Publié le 27 Oct 2020 - 17:10
DEBARRASSER LA COTE D’IVOIRE DE SON ‘’DICTATEUR’’

L’opposition annonce ‘’une semaine décisive’’

 

Moins de six jours avant la date du scrutin présidentielle, l’opposition ivoirienne renforce son appel à la mobilisation. Elle estime qu’‘’Alassane Ouattara doit partir’’. Cette semaine s’annonce décisive.

 

L’objectif cette semaine, selon la Plateforme de l’opposition ivoirienne, est de ‘’libérer’’ la Côte d’Ivoire d’un dictateur. Si les opposants ne dévoilent pas encore leur stratégie pour arriver à un tel résultat, en conférence de presse hier, ils ont dépeint une semaine décisive pour la Côte d’Ivoire. Ça passe ou ça casse. De l’avis du porte-parole de la plateforme, ‘’le peuple ivoirien s’est approprié avec volontarisme et avec un courage remarquable le mot d’ordre de désobéissance civile. La mobilisation pour la désobéissance civile affole le régime. Il perd pied. Il perd pied, parce qu’il sait ses jours comptés. Il répond par une stratégie de la terre brûlée et de terreur sur les populations. Il piétine en vérité toutes nos valeurs d’hospitalité et de fraternité’’.

Offensif, Pascal Affi N’Guessan accuse le régime d’user de violence physique et institutionnelle dans le seul but de bâillonner le peuple. ‘’Notre pays est en danger. Il est en danger, parce que la réconciliation a été bradée, bâclée, ignorée par un clan de pyromanes. A la moindre étincelle, le pouvoir attise la haine et joue une ethnie contre une autre, au risque de déclencher des affrontements dont nous connaissons tous la dangerosité’’, alerte-t-il.

67 personnes tuées, 32 fusils et 234 machettes saisis

Au plan national, le bilan de la désobéissance civile s’est alourdit. Au total, 67 personnes ont perdu la vie, les forces de l’ordre ont saisi 32 fusils et 234 machettes. Hier encore, des manifestations ont eu lieu dans la commune de Cocody (village d’Akouédo), à Abengourou (est du pays, à 210 km d’Abidjan) et à Bondoukou (Nord-Est).

Face à ce tableau, les adversaires d’Ado persistent et signent : seuls les miliciens armés du régime sévissent depuis le début de cette crise. Un fait ‘’établi’’, selon l’opposition. Elle appelle donc les Ivoiriens à une montée en puissance de la désobéissance civile sur l’ensemble du territoire.

‘’Les Ivoiriens doivent vivre ces six jours dans la mobilisation et dans l’action pour arrêter Alassane Ouattara. Il ne nous laisse pas le choix. Vous avez constaté vous-mêmes sur le terrain la mobilisation des jeunes. Mais ce combat concerne tout le monde, ce n’est pas un combat partisan. C’est le combat pour l’avenir de notre démocratie, pour le rayonnement de notre nation, parce que la dictature a pris le dessus. Alassane, aujourd’hui, est isolé. Il faut que, par notre mobilisation, nous le contraignions à céder le pouvoir, à ouvrir un dialogue pour la démocratie et la liberté en Côte d’Ivoire’’, déclare le leader du Front populaire ivoirien. Au nom de la plateforme, il invite toutes les couches de la population à une mobilisation totale et massive.

‘’Il n’est pas possible de distribuer 41 % des cartes d’électeur’’

La distribution des cartes d’électeur a pris fin, le dimanche 25 octobre. Selon la Commission électorale indépendante (CEI), au total, 3 084 288 cartes ont été retirées sur 7 495 082, soit un taux de 41,15 % de distribution. Or, les événements récents ont paralysé le retrait des cartes dans 17 départements sur les 108 que compte le pays. Et dans plusieurs régions, les bureaux de vote ont fermé. Ce qui fait dire à l’opposition que ce taux de retrait est ‘’fictif’’.

‘’Il n’est pas possible de distribuer 41 % des cartes d’électeur, alors qu’on est condamné dans plusieurs départements à confectionner à nouveau des cartes d’électeur. C’est un taux qui est à l’image de ceux qui l’annoncent. C’est un taux fictif annoncé par une commission fictive. Donc, c’est comme si nous n’avons rien entendu, parce que tout ce que cette commission fait est illégal. La CEI n’est pas habilitée à organiser une élection en Côte d’Ivoire. Elle est contestée par la Cour africaine des Droits de l’homme et des peuples et par l’opposition. Nous considérons tous les actes de cette institution comme nuls et non avenus’’, affirme Pascal A. N’Guessan.

La CEI ne compte plus de représentants de l’opposition, depuis un mois. Les opposants estiment qu’elle n’est rien d’autre qu’un démembrement de l’Etat dirigé par le président sortant. En outre, au niveau du nombre de bureaux de vote mis sur pied, c’est la guerre des chiffres. Les autorités avaient annoncé la réduction de moitié des 22 381 bureaux, avant de se rétracter hier.  Le principe, cette année, était d’augmenter le nombre de bureaux de vote pour les rapprocher des citoyens. Ce qui devrait garantir une meilleure participation des Ivoiriens au scrutin.

Toutefois, ce projet s’est heurté aux effets de la désobéissance civile. Si, aujourd’hui, Alassane Ouattara décide de réduire le nombre de bureaux de vote, c’est parce qu’il s’est rendu compte, selon les opposants, qu’il ne peut organiser ce scrutin sur tout le territoire.

Et le porte-parole d’ajouter : ‘’Le mot d’ordre de désobéissance civile est une réalité. Il a du mal à distribuer les cartes. Alassane s’est rendu compte que, dans certaines régions, l’élection n’aura pas lieu, il n’y aura pas d’ouverture des bureaux de vote, il n’y aura donc pas d’élection. Il essaie de réduire, donc de s’acheminer vers l’arrêt du processus électoral. Nous sommes déterminés à faire en sorte que ces 10 000 bureaux de vote ne fonctionnent pas le jour J. Il a réduit de moitié, c’est sûr qu’il va réduire encore de moitié.’’  

Un coup d’Etat n’est pas à exclure

Plusieurs de nos sources militaires confirment la préparation en cours d’un coup d’Etat dans le pays. Deux versions nous sont revenues. Il se trouve que les Forces armées des forces nouvelles réclament, depuis un bon moment déjà, le reste des millions (primes de guerre) que le président leur a promis. On se souvient des mutineries de janvier et de mai 2017 qui ont éclaté pour la même raison. Cette promesse date de l’après crise post-électorale de 2010-2011.

Ainsi, ces 8 400 soldats mécontents pourraient se faire entendre d’une manière ou d’une autre. La seconde version invoque la théorie d’un auto-coup d’Etat monté de toutes pièces dans le but d’incriminer l’opposition ivoirienne. La communauté internationale sera, dans ce cas de figure, prise à témoin.

Interrogée sur la question, la plateforme s’est lavée à grande eau. ‘’ L’opposition n’a pas d’arme et n’a aucune autorité sur ces institutions que sont la police, la gendarmerie et l’armée. Comment l’opposition pourrait-elle faire un coup d’Etat ? Elle peut, à la limite, organiser une insurrection civile. Mais un coup d’Etat, ce sont les militaires qui en sont à la base’’, déclare son porte-parole.

Affi rappelle, par ailleurs, que le président Ouattara est le chef de l’armée et le chef de l’Administration. ‘’S’il y a une déstabilisation, il doit pouvoir maitriser sa propre armée. S’il a peur, cela veut dire qu’il ne gouverne pas avec sagesse, ni lucidité. Car s’il entend des bruits dans l’armée et qu’il craint un coup d’Etat, il sait ce qu’il a à faire pour que les bruits cessent. S’il ne le fait pas, qu’il ne s’étonne pas que les bruits s’amplifient. L’armée fait partie de la société ivoirienne et voit les sacrifices des populations. On l’appelle la ‘Grande muette’, mais nous savons tous ce qui arrive quand elle se met à parler’’, poursuit-il.

 L’opposition ivoirienne, une fois de plus, demande l’implication d’un facilitateur international et impartial dans la quête d’un dialogue productif. Pour l’heure, force est de constater que la communauté internationale refuse indirectement de s’impliquer dans la résolution du conflit. Elle est cette fois au banc des observateurs, à part ses quelques timides appels au calme et au consensus. Il semblerait que la question du troisième mandat d’Alassane Ouattara soit sur la liste des sujets tabous.

Conscients de cet état de fait, les adversaires du président ivoirien comptent se battre, avant d’espérer une aide extérieure. Selon leur porte-parole, celle-ci est ‘’souvent lente à agir, même s’il elle agit toujours’’. Pour le président du FPI, il va falloir porter le combat sans elle. ‘’C’est nous qui devons faire le premier pas. La libération de notre pays dépend d’abord de nous et l’intervention de la communauté internationale n’apparait que comme une caution qui légitime ce qui est déjà fait. La communauté internationale nous regarde et elle ne peut se battre à notre place. Nous savons qu’elle n’adhère pas à la politique d’Alassane, mais elle sait que c’est à nous de nous battre. Elle nous observe, en se demandant si c’est la dictature qui va gagner ou si c’est le peuple qui va l’emporter. Le plus important n’est pas de savoir de quel côté penche la communauté internationale. Le plus important est de continuer notre mobilisation’’.

PASCAL AFFI N’GUESSAN

‘’Nous n’avons pas su construire une démocratie adulte’’

‘’Abidjan est condamnée à bouger, parce qu’elle représente le cœur de la République. Tout un chacun doit se sentir concerné : homme politique, étudiant, élève, journaliste… Les six jours restants, nous devons tout faire pour gagner ce combat. Nous avons le devoir de gagner cette bataille, quoi que cela nous coûte. Alassane ne se bat pas pour la Côte d’Ivoire. Il se bat pour lui-même et pour ceux qui ont décidé de l’accompagner. Nous, nous nous battons pour la Côte d’Ivoire.

Nous nous battons pour la liberté, Nous nous battons pour les valeurs de la République, pour l’unité de la nation, pour la cohésion. Nous avons trop trainé. Nous n’avons pas su construire une démocratie adulte jusqu’à nous laisser distancer par nos voisins. Quand on regarde aujourd’hui les indicateurs, nous sommes loin derrière.  Il y a eu beaucoup de souffrances certes, mais tant que nous n’aurons pas vaincu le serpent de la division et de la dictature, nous ne nous arrêterons pas. Il faut que demain nous puissions dire que nous n’avons pas souffert en vain. Il faut continuer le combat et personne ne doit se considérer observateur. Nous sommes tous acteurs.

‘’Il n’y a aucune dictature facile à combattre. Ce régime a opté pour les agressions physiques, la mort. Si nous relâchons, la dictature va s’installer pour une longue durée. La Côte d’Ivoire a besoin d’être stable, pour pouvoir continuer à booster la CEDEAO et l’UEMOA de par son poids économique et politique. Nous osons espérer que le président de la CEDEAO, président du Ghana, ne va pas s’arrêter à cette médiation paresseuse et qu’il va prendre la mesure de ses responsabilités.’’

EMMANUELLLA MARAME FAYE (ENVOYEE SPECIALE A ABIDJAN)

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