Publié le 18 Nov 2018 - 15:46
CRIMES PASSIONNELS, MEURTRES, RAPTS D’ENFANTS…

Parenthèses de folie meurtrière

 

Si ce ne sont pas des crimes passionnels, meurtres gratuits ou enlèvements d’enfants, c’est alors le vol de sexe, ‘’l’offrande de la mort’’, ‘’l’appel qui tue’’ ou même ‘’Djiné Maïmouna’’. Le Sénégal vit, en effet, des parenthèses de folie collective qui, hélas, sont vite rangées aux oubliettes, sans qu’il y ait la moindre explication scientifique ou plausible.

 

Alors que les Sénégalais n’ont pas fini d’épiloguer sur l’acte d’Aïda Mbacké qui a brûlé vif son mari, parce que ce dernier a pris une seconde épouse, voilà qu’ils apprennent qu’un enseignant a égorgé sa femme Amy Dieng, enceinte de 9 mois. Les faits ont eu lieu avant-hier à Fissel Mbadane. Même si Saliou Ciss est présenté comme un déficient mental, il n’en demeure pas moins que son acte vient allonger la liste des crimes crapuleux enregistrés ces derniers temps au Sénégal. Un pays habitué aux séries noires à répétition.

En début octobre, le douanier Cheikhou Sakho a été retrouvé mort dans son véhicule à Keur Massar. Il a reçu une balle dans la tête. La thèse du crime passionnel a été avancée, puisque sa première femme a été accusée par le frère du défunt d’avoir mis à exécution les menaces répétées contre son mari qui a pris une seconde épouse. Mais la dame a décidé de porter plainte pour diffamation. A la même période, c’est la militante du Pastef, Mariama Sagna, qui a été violée et tuée chez elle, après un meeting organisé à Keur Massar. On a cru, dans un premier temps, à un assassinat politique, avant que l’acte odieux ne soit attribué à des charretiers partis réclamer leur argent à la victime, après un service dans le cadre de la manifestation politique.   

Aujourd’hui, le pays semble être enfermé dans une spirale de crimes crapuleux. Ce qui n’est en rien une première. En fait, le Sénégal semble gagné parfois par des accès de folie intermittents. A chaque fois qu’un premier évènement se produit, il y a comme une force surnaturelle qui fait que d’autres actes similaires vont suivre, avant que la parenthèse ne se referme. Et une autre va s’ouvrir plus tard. 

En mars 2018, le Sénégal a vibré au rythme macabre des enlèvements d’enfants. Le petit Serigne Fallou Diop à Rufisque, le jeune Fallou Ba à Touba, ainsi que les tentatives notées à Tivaouane, à Matam ou à Mbao. Au total, 3 meurtres et 5 tentatives, selon le ministre de l’Intérieur Aly Ngouille Ndiaye. Ces actes répétés avaient fini d’installer la psychose chez la population. De quoi amener le directeur de la Sécurité publique, le commissaire divisionnaire Abdoulaye Diop, à animer une conférence de presse pour annoncer la mise en place d’une task force chargée de traquer les malfaiteurs. Auparavant, le chef de l’Etat, Macky Sall, avait brisé le silence pour rassurer la population. ‘’J’ai appris avec douleur ces rapts d’enfants suivis de meurtres. J’ai déjà donné des instructions les plus fermes pour traquer ces malfaiteurs, les traduire devant la justice’’.

Malgré tout, une marche a été organisée dans ce sens, le 24 mars, sur initiative des ‘’femmes leaders’’. Ayant pris part à la marche, Ousmane Sonko, le leader du Pastef, déplorait que des sujets sérieux vivent le temps d’une rose. ‘’Les gens en parlent dans les salons, dans les grands-places. Et plus gros est le scandale au Sénégal, plus vite ça va passer aux oubliettes’’, disait-il. Aujourd’hui, l’épisode douloureux  a été  oublié, sans que les Sénégalais ne disposent d’explications sur les raisons de cette parenthèse sombre.

Il y a de cela un à deux ans, le pays a enregistré des actes criminels qui n’ont rien de passionnel. A la limite, on peut les qualifier de crimes gratuits. Un garçon qui tue un autre pour un mégot de cigarette dans la banlieue. Un homme qui provoque un vendeur de café du nom de Baye Fall devant les locaux du groupe Wal Fadjri avant de lui assener un coup de couteau. Un taximan qui reçoit une balle en pleine tête au cours d’une discussion tendue avec son bourreau… Et la liste est loin d’être exhaustive. On peut y ajouter la mort de Fatoumata Makhtar Ndiaye, membre de l’Apr et du Conseil économique.

Jusque-là passif, l’Etat avait enfin décidé de réagir par la personne du président de la République. Parti présenter ses condoléances à la famille éplorée, Macky Sall avait  exprimé son indignation, tout en promettant une sanction exemplaire aux malfaiteurs. ‘’Nous allons, dès demain, en Conseil des ministres, revoir notre politique judiciaire pour mieux protéger les citoyens, mais aussi pour corser les sanctions en cas de crime. Non seulement les auteurs seront condamnés à la perpétuité, mais ils n’auront aucune possibilité de sortie de prison’’, avait-il martelé. A ce jour, aucune loi renforçant les sanctions n’a été votée.

En 2014, un évènement jusqu’ici inexpliqué s’est produit à Tambacounda. Une série noire de sept malades mentaux tués, souvent dans des conditions inhumaines. Victimes égorgées, têtes fracassées, parties intimes emportées… On aura tout entendu. La psychose a fini par gagner la population qui, à sa tête les conducteurs de motos-taxis, a vivement manifesté son inquiétude, non sans demander à l’Etat de lui assurer la sécurité. Une compagnie du Groupement mobile d’intervention (Gmi) a été envoyée pour renforcer la police locale. Rien n’y fait. Dans la nuit du mercredi 5 mars, un autre jeune homme d’une trentaine d’années, jouissant de toutes ses facultés mentales, a été sauvagement tué, la tête brisée et des briques ensanglantées à côté de son corps gisant dans une mare de sang. Il est visiblement un voyageur qui, ayant manqué son bus, a passé la nuit à Mbarou Gounass, un abri pour voyageurs.

Face à la situation de plus en plus inquiétante et surtout pour éviter la propagation du phénomène, les habitants ont promis de prendre leur destin en main, jugeant l’action de la police trop molle. Ce qui a amené le ministre de l’Intérieur de l’époque, Abdoulaye Daouda Diallo, à se rendre lui-même sur place pour trouver une solution. L’ambiance dans la capitale orientale a eu des exhalaisons mystiques pendant plusieurs semaines. Et, tout à coup, tout est revenu à la normale, comme par enchantement, sans que l’on sache ce qui s’était réellement passé.

Il en était de même entre les élections locales de 2009 et la présidentielle de 2012. Des actes qualifiés de rituels et attribués, à tort ou à raison, à la classe politique. Le cas de Fama Niane à Petersen restera sans doute gravé à jamais dans la mémoire collective.  Un corps démembré en sept morceaux et mis dans un sac, à l’absence du cœur et des seins. C’était le 12 mars 2009, à dix jours des élections locales tenues le 22 du même mois. Derrière elle, une suite de noms et d’anonymes. Entre les deux tours de l’élection présidentielle 2012, il y a eu la mort d’Ibou Seck à la Médina. Le journal ‘’L’As’’, qui avait donné l’information, parle d’une victime étalée sur tout son corps, ventre à terre, la tête penchée sur ‘’un vase contenant des vomissures et du sang’’. A celui-là s’ajoute celui d’Amadou Guissé égorgé à Ourossogui avant le premier tour. Là aussi, on parlait à l’époque ‘’d’une posture de sacrifice rituel’’. Plus horrible, le cadavre d’une victime découvert à la plage de la cité Gadaye à Guédiawaye. ''Un corps sans tête, sans jambes, sans bras gauche, de sexe masculin, blanc comme neige et en état de décomposition avancée'', selon ‘’L’As’’.

Crimes odieux répétés

Dans ce contexte de l’époque, les albinos ont aussi payé un lourd tribut. Dans un article du journal français ‘’Libération’’ intitulé ‘’Sénégal, la grande peur des albinos’’ et publié en avril 2012, Mohamadou Bamba Diop, Président de l’Association nationale des albinos du Sénégal, déclare avoir répertorié sept assassinats et dix tentatives d’enlèvement dans les premiers mois de l’année. ‘’On n’avait jamais vu ça au Sénégal ! C’est une pratique connue dans d’autres pays d’Afrique, mais chez nous, avant l’élection de 2012, ça n’existait pas’’, relève-t-il. Ignorant l’identité des auteurs des crimes, il a ouvertement accusé l’ancien président de la République, Abdoulaye Wade,  d’avoir encouragé l’installation des marabouts venus de la sous-région et qui ‘’prétendent qu’avec les organes des albinos, on peut acquérir de la puissance’’. A noter que quelques années plus tard, ce même Wade va accuser Pape Diop d’avoir fait tuer des albinos durant ce contexte.

Viande, tissu blanc et 10 000 F Cfa

Cependant, le mystique, au Sénégal, ne s’arrête pas que sur les sacrifices. Le pays semble pris, parfois, par une ‘’épidémie d’hystérie collective’’.  Depuis 2009, le ministère de l’Education n’a toujours pas expliqué ce qu’est ‘’Djiné Maïmouna’’, cette fameuse sorcière qui ne sortait qu’en période d’examens, avec comme cible privilégiée les filles. Le Sénégal continue d’organiser le Bfem et le Bac, mais ‘’Djiné Maïmouna’’ semble avoir quitté définitivement, comme si elle a été emportée par les candidatures à l’émigration clandestine.

L’année 2010 avait débuté par une rumeur folle dénommée par la suite ‘’l’offrande de la mort’’. Selon le ‘’téléphone chinois’’, il s’agit de donateurs à bord de véhicule 4x4 qui  distribuent un sachet de viande accompagné de 10 000 F Cfa et d’un morceau de tissu blanc appelé ‘’percal’’. Les destinataires de ce ‘’cadeau funeste’’ piquent une crise avant de mourir. Là non plus, jamais une preuve n’a été apportée. Et pourtant, des individus ont failli y laisser leur vie. La psychose était telle que, dans le Fouladou, lors d’un marché hebdomadaire, un billet de 2 000 F a traîné pendant longtemps au milieu des passants, sans que personne n’ose la ramasser. A la liste déjà assez longue, on peut ajouter les ‘’voleurs de sexe’’ et les appels téléphoniques tueurs. Quiconque décroche l’appel du numéro 00229 trouve la mort, disait-on. 

 BABACAR WILLANE 

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