Publié le 18 Jun 2014 - 13:26
ELECTIONS LOCALES

De la lettre à l’esprit

 

Une fois encore le Sénégal va devoir  écrire une nouvelle page de son histoire politique à travers ces élections locales qui battent déjà leur plein. Que d’euphorie et de passion autour de ces joutes donnant l’impression que l’histoire se répète. Les mêmes acteurs jouant les mêmes rôles dans une logique de cercle vicieux où l’on ne se pose pas trop de questions. Or ce n’est  là que réside la question, la vraie, nous semble t-il ! à savoir : sommes –nous suffisamment pénétrés de l’esprit des élections locales ?

En observant le champ politique dans lequel se déploient les acteurs, l’on peut très vite conclure ou répondre par l’affirmative. Tant la mobilisation des états majors politiques est grande, débordante. En vérité, une telle attitude serait alors jugée simpliste voire réductrice. Faudrait-il, dès lors, interroger d’autres facteurs qui nous semblent plus aptes à nous en donner des réponses acceptables.

L’avènement de la décentralisation a été une heureuse occasion pour les populations de notre pays de s’impliquer progressivement dans la gestion des affaires de leur terroir. Le processus, ainsi, enclenché dans sa forme moderne, au lendemain des indépendances s’est poursuivi en s’approfondissant avec diverses fortunes.  Les consensus réalisés par les acteurs politiques sur des textes organisant le transfert de compétences aux collectivités locales ont sans doute été de grands moments d’effervescence démocratique et populaire.

En témoigne, le dernier acte dit Acte III de la décentralisation, en dépit, des divergences apparues dans les choix qui, à mon sens, sont inhérentes à tout changement de paradigme. Aussi, les textes nous semblent de plus en plus maîtrisés par les acteurs grâce à l’accompagnement technique de l’Etat, de la société civile et des partenaires techniques et financiers à travers des programmes de renforcement de capacités.

Les communautés et leurs élus locaux sont, ainsi, mis devant leurs responsabilités qu’il n’assument pas toujours de manière convenable. Ce qui constitue déjà un problème majeur.

Choisir les meilleurs profils de candidat, accroître veille et contrôle citoyens

Promouvoir la gouvernance et la démocratie locales, rapprocher l’administration des administrés, diligenter les réponses aux questions locales et travailler au développement local, tels sont, entre autres, les missions assignées aux collectivités locales. Mais au-delà des mots, il y a lieu d’interroger les pratiques en cours pour se convaincre de la profondeur du fossé qui sépare la lettre de l’esprit des élections locales. A ce propos, il serait intéressant de poser un regard critique sur le comportement des mandants et des mandataires.

Au Sénégal, les mandants communément appelés électeurs ne semblent pas toujours prendre la mesure exacte de leurs responsabilités dans la qualité du choix de leurs élus. Sont-ils davantage enclins à subir le jeu pour finalement perdre les enjeux. La campagne électorale nous offre, hélas, ce spectacle regrettable de militants menés à l’image de Panurge et ses moutons. Et dans la conscience de larges couches de la population, le pouvoir local est l’apanage des acteurs politiques.

Ce qui est une vraie méconnaissance de l’esprit de la décentralisation qui pose la réalité du  pouvoir local entre les mains des populations locales. C’est en cela que ces élections ne devraient pas passer pour une promenade de santé. En effet, elles constituent un grand rendez-vous historique au cours duquel les populations sont mises devant leur responsabilité et l’histoire : celle de choisir les meilleurs profils de candidat pour conduire les affaires de leurs collectivités avec efficacité et efficience. Cet exercice pour le moins exigeant repose sur des préalables résultant de ruptures à opérer.

L’électeur doit d’abord réaliser qu’il est dans un siècle appelé celui du citoyen, une ère où le citoyen n’est plus passif mais actif au nom du devoir de participation responsable qu’il doit remplir pour honorer sa dette de citoyenneté. Sa place dans le dispositif est considérable. Sous ce rapport, les véritables acteurs de la gouvernance, partant, du changement sont les mandants. La veille et le contrôle citoyens étant de leur ressort. De plus en plus, en effet, les citoyens ne devraient faire confiance qu’à des acteurs connus pour leur engagement et leur militantisme.

Il ne s’agit pas seulement d’acteurs politiques mais de citoyens dont la légitimité se mesure à l’aune de leur implication désintéressée dans la bonne marche et au développement de leurs localités. C’est dire qu’il n’est guère rassurant de porter à la tête d’une collectivité locale des conseillers qui sortent du néant, des gens qui ont déserté « la hideur de ses plaies » comme dirait le poète martiniquais Aimé Césaire. Il faut avoir partagé une histoire intéressante avec l’électorat dont on veut solliciter les suffrages, pensons-nous.

En vérité, l’heure du choix mature est arrivée. Elle doit conduire à une nouvelle rationalité promouvant la culture du résultat et la reddition des comptes. A cet égard, la nouvelle mandature qui s’ouvre doit donner lieu à l’émergence d’une citoyenneté locale très active, engagée, responsable et critique. Une véritable force de veille et de proposition, s’entend !

Faire de la collectivité locale une maison de verre

Si les mandants sont les donneurs de légitimité et font confiance, les mandataires sont ceux –là qui n’ont pas le droit de trahir la confiance placée en eux. Même si l’histoire politique, en la matière, ne rassure guère, force est de constater qu’il est atteint un point de non retour où les élus sont sommés de faire montre d’une conscience élevée de leur responsabilité.

Il y a quelques décennies, les élus ne semblaient avoir de compte à rendre aux populations tant leurs personnalisation et patrimonialisation du pouvoir local étaient à leur comble. Connaissons-nous bien l’histoire de ces maires qui de la délégation de pouvoirs en usent et en abusent. Ces comportements et leurs effets pervers ont contribué à dévaloriser principalement nos institutions municipales et à discréditer l’image des élus. Les mairies offrant le spectacle de place publique et de foire d’empoigne.

Ces pratiques « odieuses » d’un autre siècle méritent d’être abolies  pour que règne le renouveau que le peuple sénégalais appelle de tous ses vœux. Les acteurs politiques sont, ainsi, interpellés car ce changement de comportement les concerne au premier chef.

Il s’agit pour nos élus de donner la preuve qu’ils sont  au service de leurs mandants. Et ce, en donnant vie aux principes édictés par l’Etat du Sénégal dans le cadre de la décentralisation, en apportant des réponses concrètes aux préoccupations des populations. Aussi, les collectivités locales devraient, désormais, être des maisons de verre pour rassurer les populations dans les actes de gestion qu’elles posent. Ce qui est possible par la mise en œuvre des politiques efficaces de communication sociale et institutionnelle. 

En définitive, les hommes ont toujours du génie pour élaborer des textes des plus parfaits mais manquent trop souvent de grandeur et de générosité dans leur mise en œuvre. C’est dans l’humanisme et l’optimisme de la volonté que les peuples se relèvent, se maintiennent et progressent. C’est aussi dans son patrimoine et son génie propres que le peuple sénégalais puisera les moyens d’un sursaut politique, socio-économique et culturel salutaire. C’est tout le sens qu’il y a de savoir passer de la lettre à l’esprit.

 

Dr Elhadji Babacar MBENGUE

Spécialiste des relations internationales

elhadjibabacarm@yahoo.fr

 

Section: 
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