises. J’ai payé des amendes de 150 000 F CFA et plus’’, se souvient-il. Vu qu’il transportait la marchandise dont les propriétaires ont payé à l’avance et n’attendent que de se faire livrer, le vieux Yade ne laissait jamais la charge de sa charrette aux douaniers. Il supportait les pénalités financières, quel que soit le montant, pour ne pas leur porter préjudice.

Mais sa popularité et son habilité poussaient les douaniers à faire même des descentes chez lui pour des fouilles. ‘’Une fois, ils m’ont poursuivi et je les ai semés. Mais les femmes de la contrée voisine leur ont dit que je suis rentré chez moi. Donc, ils sont venus à la maison. Aussitôt, 12 douaniers ont fait une descente à la maison avec deux véhicules. Ils ont fouillé la maison pièce par pièce, accompagnés de leur chef. Heureusement, ils n’ont trouvé ici aucune marchandise. Je n’avais gardé qu’un seul pot de tomate par-devers moi et ils n’ont pas réussi à le voir. Moi, je ne déchargeais jamais la marchandise des gens à la maison. Je l’amenais directement chez eux ou ailleurs, selon leur choix, mais pas dans ma maison. Je ne l’acceptais pas’’, fait-il savoir.

Selon lui, s’il est informé que les douaniers sont dans le village, il décharge sa marchandise dans la brousse, dans les buissons, pour les récupérer plus tard, et rentrait chez lui avec une charrette vide. Si les fraudeurs sont informés de la présence des soldats de l’économie à l’intérieur du village, ils n’hésitaient pas à balancer leurs charges dans les maisons voisines, pour les récupérer après. 

Toutefois, l’ancien contrebandier Mbaye Yade ne faisait que la navette entre Médina Sabakh et Farafenni. ‘’J’ai fait de la fraude jusqu’à ma retraite. Mais je n’ai jamais accepté de faire sortir de la marchandise au-delà de Médina Sabakh. Que ce soit du sucre, de l’huile, ou quoi que ce soit d’autre. J’ai une fois fait sortir un sac de riz pour l’amener à Diaguelé, un village voisin ; c’était une situation exceptionnelle. Parce que c’était pour la famille d’un de mes amis qui était en Casamance. Il m’avait envoyé de l’argent pour que j’achète du riz pour sa famille. C’était la seule fois que j’ai transporté de la contrebande en dehors de Médina Sabakh’’, explique-t-il.

Pourtant, cet octogénaire était le libérateur des contrebandiers de la zone. Il était contacté par ces derniers, en situation de détresse, pour qu’il leur fasse entrer dans le village, quel que soit leur point de départ. ‘’Je ne les aidais que quand ils restaient dans le périmètre du village. Mais je ne les faisais pas sortir’’, dit-il.

Contrairement à lui, Moussa Dia allait jusqu’à Kaolack pour vendre des produits de la fraude. ‘’Je me suis fait prendre, un jour, par un jeune douanier à l’entrée de Ndiba Ndiayène, mais il m’a parlé d’une manière tellement correcte. Il m’a raisonné avec respect et même si j’avais perdu mes bagages, la façon dont il m’a parlé m’a fait tout oublier. J’étais tellement fier de lui. Donc, j’ai décidé d’arrêter définitivement la fraude, après cet incident. Actuellement, je n’ose même pas acheter une boite d’allumettes à Farafenni pour l’apporter ici. Même ma femme fait le business et achète des marchandises en Mauritanie. Mais je lui recommande d’aller toujours payer les frais de dédouanement, qu’importe la quantité de sa marchandise’’, raconte-t-il.

Il reconnait, aujourd’hui, que la fraude n’est pas une activité bénie. Car l’argent gagné ne servait pas à grand-chose.

Une activité risquée qui nécessite de l’audace

Au-delà des différends sur les cartes professionnelles, la relation entre douaniers et contrebandiers sur cet axe est souvent très tendue. Plus que les jeux de cache-cache, les tirs de sommation ou des tirs à bout portant s’invitent dans la partie. ‘’Les douaniers nous fatiguaient vraiment. Je quittais chez moi après la prière de Timis (19 h) pour aller à Farafenni. Je ne prenais pas la voie normale. Je la contournais. Il m’arrivait d’aller jusqu’à Keur Ayib pour me rendre en Gambie par la brousse, pour échapper aux douaniers. Parfois, j’allais jusqu’à Yallal Ba (contrée environnante), pour venir à Médina Sabakh. Je n’empruntais que des pistes dans la brousse avec la charrette. J’ai fait un travail dans ce secteur que personne ne peut égaler. J’étais très courageux. Je n’avais pas peur de la nuit. Je ne peux pas dire tout ce que j’ai fait ou vécu dans une seule interview’’, se désole Mbaye Yade qui était l’un des fournisseurs en marchandises du village.

Ainsi, il ravitaillait les petits commerçants de la zone en huile, sucre, farine, selon leurs besoins. A cette époque, il n’y avait pas beaucoup de boutiques. ‘’Il n’y avait qu’une seule grande boutique. Les grossistes de Farafenni me donnaient de la marchandise, parfois jusqu’à une valeur de 500 000 F CFA que je venais distribuer à mes clients selon leurs besoins, et ces derniers me rembourser à la fin du mois. Les commerçants gambiens me faisaient beaucoup confiance ; ils me donnaient de la marchandise sans limite. Je n’ai jamais eu de problème avec qui que ce soit. Alors que je récupérais des sommes importantes et je les gardais par-devers moi pour l’achat de marchandise’’, se rappelle-t-il.

Si le vieux Yade parvenait à se faufiler entre les mailles des filets des soldats de l’économie, ce n’est pas le cas pour l’ami de Moussa Dia. ‘’J’ai un de mes amis qui s’est fait tirer à la jambe par un douanier. La balle a troué sa jambe. Heureusement qu’elle n’a pas touché la veine. Le gars avec qui il était sur la charrette lui a ordonné de s’arrêter et de se livrer, mais mon ami a refusé de céder. Il a fait tout pour supporter la douleur et ils sont retournés jusqu’à Farafenni, pour déposer la marchandise chez les boutiquiers où ils l’avaient achetée pour revenir à Médina Sabakh avant de se rendre au poste de santé’’, conte-t-il.

Selon lui, après cet incident, les proches de la victime lui avaient suggéré de porter plainte contre le douanier. Mais sachant que c’était un homme de tenue, il s’était dit que cela serait ‘’classé sans suite’’. ‘’Donc, il a laissé tomber. Or, il était dans son droit. Parce qu’on ordonne aux douaniers de tirer dans les pneus de la charrette, si le contrebandier refuse de se rendre. Mais ce dernier ne visait guerre les pneus, car le conducteur était au-dessus de la marchandise’’, regrette-t-il.

Des chevaux bien domptés

Sachant qu’ils sont souvent confrontés à des courses-poursuites avec les douaniers à bord de leur véhicule, les contrebandiers avaient aussi des chevaux bien dressés et puissants, qui savaient détecter le moindre mouvement et chercher eux-mêmes des pistes pour s’échapper. ‘’Les chevaux pour la fraude ne sont pas les mêmes qu’on utilise pour le transport journalier des passagers entre les différentes localités de la zone. Les chevaux de transport passagers ne peuvent pas supporter l’endurance de la fraude. Quand j’ai acheté mon cheval pour la fraude la première fois, il n’a pas supporté la charge et le rythme. Il s’est écroulé’’, rapporte Baye Moussa.

‘’L’animal ne maitrisait pas le trajet et n’était pas préparé à cela. Mais, au fil du temps, il s’est habitué et il pouvait parcourir plus de 30 km en 3 heures maximum. ‘’Il est devenu très rapide. Je le prenais aussi pour aller au louma de Ndiba Ndiayène (NDLR : environ une dizaine de kilomètres de Médina Sabakh), mais on dépassait de loin tous les taxi-charrettes qui roulaient sur cet axe. J’ai assisté à une scène à hauteur du lac de Kaymor qui m’a marqué. Les fraudeurs étaient sur 9 charrettes et étaient poursuivis par les douaniers de Nganda. Mais ils n’ont rattrapé qu’une seule d’entre elles. Tous les autres chevaux ont traversé les eaux pour se retrouver à de l’autre côté de la rive. Ces chevaux étaient rapides et puissants. Ils maitrisaient parfaitement le trajet’’, confie-t-il.

Les anciens fraudeurs du Sabakh racontent aussi qu’il y avait un cheval très connu dans la zone. Son propriétaire habitait Djiguimar (NDLR : village situé à quelques kilomètres de Médina Sabakh). ‘’Une fois qu’il prenait départ, s’il aperçoit une lumière, même si c’est une lampe de poche, il fonçait et cherchait une échappatoire. Parce qu’il avait l’habitude de fuir la lumière des véhicules des douaniers. Et son propriétaire était très chanceux, car jusqu’au moment où il a vendu son cheval, il ne s’est jamais fait prendre’’, explique l’un d’eux, sous couvert de l’anonymat.

Si ces bêtes étaient si endurantes, Mbaye Yade fait savoir que c’est parce qu’elles étaient bien nourries et bien entretenues. Elles ne mangeaient que du mil et se reposaient la journée. ‘’Avec mes chevaux, si j’apercevais les douaniers, je faisais demi-tour pour retourner en Gambie et ils n’arrivaient même pas à me rattraper à bord de leur véhicule. Ils étaient forts et rapides. Mais les chevaux qu’on a actuellement ne peuvent pas le faire. Les chevaux de la fraude sont morts ou vendus depuis que l’activité a perdu son lustre d’antan’’, informe-t-il.

Cependant, certains contrebandiers pensent même qu’il est plus facile d’utiliser les ânes pour la contrebande. Ces bêtes peuvent emprunter des pistes sur lesquelles les véhicules des douaniers ne peuvent pas passer. Ils traversent plus facilement des endroits sombres, des pistes non éclairées, ce qui n’est pas le cas pour les véhicules.  

Mystique

Par ailleurs, les fraudeurs ne comptaient pas que sur la bonne endurance de leurs chevaux ou sur la carte de la chance. Ils usaient bien des pouvoirs mystiques pour échapper aux mailles des douaniers. Même les chevaux étaient bardés de gris-gris au cou. ‘’Le mystique est une réalité dans le secteur de la contrebande. Et il est des deux côtés. De la même manière que les contrebandiers font recours au mystique, les douaniers aussi le font. Si le fraudeur peut débourser 1 000 F pour solliciter des prières, le douanier peut donner 5 000 F. Même si on est bien ‘’assis’’ mystiquement, cela ne peut pas nous sauver continuellement dans la fraude. Si on perdure dans le secteur, il arrivera un jour où les gris-gris ne pourront pas nous sauver. Parce que les douaniers sont aussi mystiques’’, reconnait Moussa Dia.

Pour Mbaye Yade, les pratiques mystiques sont dans la contrebande ce qu’elles sont dans l’arène de la lutte sénégalaise avec frappe. ‘’Si on nous dit que tel gris-gris est efficace pour échapper aux douaniers, on fait tout pour s’en procurer. On cherchait des gris-gris, des prières, etc. Tout ce qui pouvait nous sauver. Dans les normes, on devait se protéger au point qu’une balle ne puisse pas nous atteindre. Donc, qu’importe le montant qu’on nous demandait pour cela, on le déboursait. La contrebande n’est pas une mince affaire. Les douaniers aussi sont mystiquement bien préparés’’, avoue-t-il.

Mais, aujourd’hui, ces choses ne sont que de vieux souvenirs dans la tête de ces fraudeurs et peut-être un mythe pour ceux qui n’ont pas connu cette époque ou cette réalité. La contrebande, les courses-poursuites avec les douaniers, les bons chevaux ne sont que de l’histoire ancienne. Car le commerce transfrontalier a perdu de sa valeur à cause de la conjoncture économique et de la chute de la valeur de la monnaie gambienne.  

MARIAMA DIEME

 

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