"Il faut organiser les assises historiques de la gouvernance en Afrique"

Pour l'ancien ministre des Affaires étrangères sous Wade, la crise qui secoue la CEDEAO est une défaite et il urge aux dirigeants de se parler pour trouver une solution.
Venu prendre part au Forum panafricain des jeunes leaders organisé dans le cadre de la célébration de la Journée des migrants dont il était parrain, l’ancien ministre des Affaires étrangères du Sénégal s'est prononcé sur la crise qui secoue la CEDEAO, avec trois pays qui menacent de quitter l’organisation.
Pour le président de l'Institut panafricain de stratégie, paix, sécurité et gouvernance, la situation actuelle est vraiment inconfortable pour cette partie de l'Afrique. D'après le Dr Cheikh Tidiane Gadio, il s’agit d’une question douloureuse et les réponses existantes ne lui conviennent pas.
"Pour nous, la rupture définitive entre le Mali, le Burkina Faso et le Niger, d'une part, et le reste de la CEDEAO, ce n'est pas une option. Ça prendra le temps qu'il faut pour panser les blessures et régler les problèmes, mais nous allons rester ensemble. Nous avons acquis ces 15 pays d'Afrique qui ont construit ensemble la CEDEAO. La CEDEAO, me semble-t-il, comme l'avait prédit Cheikh Anta Diop en 1975, à sa naissance, a atteint ses limites historiques. Elle doit maintenant faire un pas gigantesque vers l'État fédéral ouest-africain. C'est cela qu'il fallait faire. Comme nous ne l'avons pas fait, les contradictions se sont accumulées, les problèmes de gouvernance se sont intensifiés et d'autres États ont attaqué, soi-disant les États putschistes", diagnostique le Dr Gadio.
Il est d'avis que, bien que ce soient des militaires putschistes qui aient pris le pouvoir dans ces trois États, les coups d'État et les autres formes de coups d'État (constitutionnels, électoraux, etc.) ne doivent pas être considérés comme les seuls problèmes de gouvernance en Afrique. "Rien ne nous empêche d'organiser les assises de la gouvernance en Afrique, des assises historiques. Si nous ne pouvons pas le faire au plan continental, faisons-le au moins au plan régional. Au lieu de convoquer un sommet de la CEDEAO pour constater qu'il y a trois pays qui veulent partir, il faut organiser un sommet ou des assises historiques de la gouvernance en Afrique’’.
Ainsi, il prône le dialogue. ‘’En Afrique de l'Ouest, nous devons nous parler, que les militaires entrent dans la salle, qu'ils viennent parler, que les civils viennent parler et que nous nous réconciliions d'abord. Nous devons réconcilier les cœurs et les esprits afin de rester ensemble. Pour moi, il est hors de question d'accepter que deux ou trois pays africains sortent de l'ensemble. C'est une défaite pour nous. Et nous ne sommes pas pour les défaites, nous sommes pour les victoires. Cheikh Anta Diop aurait souhaité que nous ayons les États-Unis d'Afrique de l'Ouest, au lieu d'avoir des États divisés en plusieurs morceaux et ensuite divisés en associations des États du Sahel".
A son avis, il est urgent de comprendre que l'Afrique n'a plus le choix. "Nous n'avons pas le temps. Le temps court contre nous. Tout le monde s'organise. L'Inde, qui était une puissance du Tiers-monde, avec plein de difficultés, est aujourd'hui dans le peloton de tête. La Chine est dans le peloton de tête. Qu'est-ce que l'Afrique attend pour s'unir et créer l'État fédéral africain, au niveau régional ou continental ? Mais il faut aller vite. Les divisions ne marchent pas. Comme je l'ai dit, les plans de lutte contre le terrorisme, oui, chaque État a son plan national de lutte contre le terrorisme. Ce n'est pas bien, car cela ne donne pas de résultats".
"Je propose un plan Marshall pour la jeunesse africaine"
Concernant la jeunesse africaine, le Dr Gadio souligne : "On dit que c'est la petite n°1 du continent. Qu'est-ce qu'on fait de cette jeunesse ? C'est un gâchis. On leur dit que nous allons organiser des emplois, des start-ups, des financements, mais cela n'a pas donné de résultats. Pourquoi ? Parce que ce sont des solutions parcellaires à un problème de fond. Un problème de fond mérite des solutions de fond. Il faut avoir le courage de constater que ce que nous devrions faire pour que nos diplômés, nos jeunes, quel que soit leur niveau de formation, aient le droit à l'espoir, à l'avenir, à un grand futur, cela n'existe pas.’’
Il ajoute : ‘’La confiance est rompue. Les jeunes ne croient plus en nos pays, ils ne croient plus en nos États et ils veulent partir à tout prix. Ils ne rêvent même pas d'Eldorado. Ils savent ce qui les attend là-bas, dans ces pays où ils vont être rejetés, maltraités, dormir sous des ponts, dans des autoroutes, dans la rue. Ils le savent, mais ils préfèrent partir pour leur dignité. C'est devenu une question de dignité, de refus de l'humiliation. Vous vivez dans des pays extrêmement riches où des milliards circulent chaque jour et on vous dit que vous êtes pauvres. Vous refusez de l'accepter."
Le Sénégal, le Congo et le Mali, persiste-t-il, ne sont pas des pays pauvres. "On les a présentés comme des pays pauvres, on l'a intériorisé, on l'a accepté. Nous avons été appauvris, notre développement a été bloqué, arrêté. Il faut arrêter tout ça. Il faut des dirigeants courageux, qui marquent la rupture. C'est cela que j'appelle le nouveau leadership. La crise du leadership en Afrique entraîne la crise de la jeunesse, de l'économie et toutes les autres crises. Donc, je propose un plan Marshall pour la jeunesse africaine’’.
Il explique : ‘’Un plan Marshall, c'est-à-dire venir avec des solutions innovantes. Mais ce plan Marshall doit être pensé, développé et défendu d'abord par les jeunes. Si nous allons à une tribune où nous avons un plan Marshall, un sommet sur le plan Marshall pour les jeunes et que sur 50 intervenants, vous avez deux jeunes et 48 personnes du deuxième et du troisième âge, cela n'a aucun sens. Il faut laisser les jeunes parler. Je vous jure qu'ils ont l'innovation dans le cœur. Ils ont l'intelligence des situations. Ils sont comme les jeunes Américains, Européens, Australiens, etc. Si on leur donne une chance, ils montrent leur talent."
Ainsi, selon l'ancien ministre, le panafricanisme et le fédéralisme sont les deux ingrédients qui vont sauver l'Afrique.
CHEIKH THIAM