Un concours de suspicion

Le Concours général 2018 a été sérieusement écorné par une polémique mettant en cause la neutralité du ministre de l’Education. Les acteurs de l’école regrettent une gestion centralisée et pas toujours transparente. Ils demandent des concertations et un décloisonnement de l’organisation.
‘’Je ne puis m’empêcher de m’interroger sur les critères de choix du meilleur élève du Concours (général) et du meilleur élève scientifique’’. Ces propos du ministre de l’Enseignement supérieur résument, à suffisance, le malaise né à la suite des résultats du Concours général édition 2018. Mary Teuw Niane, qui se prévaut d’un débat scientifique entre pédagogues, a ouvertement critiqué les choix validés par son collègue de l’Education nationale, Serigne Mbaye Thiam. Vendredi dernier, sur sa page Facebook, il n’a pas fait de mystère sur son désaccord par rapport au choix porté sur Diary Sow, désignée meilleure élève du Concours général. ‘’Mon choix de cœur va à deux élèves : Samba Khary Sylla, qui a remporté deux premiers prix en mathématiques et en physique. Il est élève au lycée d’Excellence de Diourbel. El Hadj Abdoul Aziz Dabakh Kane, qui aussi a remporté deux premiers prix en philosophie et en histoire et un troisième prix en français’’, déclare-t-il.
L’ancien recteur s’est même permis de faire dans l’ironie pour mieux exprimer sa pensée. ‘’Peut-être suis-je archaïque, car je ne conçois pas qu’une médaille d’or puisse être supplantée par des médailles d’argent, de bronze ou de vermeille, etc.’’, assène-t-il. Et au cas où son collègue Serigne Mbaye Thiam aurait oublié les nouvelles orientations, le mathématicien s’est fait un devoir de lui rappeler qu’il y a ‘’une boussole’’ qui doit guider les choix. Ainsi, ajoute-t-il : ‘’La première décision des conseils présidentiels sur l’enseignement supérieur et la recherche et sur les Assises de l’éducation et la formation : réorienter l’éducation, la formation et l’enseignement supérieur vers les sciences, les technologies, les sciences de l’ingénieur, les mathématiques...’’ Bref, le ministre de l’Enseignement supérieur, qui doit prendre le relais, après le Bac, n’est pas du tout sur la même longueur d’onde que celui de l’Education nationale.
Si Mary Teuw Niane était seul dans sa position, on aurait peut-être conclu à un problème de personne entre deux membres du même gouvernement, puisque ce ne serait pas une première dans l’équipe de Dionne. Mais avant l’ancien recteur de l’Ugb, d’autres acteurs ont critiqué les résultats du concours, allant même jusqu’à accuser le ministre de l’Education nationale de favoritisme. On peut en citer le lycée Limamou Laye de Guédiawaye qui s’est particulièrement distingué dans ces sorties au vitriol.
‘’On ne comprend pas l’acharnement du ministre. Nous voulons qu’il y ait des changements dans les conditions de participation. Des modifications ont été introduites et taillées sur mesure pour les deux lycées (Diourbel et Prytanée)’’, peste Meïssa Ndong, l’encadreur des élèves au Concours général.
‘’Le ministre a fait une sortie pour dire que le lycée d’Excellence de Diourbel est le 1er établissement du pays. Ceci est en contradiction avec l’article 17 qui stipule : ‘’Compte tenu de l’hétérogénéité de la situation des établissements, il n’est procédé à aucun classement.’’ Vous conviendrez avec nous qu’en procédant de la sorte, il a violé ses propres arrêtés qui visent, en réalité, à écarter notre lycée du podium. Limamou Laye dérange, mais nous n’allons pas nous laisser faire’’, a renchéri Lamane Mbaye. Dans cet établissement niché au cœur de la banlieue, on menace de boycotter le Concours général, si les conditions d’organisation ne changent pas. Les enseignants réclament même que l’organisation soit confiée à l’Office du Bac crédité, à leurs yeux, de plus de neutralité.
‘’Le ministre a pris des décisions du jour au lendemain, sans concertation’’
A peine l’établissement de Guédiawaye a-t-il fini, que le lycée privé Amadou Sow Ndiaye de Saint-Louis lui a emboité le pas, pour crier à la fraude et à l’injustice. ‘’Il y a eu de la triche, du début à la fin. Normalement, le premier prix est noté sur 5 points, le 2e sur 4 points, le 3e sur 3 points, le 1er accessit sur 2 points et le 2e accessit sur 1 point. Si l’on se réfère à cette notation, Abdou Aziz Dabakh Kane a 13 points, alors que Diary Sow en a 11 seulement’’, déclare Moustapha Diouf, membre de l’administration, cité par le journal ‘’Les Echos’’. Les responsables de cet établissement accusent, à leur tour, le ministre de verser dans le favoritisme. ‘’C’est qu’il voulait mettre leur nouveau joujou au-devant de la scène, que le ministre de l’Education a trouvé une alchimie lui permettant de faire sortir le lycée d’Excellence scientifique de Diourbel en tête de lot’’, charge M. Diouf. Le proviseur pense également que le lycée de Diourbel n’a pas besoin de publicité et regrette que ‘’les règles soient modifiées, d’une année à l’autre, en fonction des aspirations des uns et des autres’’.
‘’Dès qu’il y a des critiques sur le lauréat…’’
Ces différentes sorties sont la preuve qu’il y a désormais un climat de suspicion autour du Concours général. Surtout que le scepticisme est partagé par une large partie des acteurs de l’école. Syndicalistes, société civile et parents d’élèves aussi se posent des questions. Joint hier par téléphone, Saourou Sène n’a pas caché sa préoccupation. ‘’L’organisation du concours obéissait à un certain nombre de critères connus de tous. Mais le ministre a pris des décisions du jour au lendemain, sans concertation. Or, dès qu’il y a des critiques sur le lauréat, cela remet en cause la crédibilité du concours’’, fait savoir le Sg du Saemss. Il invite ainsi le ministère à partager les modifications apportées avant leur application, tout en lui rappelant que concertation n’est pas égale à cogestion.
Même point de vue de la part d’Abdou Faty, patron du Sels/A. Ce dernier pense, lui aussi, qu’il faut un partage des arrêtés fixant les critères du concours. ‘’L’organisation doit être décloisonnée. Le concours doit être reformé ; il faut de la transparence et de la démocratie, des règles communes à tout le monde’’, préconise-t-il. M. Faty pense que la polémique est le résultat du cloisonnement. C’est parce que, poursuit-il, les gens ne savent pas qu’il y a autant de contestations. Et il en veut pour preuve les interrogations du ministre de l’Enseignement supérieur. ‘’A l’absence de communication sur les règles du jeu, il y a le doute, ce qui a conduit à toutes ces attaques’’, souligne-t-il. Cet interlocuteur rappelle que le Concours général concerne aussi les lycées techniques et professionnels. Par conséquent, il ne comprend pas que Mamadou Talla soit presque invisible, alors qu’il devait marquer son territoire.
‘’Notre souci premier n’est pas l’excellence’’
Cheikh Mbow, le coordonnateur de la Cosydep, pense que ça va au-delà des ministères et des services ; il demande l’implication de tous les acteurs (voir interview). Le point de vue est le même chez les parents d’élèves. Même s’il place le ministre au-dessus de tout soupçon de partialité, Abdoulaye Fané, le président de l’Unapees, pense qu’il faut communiquer davantage. Il préconise une rencontre technique entre le ministère et les partenaires, afin que les résultats soient mieux partagés, avant qu’ils ne soient portés à la connaissance du grand public. Ce qui, à son avis, éviterait les polémiques.
Le ministre Serigne Mbaye Thiam a-t-il versé dans le favoritisme ? Saourou Sène se garde d’être affirmatif, mais il fait remarquer que c’est le ministre qui a créé le lycée d’Excellence de Diourbel. Et, à ce titre, il voudrait bien montrer à ses supérieurs que c’est un établissement d’excellence. Et pour cela, rien ne vaut la tribune qu’offre le Concours général.
Mais, quoi qu’il en soit, Abdou Faty rappelle qu’un élève au lycée Limamou Laye coûte 10 000 F Cfa l’année à l’Etat, contre une fortune dans les écoles comme Mariama Ba, Prytanée et autres. Ce qui amène les deux acteurs à demander au ministre de savoir reconnaitre le mérite des établissements qui tirent la masse du bas vers le sommet. ‘’Notre souci premier n’est pas l’excellence, mais aider les élèves qui sont en difficulté’’, lance Abdou Faty.
Un souci plus politique que scientifique
Outre les résultats du concours, il y a l’organisation de la cérémonie de remise des prix. Les acteurs de l’école se plaignent du sort qui leur a été réservé, cette année, et qui n’est pas une première. Beaucoup d’entre eux n’ont pu accéder à la salle et même ceux qui ont franchi la porte ne sont pas nécessairement contents. ‘’Nous avons l’impression qu’il y a un souci beaucoup plus politicien que scientifique’’, déclare Saourou Sène qui, malgré son statut de Sg du syndicat le plus représentatif du moyen-secondaire, n’a pu entrer dans la salle, alors que, dit-il, il est arrivé à 7 h 55 mn. En plus de lui, il dit avoir vu d’autres autorités rester dehors. Un scénario qui lui rappelle, l’année dernière, le Centre de conférences Abdou Diouf de Diamniadio, lorsqu’il a vu le conseiller du chef de l’Etat en éducation ainsi qu’une ambassadrice coincés dehors.
Abdoulaye Fané, lui, avait une invitation et un badge, ce qui le disposait à être devant. Mais, faute de siège, il s’est retrouvé loin derrière. ‘’J’ai été obligé d’aller au balcon, alors que certains qui étaient devant n’y avaient pas leur place’’, déplore-t-il. Quant à Abdou Faty et son organisation, ils ont tout simplement boycotté pour ne pas subir un tel traitement. Ils ne peuvent pas concevoir que le carton d’invitation leur soit envoyé à 24 heures de l’évènement. En conséquence, il promet qu’il en sera ainsi jusqu’à ce qu’ils se sentent respectés. Ce qui amène M. Fané à inviter le ministère de l’Education à confier la journée à une structure évoluant dans l’évènementiel.
Fatimata Bâ Diallo (Directrice de l’Enseignement moyen-secondaire ‘’Ce ne sont pas des ouï-dire qui nous feront réagir’’ ‘’EnQuête’’ a tenté d’avoir la réaction du ministère de l’Education sur toutes ces questions. Le message envoyé à Serigne Mbaye Thiam étant resté sans suite, nous nous sommes rabattus sur ses services, la Direction de l’enseignement moyen-secondaire en l’occurrence, dont la directrice est celle-là même qui a dirigé l’organisation du concours. Voici la réponse de Fatimata Bâ Diallo : ‘’Ce ne sont pas des ouï-dire qui nous feront réagir. Nous ne sommes pas au niveau politique ou presse, nous nous occupons des questions administratives. Il ne faut pas polémiquer, lorsque la nation fête ses meilleurs enfants. S’il y a des suggestions, les gens connaissent la voie.’’ Nous avons insisté pour avoir sa réponse sur les nombreuses sorties, mais Mme Bâ Diallo répond : ‘’Je ne pose pas mon regard sur la polémique. La fête a été belle, c’est ce que je retiens.’’ |
BABACAR WILLANE