Des liens d’histoire et de sang

Riches des deux cultures, Sara Mechate et Zoubida Berrada sont deux visages, identités remarquables d’un brassage de plusieurs centenaires.
Marocaine à Dakar, elle est sénégalaise à Fès. Elle, c'est Sara Mechate, née au Sénégal, il y a 25 ans, de parents originaires du Maroc. Elle précise avec beaucoup de fierté : ‘’Je suis née plus exactement à l'hôpital Saint-Jean de Dieu de Thiès. C’est quand j’avais 12 ans que j’ai été emmenée au Maroc par mes parents, qui avaient décidé de retourner au pays. C’était très difficile pour moi. J’ai beaucoup pleuré, parce que je ne connaissais que le Sénégal où j’avais mes amis. Et où je me plaisais beaucoup. Je m’étais alors fait la promesse de revenir un jour’’, lâche la jeune fille avec un sourire ravissant.
Chose promise, chose due. Une fois le baccalauréat en poche, Sara opte pour l’université de Dakar, parmi tant d’autres options. Un choix certes pédagogique, mais aussi et surtout sentimental. ‘’J’étais très contente à l’idée de pouvoir retrouver mes terres de naissance. Je n’ai pas hésité. D’autant plus que la faculté de Médecine de Dakar est une référence. J’ai tout de suite opté pour le Sénégal. Comme ça, non seulement je tiens la promesse que je m’étais faite, je retrouve ma terre natale et je suis sûre de ne pas trop me dépayser. C’est très important pour réussir son cursus’’.
Aujourd'hui, sa vie et celle de ses parents se chevauchent entre ses deux pays de cœur. Pour elle, ce pluralisme de culture, c’est une chance qui n’est pas donnée à tout le monde. ‘’Je me sens aussi marocaine que sénégalaise. J’ai obtenu ma carte nationale d’identité et mon passeport sénégalais. Je suis à l’aise dans mes deux pays ; au Sénégal plus même qu’au Maroc. Parce que, simplement, je passe plus de temps ici. Je me suis forgé ma personnalité ici. On m’a apporté beaucoup d’amour ici. Depuis toute petite, j’ai appris le wolof. On ne peut ne pas aimer le Sénégal, quand on connait ce pays. Je suis sénégalaise et fière’’, insiste l’ancienne pensionnaire de l’école maternelle La Mission libanaise et de Jeanne d’Arc, confortablement assise dans son studio sis au Plateau.
Sara et Zoubida, les visages de la diversité culturelle
Etudiante en journalisme (l’entretien a eu lieu alors qu’elle était encore étudiante au Cesti), Zoubida Berrada a presque fait le chemin inverse. Née au Maroc d’un père marocain et d’une mère sénégalaise, Zoubida est une véritable synthèse des deux cultures. A la question de savoir pour quel pays penche le plus son cœur, elle clame haut et fort : "Je suis 100 % marocaine, 100 % sénégalaise. Je ne suis pas 50/50."
Chez les Berrada, le brassage des deux cultures remonte à plusieurs décennies. Au début, c'était une simple question d'aventure, de migration et de commerce. Aujourd'hui, c'est surtout une affaire de sang, d'amour qui se transmet de génération en génération. Zoubida et ses frères sont une illustration parfaite de ce mélange. Leur grand-mère marocaine est enterrée à Saint-Louis, au nord du Sénégal. Leur grand-père au Maroc. Tous les deux vivaient dans la vieille ville sénégalaise d’où est né le père de Zoubida. Rentré au Maroc, ce dernier continue de nourrir une relation assez particulière avec le Sénégal. Il finira par trouver une belle Sénégalaise, appartenant à la communauté léboue de Dakar. Ensemble, ils auront trois enfants.
Issue de cette union, Zoubida est née au Maroc, a grandi au Maroc où vivaient ses deux parents. Jusqu'à l'âge de 12 ans. Sa mère décide alors de retourner au Sénégal. Comme Sara qui pleurait pour rester à Dakar, Zoubida est en larmes, car elle veut suivre sa maman dans son autre pays qu'elle chérit sans vraiment le connaître. Le père finit par donner son accord.
Au Sénégal, elle retrouve et sa famille maternelle et ses grands-parents paternels, aujourd’hui décédés. Elle confie : ‘’J’ai vraiment été éduquée dans cette belle atmosphère. A Dakar, chez ma mère, j’ai appris le wolof. A Saint-Louis, chez mes grands-parents, je pouvais rester en contact avec mon pays natal.’’
Riches de leur double culture, les binationaux sénégalo-marocains sont parfois confrontés à des crises de toutes sortes. Mais la plus grande difficulté, c'est d'être acceptées au Maroc comme elles sont. Dans le cas de Zoubida, c'était encore plus grave, à cause de sa peau noire. Elle racontait : ‘’J’étais souvent stigmatisée pour la nature de mes cheveux, la couleur de ma peau. Cela m’a beaucoup perturbée quand j’étais enfant. Mais grâce à mes parents, on a su faire face. Appartenir à deux cultures différentes, c’est une richesse énorme.’’
Cette crise, Sara l'a également connue. Mais dans une moindre mesure. ‘’J’étais toujours fière de clamer que je suis née à Dakar, en Afrique de l’Ouest. Certains ne connaissent pas et faisaient parfois des commentaires malveillants. Mais cela n’a jamais entamé ma fierté sénégalaise. J’ai toujours été très contente d’appartenir à ces deux belles cultures’’.
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SIDY MOHAMED LAHLOU
Du commerce de tissus à l’industrie pharmaceutique…
Président du Club des investisseurs marocains au Sénégal, co-fondateur, avec Amadou Mahtar Mbow, du Cercle d’amitié et de fraternité maroco-sénégalais, Sidy Mohamed Lahlou revient sur l’évolution et les défis de la coopération entre les deux pays.
Parlez-nous un peu de vous. Qui est Sidy Mohamed Lahlou ?
Je suis né à Fès. Comme vous le savez, les gens de Fès ont toujours eu un rapport un peu particulier avec le Sénégal. Les premiers Marocains qui avaient décidé de s’implanter au Sénégal sont des hommes d’affaires ou commerçants de Fès. Moi-même, j’avais ma famille, en l’occurrence mon oncle, installé au Sénégal avec sa famille. Depuis que je suis né, on me dit : ‘Tu es destiné pour le Sénégal.’ Je suis donc venu plus tard, à l’âge de 16 ans, pour terminer mes études et surtout faire du commerce ici au Sénégal. J’ai commencé donc avec l’affaire familiale, et à 20 ans, j’ai ouvert ma première boutique dans le textile. Par la suite, j’ai évolué dans pas mal de choses dont la vente de caviars. Je les achetais chez les marins russes et les revendais sur le marché. J’ai aussi été dans l’industrie pharmaceutique. La pose de la première pierre a été faite en 2004, en présence du président Abdoulaye Wade et du roi Mohamed VI. Et nous avons procédé à l’inauguration en 2013, en présence du président Macky Sall. Malheureusement, je suis sorti de cette affaire, parce que nos attentes n’étaient pas au rendez-vous.
Pourquoi ?
C’est à cause de l’importation des médicaments qui viennent d’ailleurs, alors qu’on peut les fabriquer ici. Je comprends parfaitement que la Pharmacie nationale d’approvisionnement cherche à avoir les meilleurs prix pour la population, mais nous estimons qu’il aurait été tout aussi pertinent d’accompagner l’industrie locale et miser sur la souveraineté pharmaceutique. Malheureusement, nous avons été laissés face à la concurrence étrangère, notamment indienne, et c’est un match perdu d’avance. Par exemple, quand on fabrique un million de boites, au moment où l’Inde en fait un milliard, ce n’est pas possible d’être au même prix. Je ne parle pas du coût de l’électricité et tous les autres intrants. Moi, je tablais sur le modèle marocain.
Avec le roi Hassan II, dans les années 1960, le Maroc avait bloqué toute importation de médicaments pouvant être fabriqués au Maroc. Il avait fait venir des multinationales qui fabriquaient les médicaments sur le territoire marocain et il les subventionnait pour les rendre moins chers. Aujourd’hui, le Maroc exporte 80 % de sa production de médicaments. Et 90 % de l’industrie pharmaceutique appartient à des Marocains, pas à des étrangers. Parce qu’ils ont eu le temps d’apprendre. C’est un peu le modèle que nous proposions. Malheureusement, ça n’a pas marché. Avec la Covid, les Etats sentent le besoin de travailler à cette souveraineté, mais il y a des choix à faire. Aujourd’hui, je suis plus dans l’équipement médical, en sus de mes activités traditionnelles.
Qu’est devenue la Convention d’établissement entre les deux pays signée en 1964 et quel impact sur l’établissement des investisseurs marocains au Sénégal ?
Elle est là, mais elle est devenue caduque depuis l’avènement de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Avec l’UEMOA, le Sénégal n’est plus libre de signer avec un pays, même frère, sans que l’UEMOA ne signe avec ce pays tiers. Il n’y a donc plus d’avantages tirés de cette convention. Maintenant, il y a le dynamisme des autorités marocaines qui font beaucoup d’efforts pour booster les échanges avec les pays de la sous-région, mais les résultats sont encore mitigés. Aussi, il faut souligner que le Sénégal est un pays très ouvert à tous les investisseurs. Les Marocains ont cet avantage supplémentaire d’avoir de très bonnes relations avec les autorités, avec les communautés. Nous avons une histoire commune, beaucoup de mélange entre les familles de part et d’autre… Il n’y a donc aucun problème pour s’installer au Sénégal.
Malgré ces avantages, on a l’impression quand même de sentir beaucoup plus les investisseurs français, chinois ou même turcs. Qu’est-ce qui peut l’expliquer ?
Pour la France, c’est une raison historique. Ils ont été les premiers à s’installer en Afrique francophone de manière générale. Ils ont aussi l’euro auquel est arrimé le franc CFA. C’est donc plus facile pour eux. Pour les Chinois, depuis qu’ils se sont enrichis, ils veulent avoir de la matière première ici en Afrique. Alors, ils font tout pour investir dans le continent, pas seulement pour gagner de l’argent, mais pour être présents. Ils peuvent déverser plusieurs milliards, juste pour être présents. Ce qui est compréhensible. Malheureusement, il y a les externalités négatives, avec parfois une concurrence qui n’est pas loyale. Mais ce n’est pas aussi grave. Ce n’est pas ce qui est de nature à décourager les Marocains qui, depuis l’avènement de Sa Majesté le Roi Mohamed VI, ont beaucoup progressé. D’ailleurs, il y a deux ans, le Maroc était le premier investisseur en Côte d’Ivoire, devant même la France. Pour le Sénégal aussi, il y a des progrès assez constants, avec l’ouverture notamment des banques marocaines (CBAO, Banque atlantique, BOA, ainsi que des banques d’Afrique). Mais si l’on tient compte de la nature de nos relations historiques et culturelles, on peut dire qu’on peut faire beaucoup mieux.
Par rapport au volume des échanges et des investissements entre le Sénégal et le Maroc ?
Le Sénégal est le 22e marché d’exportation en 2019 pour le Maroc et 83e marché d’importation. C’est 0,8 % des exportations marocaines dans le monde. Maintenant, je pense que la Zlecaf pourrait être un excellent levier pour développer ces échanges intra-africains qui ne dépassent pas 17 % en ce moment. Malheureusement, ça traine toujours. Les principaux produits importés du Maroc, c’est l’engrais (50 millions de dollars), l’acier (30 millions de dollars), l’équipement électrique (plus de 30 millions de dollars). Il y a également le papier, le carton, l’aluminium, les médicaments, ainsi que les fruits et légumes qui se développent de plus en plus.
Quels sont les secteurs où les investisseurs marocains pourraient s’imposer davantage ?
Les Marocains ont une grande expertise en matière d’agriculture, d’aquaculture et de pisciculture. Le Sénégal a des terres arables très fertiles et les Marocains disposent d’une très grande expérience. On pourrait les encourager à venir. Je pense que tout le monde y gagnerait. Je constate qu’il y a une tendance à la hausse des importations du Sénégal, pour les agrumes, les légumes… Au lieu de recevoir du Maroc des containers et des containers de ces produits, pourquoi pas investir ici et augmenter la production locale. Les Marocains sont prêts à s’y investir. Il y a encore beaucoup à faire, mais nous sommes optimistes, parce que les autorités sont assez volontaristes. Nous avons beaucoup espoir au Groupe d’impulsion économique commun mis en place par les autorités pour booster les échanges.