Publié le 31 May 2023 - 15:38
DÉBUT DU DIALOGUE NATIONAL AUJOURD'HUI

Un contexte qui s’y prête mal

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Le président de la République procède au lancement du dialogue national au moment où la tension politique est à son paroxysme, avec le leader de l’opposition assigné à résidence depuis dimanche dernier.  

 

Finalement, c’est aujourd’hui que démarre le dialogue national appelé par le président de la République Macky Sall. Le ministre, porte-parole et coordonnateur de la communication de la présidence de la République a assuré, samedi dernier, que ‘’la cérémonie de lancement du dialogue national initialement prévue mardi 30 mai à 16 h est reportée au mercredi 31 mai’’ à la même heure.

Si la salle des banquets du palais de la République devait accueillir les débats, le  dialogue va se tenir dans une atmosphère sociale plus que tendue, la situation politique autour du leader de l’opposition étant source de tensions et de violences.

Dans la restitution du Conseil des ministres du mercredi 24 mai 2023, il est écrit : ‘’Dans l’esprit de la journée du dialogue national instaurée en 2016 – et des acquis des travaux du Comité de pilotage du dialogue national freinés par la pandémie de Cocid-19 – le président de la République a décidé d’organiser, le mardi 30 mai 2023 (reporté au mercredi 31 mai) au palais de la République, le lancement du dialogue avec les représentants des acteurs politiques, économiques, sociaux, culturels, des chefs religieux et coutumiers, des jeunes et des femmes, afin d’échanger et de bâtir des consensus durables sur des questions majeures relatives à la vie nationale et à l’avenir du pays’’.

Babacar Diop, maire de Thiès : ‘’Il n’y a pas de conditions pour la mise en place d’un dialogue sincère’’

Le dernier qui a annoncé sa non-participation à ce dialogue est le maire de Thiès Babacar Diop. Le leader du parti Forces démocratiques du Sénégal (FDS/Guelwars) a estimé, hier, qu'il ‘’n’y a pas de conditions pour la mise en place d’un dialogue sincère, de la consolidation de la démocratie’’. Quelques conditions qui pourraient amener les choses à évoluer en ce sens sont : ‘’La libération des détenus politiques, la clarification des intentions du président de la République Macky Sall sur sa participation ou non à la Présidentielle et la promesse de ce dernier d’appliquer ce qui sera retenu au sortir de ces concertations.’’

A  ces quelques ‘’entraves’’, viennent s’ajouter les tensions autour du leader de l’opposition politique Ousmane Sonko. Son interpellation par la gendarmerie, dimanche dernier, alors qu’il effectuait sa ‘’Caravane de la liberté’’, son acheminement à son domicile à la cité Keur Gorgui de Dakar et son assignation à résidence sont à l’origine de plusieurs troubles dans plusieurs endroits de la capitale sénégalaise.

Autant de raisons qui ont poussé plusieurs formations politiques de l’opposition (coalition Yewwi Askan Wi) et de la société civile (plateforme F24) à refuser ce dialogue. 

Le parti du maire de Thiès va même plus loin et demande le report de ce dialogue, assimilable à un ‘’coup de force’’. ‘’Pour être un outil puissant permettant de construire un consensus fort en faveur du progrès commun, le dialogue doit entendre toutes les voix (même celles dissonantes), sans discrimination, ni oppression. Au moment où le président Macky Sall appelle au dialogue, le leader de l'opposition Ousmane Sonko est assigné à résidence, des journalistes sont emprisonnés, Aliou Sané de Y en a marre et vice-coordinateur de F24 a été arrêté’’, dénonce un communiqué de FDS/Guelwars.

Djibril Gningue, société civile : ‘’Le contexte actuel ne facilite pas la tenue d’un dialogue inclusif’’

Directeur exécutif de la Plateforme des acteurs de la société civile pour la transparence des élections (Pacte), Djibril Gningue a reçu une invitation officielle du protocole de la présidence de la République. Conformément à la posture de médiation et de facilitation défendue par son organisation dans l’apaisement des tensions politiques entre pouvoir et opposition, l'expert électoral estime logique et cohérent d’aller, au moins, à la cérémonie de lancement du dialogue national : ‘’Y aller (au dialogue) ne garantit pas la participation. Mais nous n’avons pas reçu les termes de référence. Ceux qui nous ont remis les invitations nous ont dit qu’ils travaillent dessus pour un avant-projet qui sera distribué aux participants.’’

Selon le ministre porte-parole du gouvernement, Abdou Karim Fofana, chacun est libre de venir avec les points de discussion qui l’intéresse. Malgré cela, le directeur exécutif de la Pacte reconnaît que le contexte actuel ‘’ne facilite pas la tenue d’un dialogue inclusif’’.

En effet, ces discussions, pour une quinzaine de jours, interviennent la veille du délibéré du verdict du procès pour viols visant le principal opposant au président de la République. Une condamnation pourrait priver Ousmane Sonko d’une participation à la Présidentielle du 24 février 2024, objectif que, selon lui, l’Exécutif cherche par un ‘’complot’’ le visant.  

Alioune Tine : ‘’Il faut arrêter l’escalade de la violence et observer la pause-dialogue’’

Fondateur d’AfrikaJom Center, Alioune Tine estime, lui aussi, que les tensions en cours ne permettent pas des discussions sereines autour de cette rencontre. ‘’Il faut qu’il y ait un minimum de conditions pour garantir le succès du dialogue politique. Les tensions et les violences actuelles ne créent pas les meilleures conditions de confiance et de sérénité pour dialoguer. Il faut arrêter l’escalade de la violence et observer la pause-dialogue’’, assure l’expert indépendant de l’ONU au Mali.

Toutefois, Djibril Gningue retient que le dialogue est l’occasion de parler de points qui intéressent la population. En effet, ‘’il y a la question du troisième mandat, de la modification des articles L29 et L30 du Code électoral, du processus électoral, de ses vulnérabilités et du parrainage’’, liste-t-il, entre autres questions électorales. Sans oublier les questions des libertés et des droits humains, des réformes institutionnelles et, plus important, de l’évaluation du dialogue politique de 2019 et des conclusions qui n’ont toujours pas été appliquées.

Ndiaga Sylla est un autre expert électoral qui a participé aux précédents dialogues de 2016 et de 2019. S’il n’a pas encore reçu de carton d’invitation pour assister au lancement du dialogue, il a déjà partagé ses convictions dans une lettre ouverte au président de la République, conclut comme suit : ‘’Excellence Monsieur le Président de la République, permettez que nous nous interrogeons sur l'environnement et le contexte assez tendu dans lequel le dialogue devra se dérouler, tout comme sur le champ, l’étendu et la finalité des concertations au vu de la séquence qui nous sépare de la prochaine élection présidentielle.’’

Ndiaga Sylla : ‘’Le  flou sur le troisième mandat…’’

Ces interrogations se fondent sur ‘’le flou entretenu sur votre mandat (qui) a bien un impact négatif sur l'image de notre modèle démocratique et la préservation de la stabilité et la paix sociale’’ ou encore du fait de ‘’la stabilité du pays et la cohésion sociale sont menacées, l'État se tait ! Or, lorsque des particuliers sont supposés agressés, il déroule sa redoutable machine’’.

Malgré cela, l’expert électoral invite les participants au dialogue à ‘’évaluer le niveau d'application des accords significatifs auxquels est parvenue la Commission cellulaire du dialogue politique’’ et de ‘’recenser et discuter (de) toutes questions nouvelles réalisables à court et moyen terme, et relativement au processus de l'élection présidentielle’’.

DIALOGUE NATIONAL

Taxawu Sénégal prend  la main tendue du pouvoir

C’était pressenti. C’est désormais officiel. Taxawu Sénégal va bien participer au lancement du dialogue national au palais de la République. Si la formation politique dirigée par Khalifa Sall avait déclaré attendre la décision de sa base militante pour répondre à l’appel du président de la République, celle-ci a donné son feu vert pour des discussions au sortir desquelles elle espère voir son leader obtenir le droit d’être candidat à la Présidentielle du 25 février 2024.

Selon le communiqué de presse publié par la cellule de communication, ‘’après avoir recueilli les positions de ses instances de base, Taxawu Sénégal a tenu une réunion de restitution et de synthèse pour acter sa décision sur l’appel au dialogue lancé par le président de la République. Il ressort de cette consultation à la base que l’ensemble des structures dans les départements au Sénégal et dans la diaspora, ainsi que les organisations et mouvements affiliés se sont exprimés en faveur de la participation de Taxawu Sénégal au dialogue’’.

Condamné en 2018 à 5 ans de prison ferme et à une amende de 5 millions F CFA pour détournement de deniers publics, Khalifa Sall reste inéligible, conséquence de sa radiation du fichier électoral avec cette peine de prison ferme.  La grâce présidentielle dont il a bénéficié après les élections de 2019, n’y change rien.

Une brèche pour la participation de Khalifa Sall

Raison pour laquelle sa capacité à participer à la course au palais dépend de la brèche ouverte par le président Macky Sall, le 22 avril dernier, lors de la célébration de la fête de Korité. Ce dernier l’avait lui-même laissé entendre, à cette occasion : ‘’Rien ne m’oblige à appeler au dialogue politique. Je sais juste que cela peut permettre à certains de revenir dans le jeu politique. Et si je ne le fais pas, ils ont beau dire qu’ils vont se présenter, mais ils ne seront pas candidats.’’

Mais la participation de Taxawu Sénégal au dialogue obéit à une constance dans une culture de dialogue. Car, assure la note, ‘’dans une démocratie, même en période de crise, le dialogue doit rester la voie de résolution des conflits et le principe pour bâtir un consensus autour des règles de pacification de la vie politique et de dévolution démocratique du pouvoir. D’ailleurs, au Sénégal, toutes les grandes avancées démocratiques ont été réalisées dans le cadre des concertations entre pouvoir et opposition’’.

Taxawu Sénégal espère que  le pays sortira de ce dialogue avec des solutions qui lui permettront de prendre la trajectoire d’un État de droit et d’une démocratie apaisée, gage de la paix et de la stabilité et du libre exercice des droits  des libertés individuelles et collectives, et de l’efficacité des politiques publiques. Un moyen d’y parvenir, à travers les positions que compte défendre la formation politique de l’ex-maire de Dakar, est le maintien des positions de l’opposition : ‘’Le combat contre la troisième candidature anticonstitutionnelle et illégitime du président Macky Sall, la libération des détenus arbitrairement arrêtés, la cessation des arrestations préventives, le respect des libertés publiques, l’organisation d’une élection présidentielle inclusive, transparente et démocratique’’, etc.

Taxawu toujours dans Yewwi

Taxawu Sénégal est la seule entité phare de la principale coalition de l’opposition, Yewwi Askan Wi, à participer au dialogue national. Une décision qui place son leader dans une position inconfortable au sein de la plateforme F24 qui a rejeté ce même dialogue et en tient un autre, parallèlement. Le principal objectif de F24 est de lutter contre un troisième mandat de Macky Sall. Malgré cela, la formation de Khalifa Sall réaffirme son ancrage au sein de ces deux coalitions.

Lamine Diouf

 

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