Publié le 26 Apr 2020 - 00:09
COVID-19 - ENTRE COMMUNIQUÉS ET POINTS DE PRESSE

La com de la tutelle sur le grill

 

Formateurs, communicants, professionnels dans l’environnement des médias, Mamadou Ndiaye du Cesti et Bakary Domingo Mané de l’Issic passent en revue l’évolution des sorties officielles du ministère de la Santé et de l’Action sociale, depuis l’arrivée du coronavirus au Sénégal.

 

La pandémie Covid-19 impose beaucoup de défis aux nombreux pays qu’il a touchés à travers le monde. Mais il y en a un que chacun se donne toutes les chances de relever : la maitrise des informations sur le sujet. Depuis l’apparition du premier cas confirmé de coronavirus au Sénégal, le 2 mars dernier, le ministère de la Santé et de l’Action sociale (MSAS) a produit 54 communiqués pour renseigner sur l’évolution du virus. Du premier au dernier, la communication des autorités sanitaires a beaucoup évolué. Deux experts analysent l’approche du MSAS pour contrecarrer le flux d’informations quotidien et distribuent leurs bons et mauvais points.

Formateur à l’Institut supérieur des sciences de l’information et de la communication (Issic), Bakary Domingo Mané remarque que ‘’les premiers communiqués étaient touffus, avec beaucoup trop de détails. Mais, au fur et à mesure, l’on note que les autorités s’en tiennent désormais à l’essentiel. C’est devenu un communiqué en trois sens qui livre le nombre de personnes testées positives à la maladie, la différenciation des formes de contamination au virus et les renseignements sur les malades et, en troisième lieu, le rappel des mesures d’hygiène à respecter’’.

Un changement que Mamadou Ndiaye, expert en communication digital, explique par la sensibilité aux critiques externes. ‘’A chaque fois que des experts et observateurs sur les réseaux sociaux font des remarques sur la communication du ministère de la Santé, nous sentons, sur les jours qui suivent, que les autorités prennent en compte les propos exprimés sur la question’’, observe le formateur en journalisme multimédia au Cesti (Centre d’études des sciences et techniques de l’information).

‘’Le communiqué est devenu top standardisé. On n’a pas une certaine gymnastique intellectuelle à faire’’

Cependant, l’évolution n’est pas toujours synonyme de changement. Depuis un certain temps, le Pr. Ndiaye remarque un mécanisme répétitif. Ce qui fait que, ‘’lorsqu’on détient un communiqué du MSAS, nos yeux se promènent sur le nombre de cas. C’est l’information, car le communiqué est devenu top standardisé. On n’a pas une certaine gymnastique intellectuelle à faire. Je pense que l’on peut améliorer cela, en mettant l’accent sur les faits nouveaux. L’objectif du communiqué de presse est de donner une information. Par exemple, on note une augmentation des cas communautaires. Et on étaye avec les chiffres’’.

Cette routine est aussi notée par le formateur digital sur les points de presse quotidiens sur la situation de la pandémie au Sénégal. Comme il l’explique : ‘’Avant, l’heure de dévoilement des chiffres (18 h) était attendue comme une messe. Maintenant, chacun va vaquer à ses occupations et les chiffres se retrouvent, dès leur sortie, sur les réseaux sociaux. A un moment donné, la cible se désintéresse et ne reste plus sur le qui-vive.’’

Si la communication de crise a d’abord pour objectif d’éviter qu’un incident ou une situation sensible n’aboutisse à une crise, Domingo Mané est d’avis que la stratégie du ministère porte quand même ses fruits. Car, estime l’ancien journaliste de ‘’Sud Quotidien’’, dans la volonté manifeste de maitriser la communication, les journalistes, consciemment ou non, les y aident en se contentant de reprendre textuellement les communiqués. Un terrain sur lequel son homologue du Cesti ne le suivra pas, puisque, selon Mamadou Nidaye, ‘’l’on retrouve beaucoup de détails, à la veille de chaque communiqué, dans certains journaux’’.

Une situation qui peut faire croire à l’existence de canaux parallèles de communication, car si l’on retrouve dans la presse certains détails, ‘’les autorités peuvent les mettre dans le communiqué’’.

Dr Marie Khemesse Ngom Ndiaye, une touche genre positivement appréciée

Sur les points positifs de la communication du MSAS, le professeur de web journalisme apprécie la mise en avant de la directrice générale de la Santé, Dr Marie Khemesse Ngom Ndiaye, lors des points de presse. Même si cela a tardé, c’est un message positif qui lui fait dire : ‘’C’est aussi intéressant de voir qu’il n’y a pas que des hommes capables de venir porter les messages du ministère. En plus, elle a une parfaite maitrise de l’évocation des chiffres, quand il faut les dire en wolof, contrairement à d’autres qui passaient avant elle.’’

Justement, dans la communication visuelle, beaucoup de choses peuvent encore être améliorées. L’on a beau être médecin, l’on reste des êtres humains. On peut avoir des gestes manqués et ne pas respecter les gestes barrières. Alors, conseille l’expert, ‘’lorsqu’on est en face de la caméra, il faut être le plus concentré possible. Une fois qu’on a mis le masque, on doit le mettre tout le temps et parler très fort pour bien se faire entendre. Et surtout éviter de l’accrocher sous le menton et de montrer cela au public pour venir l’interdire derrière’’.

D’ailleurs, Domingo Mané explique que le choix du point de presse au lieu de la conférence de presse montre que les autorités sont dans la communication. Le cas de la conférence de presse de Mansour Faye, Ministre du Développement communautaire et de l’Equité sociale et territoriale, sur les procédures d’attribution des marchés pour l’achat de riz, dans le cadre du fonds Force-Covid-19, a montré que les choses peuvent aller très vite dans le mauvais sens et être déviées de la concentration sur la crise. 

La transparence privilégiée dans les cas de décès

Dans le fond, les experts analysent aussi les messages contenus dans les communiqués de MSAS. A un moment donné, la localisation des quartiers où les cas ont été contaminés est apparue dans les communiqués, avant de disparaitre. En cherchant la raison d’un tel changement, l’ancien reporter à ‘’Sud Quotidien’’ a vu ses sources lui faire comprendre que cela répondait à l’option de laisser communiquer les médecins-chefs de région au niveau local. Mais avec la multiplication des cas communautaires, la mention des zones infectées est de nouveau observée. Même si tout manque d’harmonie, Mamadou Ndiaye trouve ces informations importantes, ‘’permettant aux gens de se situer et d’avoir conscience de la gravité de la situation’’.    

La pandémie a déjà emporté sept âmes sénégalaises. A chaque fois qu’un patient décède de la Covid-19, le MSAS fait un communiqué à part. Un élément positif important, quand l’on sait qu’au soir du décès de la première victime, Pape Diouf, analyse Domingo Mané, ‘’le ministère a volontairement caché des informations, donnant libre cours à beaucoup de fausses nouvelles sur le lieu de son décès’’.

Finalement, il a dû sortir un communiqué pour donner la bonne information. Depuis lors, le MSAS a décidé de continuer sur cette lancée, en donnant les informations par un communiqué sur les réseaux sociaux. En plus de maitriser l’information pour ne pas laisser libre cours aux rumeurs, cela donne l’occasion, selon le communicant, de montrer de la compassion, chose très importante dans la communication de crise. Mais aussi, note Mamadou Ndiaye, de préserver le secret médical qui doit verrouiller le plus d’informations privées, puisque, de manière officielle, c’est le strict minimum qui est divulgué sur les cas de décès.  

Lamine Diouf

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