Publié le 2 Apr 2024 - 17:13
DETTE EXTÉRIEURE

Le cycle infernal

 

Entre le pillage de ses ressources et le transfert massif des profits et dividendes par les multinationales, l’Afrique est mal partie pour se départir du ‘’système dette’’. Lors de la conférence internationale sur la crise de la dette à Accra, Dr Ndongo Samba Sylla est revenu sur les causes profondes du mal de la dette et sur les voies et moyens pour sortir de ce mal endémique.

 

Les thérapies se multiplient, mais le malade ne guérit pas. Sa situation va même de mal en pis. À Accra, du 27 au 29 mars, se sont réunies des sommités du monde de l’économie et des finances pour se pencher sur la crise de la dette qui frappe l’Afrique depuis des années et qui ne cesse de s’aggraver. Responsable de la Recherche et de la Politique pour la région Afrique de l’organisation IDEAs (International Development Economics Associates), le Sénégalais Ndongo Samba Sylla est revenu sur les raisons qui maintiennent les pays africains dans ce mal chronique qu’est le ‘’système dette’’, malgré les nombreuses initiatives de restructuration ou d’annulation.

Il ressort du diagnostic fait par le spécialiste que la communauté internationale fait généralement fausse route dans la prise en charge de cette problématique. Il prévient : ‘’Les formes les plus généreuses de restructuration de la dette, comme l’abolition totale du stock de dette souveraine extérieure, ne seraient pas suffisantes pour abolir le système dette, c’est-à-dire les conditions structurelles qui maintiennent les pays du Sud dans ce piège de la dette...’’

Le FMI, à suivre son raisonnement, a toujours mis en œuvre des solutions qui n’en sont pas et qui, au lieu d’aider les pays à se tirer du gouffre, les y enfoncent.

Très souvent, on se focalise sur le stock important de la dette. Pourtant, selon les statistiques mises en exergue par Dr Sylla, le niveau de la dette des pays africains n’est rien comparé au niveau de la dette dans certains pays du Nord. En 2021, fait-il remarquer, la dette extérieure globale de 131 pays classés parmi les pays à faible et à revenu intermédiaire était estimée à 2 600 milliards de dollars. Un montant inférieur à la dette extérieure de la seule Allemagne. ‘’Pour l’Afrique subsaharienne, indique-t-il, la dette était estimée à 471 milliards. Cela veut dire qu’en termes absolus, ce n’est pas aussi important qu’on le prétend…’’

Ainsi, si l’on en croit l’expert, le problème est plus systémique et qu’il urge de changer de paradigme pour une prise en charge plus efficace. ‘’Tant qu’on ne trouvera pas de solution par rapport à cette structure qui maintient les pays dans une situation de dépendance, toute stratégie de restructuration de la dette ne risque que de s’attaquer au phénomène superficiel, mais pas au système dette’’, a-t-il ajouté.  

La racine du mal

Revenant sur les causes profondes à l’origine de ce système, Dr Sylla invoque deux aspects qu’il juge fondamentaux. D’une part, les transferts de profits et de dividendes par les multinationales. D’autre part, le pillage des ressources à travers les flux financiers illicites. À son avis, ‘’on ne peut comprendre les dynamiques de dette souveraine sans tenir compte de ces transferts de profits et de dividendes orchestrés par les multinationales, mais aussi du pillage des ressources africaines. Les pays africains riches en ressources naturelles ont des problèmes à cause de ce double facteur qui les prive de réserves importantes et les pousse à s’endetter en monnaie étrangère’’.

L’exemple le plus éloquent, c’est la situation de la Zambie qui a fait défaut de paiement en 2020. L’économiste a montré, statistiques à l’appui, comment la ‘’dénationalisation’’ du secteur du cuivre dans les années 1990 a engendré des fuites de capitaux énormes au détriment de ce pays de l’Afrique australe. ‘’La crise de la dette, affirme-t-il, est le résultat de la manière dont la dette a été restructurée à la fin des années 1990. Le FMI et la Banque mondiale ont dit au pays : oui, on va restructurer la dette, mais vous devez privatiser votre secteur du cuivre qui vous rapporte vos revenus extérieurs. De ce fait, les bénéfices du secteur après le boom des matières premières ne sont plus captés par l’économie zambienne. Les cumuls des transferts de profit et de dividendes sont passés d’un milliard de dollars sur la période 2000-2005 à 5,5 milliards sur la période 2006-2010’’.

Ces faux diagnostics du FMI qui enfoncent les pays dans le système dette

Et ce n’est pas tout, dans son rapport 2023, renchérit Dr Ndongo Samba Sylla, le FMI dit qu’il y a des fuites sur la balance des paiements ; à peu près 1/3 des revenus d’exportation durant les cinq dernières années, parfois ça peut atteindre 20 % du PIB. ‘’En 2020-2021, 50 à 80 %  des revenus d’exportation n’ont pas été rapatriés. Il ne faut donc pas s’étonner que le pays ait des difficultés. On ne devrait pas en ce moment parler de la dette zambienne. La Zambie, à mon avis, devrait avoir des réparations par rapport à tous ces pillages’’.

Le même diagnostic a également été fait pour le Ghana, dont la situation n’est guère meilleure avec la mainmise des compagnies étrangères sur des secteurs comme la grande distribution.  

Les politiques jusque-là promues par le FMI, explique le chercheur d’IDEAs, entraînent la fuite des réserves au détriment des pays en développement. La priorité du FMI, souligne-t-il, ‘’est de dire que ces réserves doivent être utilisées pour les investisseurs directs étrangers, pour les créanciers’’. Or, les pays ont ‘’besoin de dollars pour acheter des biens et services à l’extérieur’’. Malheureusement, constate-t-il, leurs ‘’revenus extérieurs proviennent du secteur extractif contrôlé par les multinationales’’. En principe, ces dernières doivent rapatrier les réserves sous le contrôle des banques centrales, mais souvent, elles réussissent à passer entre les mailles du filet.

La voie du salut

En attendant une réforme significative du système financier et du système de taxation, soutient Dr Sylla, il y a des choses que les pays peuvent faire. ‘’Tout ce qu’il faut, c’est assurer un contrôle technique et fiscal sur les secteurs exportateurs et sur le secteur financier. Ils peuvent aussi atténuer le problème des paiements internationaux en négociant notamment la possibilité de faire du commerce dans leur propre monnaie. C’est possible dans le monde multipolaire dans lequel on est. Aussi, il faut privilégier un modèle de développement basé sur des choses que nous pouvons faire nous-mêmes pour nous développer nous-mêmes. Quand il s’agit de faire des projets importants qui ne génèrent pas des dollars, faire très attention dans les formes de financement adéquat’’.

Par ailleurs, l’expert sénégalais a tenu à montrer qu’être exportateur de matières premières n’est pas forcément synonyme de pauvreté ou d’obligation de recourir à un endettement excessif. ‘’Si les ressources étaient bien gérées avec une fiscalité appropriée, beaucoup de pays africains ne seraient pas dans la nécessité d’émettre des dettes en monnaie étrangère, en tout cas pas dans certaines proportions et avec des conditions si léonines’’, a insisté Dr Ndongo Samba Sylla.

Un boulet sur la table du nouveau régime

Sur la table du nouveau président de la République, la dette occupera sans doute une place de choix. Dans le budget 2024, il est autorisé au ministre chargé des Finances de contracter des emprunts et de lever des ressources de trésorerie pour un montant total de 2 442 133 618 000 F CFA. ‘’Ces opérations de trésorerie pourront être contractées soit sur le marché national, soit sur le marché extérieur auprès de pays ou organismes étrangers et auprès d’organismes internationaux à des conditions fixées par décret ou par convention’’, lit-on dans la loi de finances.

Pendant un moment, le service de la dette a soulevé la polémique au point de pousser le ministre des Finances à monter au créneau pour apporter des clarifications.

À l’en croire, l’État doit, en fait, débourser, au titre du service de la dette 1 826,5 milliards de francs CFA. Pour lui, la situation est largement soutenable. ‘’C’est le Fonds monétaire international (FMI) qui a fait l’analyse de viabilité de la dette (AVD) du Sénégal et qui conclut que notre pays présente un profil de risque de surendettement modéré, compte tenu des indicateurs de viabilité de la dette et des indicateurs de liquidité de la dette pour lesquels les seuils sont respectés par le Sénégal. En Afrique, a-t-il ajouté, sur les 55 pays, il y a 15 pays à risque de surendettement modéré et parmi eux le Sénégal’’, tentait-il de rassurer.

Malgré ces assurances, ils ont été nombreux les experts à regretter l’absence d’information sur le stock de la dette. En sus des autorisations de rechercher des financements à hauteur de plus de 2 000 milliards du service de la dette estimé à plus de 1 820 milliards, la loi des finances faisait état d’un montant de 578,3 milliards de francs CFA, rien que pour les intérêts de la dette.

MOR AMAR

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