Publié le 28 Sep 2018 - 23:25
EN PRIVE AVEC MOONA YANNI (ARTISTE)

‘’Il faut que les gens soient fiers de ce qu’ils sont’’

 

Elle est jeune, belle et très pertinente. Africaine jusqu’au bout des ongles, elle est très engagée sur les questions liées à l’identité. Dans son dernier single, elle s’est réappropriée un des célèbres textes de Malcom X, ‘’Qui vous a appris’’, pour parler de fléaux qui minent le continent noir. ‘’Qui’’ est le titre de ce single. Le texte est fort posé sur un super beat et rappé avec une technicité nette. Dans cet entretien accordé à ‘’EnQuête’’, Moona Yanni parle de ‘’Qui’’, de son contrat avec Sony Music Afrique. Et de sa participation dans la catégorie Chant aux  derniers Jeux de la Francophonie.

 

Parlez-nous de votre dernier single sorti le 21 septembre passé.

Il s’intitule ‘’Qui’’ et est basé sur un texte de Malcom X, ‘’Who taught you to hate yourself’’ (Ndlr : Qui vous a appris à vous détester, en langue anglaise). Généralement, j’écris sur ce qui me touche. Parfois, c’est ce que je vis ; parfois, ce que d’autres vivent. J’ai l’habitude de faire des recherches sur diverses choses, en tentant de recouper les informations que j’ai. Je sais que j’ai quelques lacunes et j’essaie ainsi de les combler. En faisant des recherches, je suis tombée, un jour, sur ce discours de Malcom X. Il a été tenu il y a plusieurs dizaines d’années, mais il est toujours d’actualité. C’est une réconciliation avec lui-même, de ce que nous sommes quand on est venu au monde et on nous a fait croire que ce n’est pas bien. C’est un discours, pour moi, qui est plus que d’actualité. Je l’ai réadapté et je suis allée au-delà de la thématique du discours. J’ai fait un petit tour d’horizon sur la situation des pays d’Afrique.

Quelle partie de ce discours vous parle le plus ou dans laquelle vous reconnaissez-vous ?

Je me reconnais dans tout ce discours. Ce ‘’je’’ là, c’est nous. Donc, nous pouvons tous nous y reconnaître et ce n’est pas forcément moi. Il est vrai que je ne me suis jamais dépigmentée. Mais, pendant très longtemps, je me suis défrisée les cheveux. Ce n’est pas pour autant que je considère que celles qui le font sont des sorcières ou de mauvaises personnes. Je ne suis même pas dans ce délire-là. Mon discours n’est pas exclusif. Il est plutôt inclusif. Il est également une introspection, parce qu’on naît dans des sociétés et on suit le mouvement.

Ce n’est pas tout le temps qu’on se pose des questions et je pense que, vu que la situation ne s’améliore pas dans nos sociétés, les comportements sont de plus en plus violents, parce qu’on manipule les couches désespérées à des fins purement financières. Il faut travailler sur le mental, d’abord. Il faut que les gens soient fiers de ce qu’ils sont pour pouvoir se projeter dans l’avenir. Cela peut peut-être paraitre bizarre, mais, personnellement, depuis que j’ai mes vrais cheveux, je me sens plus forte. Cela ne veut pas dire que celles qui se défrisent ne le sont pas. Attention ! Il y a des  gens qui ont des cheveux crépus et qui ne sont pas forcément intéressés par ce qui se passe dans leurs pays. Il y en a qui ont les cheveux défrisés et qui sont de grands activistes. J’explique tout cela pour que les gens comprennent que ce n’est pas une critique, mais un appel à l’introspection, à se demander pourquoi on est dans cette mouvance, pourquoi on le fait. Très rapidement, on se rend compte qu’on nous a souvent dit que pour être belle, il faut être comme tel. On se perd de vue parce qu’on se mue tellement qu’à un moment, on s’éloigne de ce que l’on est vraiment. C’est normal d’avoir des problèmes après, car on doit se battre contre l’environnement qui est hostile, contre tous les oppresseurs, mais également contre nous-mêmes. A un moment, il faut faire la paix avec soi.

Vous prenez beaucoup de précautions dans vos propos. Est-ce parce que vous parlez de fléaux touchant généralement les femmes et que vous en êtes une ?

Je ne veux pas frustrer et ce n’est pas cela mon but. Généralement, le problème ce n’est pas le message, mais le messager. Franchement, c’est toujours avec beaucoup d’humilité que je viens vers les gens. Je n’ai pas la prétention de tout savoir. J’apporte juste une contribution. Cela peut être également considéré comme un questionnement. Je pense que dans toute entreprise, qu’elle soit humaine, financière ou sociale, il faut toujours un bilan, un moment. A un moment, il faut toujours s’arrêter et se poser les bonnes questions : où je vais, avec qui je vais, etc. Je ne prends pas forcément de précautions en vous parlant, mais j’ai une expérience de la vie qui me permet de voir au-delà de l’apparence. Les gens ne sont pas ce qu’ils paraissent et parfois ne paraissent pas ce qu’ils sont. Il n’y a rien qui est absolument blanc ou noir, à part Dieu qui est Dieu. La vie est très relative. Le monde des artistes est bourré de préjugés, donc on ne va pas nourrir de préjugés sur d’autres, alors qu’on a été victime de ça. Ma démarche est toujours inclusive. Pour certaines choses comme le néocolonialisme, la guerre, bombarder des pays pour des intérêts, je ne discute pas. Je trouve que ce sont des choses mauvaises et quand j’en parle, je ne mets pas de l’eau dans mon ‘’bissap’’ (elle rit).

Qu’est-ce qui est prévu pour la promotion de ‘’Qui’’ ?

Vous n’êtes pas sans savoir que j’ai signé depuis l’année dernière à Sony Music. Donc, il y a beaucoup de choses dont je ne m’occupe plus, Dieu merci. Il y a un staff pour ça. Le mois prochain, on a un Ep (un maxi) qui sort, là on va essayer de mettre la chanson dans tous les médias où c’est possible, faire tourner le titre et dire aux gens qu’il y a quelque chose qui se prépare.

Concrètement, qu’est-ce qu’intégrer Sony Music a changé dans votre carrière ?

Je peux être artiste aujourd’hui et ne faire que ça. Avant, j’étais artiste, community manager, attachée de presse, etc. Je réfléchissais sur diverses choses. A un moment, cela tue la créativité parce qu’on court derrière l’alimentaire. A un moment, on s’épuise. C’est pour cela que j’avais fait une pause de quelques années avant de reprendre, il y a deux ans, parce que j’étais essoufflée. J’étais fatiguée parce qu’obligée de tout faire. Quand des gens bossaient avec moi, au bout de 24 heures, ils s’en allaient, parce que j’avais une vision, une manière de voir les choses.

Aujourd’hui, je me concentre sur ma musique, mes textes. Il y a des gens pour s’occuper du reste. J’ai du temps pour ma musique et c’est quelque chose d’important pour moi. Autre chose : quand j’ai un projet, on me demande avec qui je veux travailler et après Sony contacte la personne en question à cet effet. C’est ainsi que cela se passe à tous les niveaux. Il est vrai que dans certains majors, il n’y a pas ce genre de rapport avec les artistes. Ils imposent à leurs artistes quoi faire. Moi, la chance que j’ai, c’est que le Pdg de Sony Music Afrique, c’est José Da Silva et c’est un homme de la musique qui connaît les réalités africaines. C’est un homme qui a beaucoup de respect pour les artistes. Il veut que les artistes soient à l’aise par rapport à leurs propres produits.

L’Ep sera-t-il sur le même ton que ‘’Qui’’ ?

Ce sera du rap. Le rap me permet une certaine liberté dans l’écriture et de développer des thématiques diverses. ‘’Qui’’ est un avant-goût de cet Ep, même si tous les titres ne sont pas engagés comme ce dernier. Maintenant, il est vrai qu’il y a d’autres sonorités dans cet album à venir, mais la ligne directrice reste le rap. Il peut être mélangé avec un peu de soul, de l’afrobeat, etc. Pour les thématiques, je parle de choses dont j’ai l’habitude de parler. Moi, je ne suis qu’amour, espoir, folie et africanité.

Vous avez travaillé cette année sur le projet Free Voices. Comment avez-vous pu préparer en même temps votre Ep ?

Il est vrai que les gens de Sony étaient hyper speed l’année dernière. On a signé en octobre et ils voulaient qu’on commence l’album en novembre. Mais le compositeur n’était pas libre. On a commencé donc en décembre le projet Free Voices. J’ai dit à Amadou Fall Bâ, puisque c’est Africulturban qui porte ce projet, qu’à telle et telle autre période… Eux ont donc avancé sur le projet sans moi. Au moment de poser en janvier, je les ai rejoints et on l’a fait ensemble. J’ai travaillé sur mon album à Dakar en décembre au studio Sankara, chez Awadi. J’ai fait la maquette là-bas et j’ai vraiment terminé l’album en février en Côte d’Ivoire. Après, il y a eu quelques dates Free Voices en mars ici, en avril-début mai à Bruxelles. Ensuite, pour le 21 juin, on a joué à Dakar à la place de l’Obélisque. L’essentiel, pour moi, c’était que, s’il y avait des choses pour Free Voices, qu’on me le dise à temps pour que mon équipe de Sony puisse être mise au courant très tôt. Il fallait juste de la communication.

Moona, c’est la Sénégalo-niak du hip-hop. Au moment où beaucoup refusent qu’on les appelle ‘’niak’’ parce que trouvant le vocable péjoratif, vous, vous revendiquez cela. Pourquoi ?

Mon père est sénégalais. On est originaire de Moudéry. C’est à 20 km de Bakel. On est sarakholé. Quand je suis arrivée au Sénégal, il y a plus de 15 ans, on m’appelait ‘’niak’’. Cela ne me plaisait pas du tout. Je me fâchais tout le temps parce qu’à chaque fois que je demandais la traduction, je la trouvais péjorative. Certains me disaient non, cela veut dire le ‘’buisson’’. Quand quelqu’un trouve, par exemple, que son enfant a un comportement bizarre, il lui dit : ‘’Pourquoi tu fais comme les niak ?’’ Il y a des gens qui utilisent ce mot vraiment juste pour désigner. Mais il  y en a beaucoup qui l’utilisent de manière péjorative. Je me suis même fait insulter, il y a deux semaines, par quelqu’un qui ignorait que j’étais sénégalaise. Il m’a dit : ‘’Vous les ‘Niak’ vous devez quitter le pays.’’ J’entends souvent ce genre de choses.

Heureusement, au Sénégal, il y a des gens bien. Pour ne plus me facher, je me dis qu’il y a une partie de moi qui n’est sénégalaise, c’est ma mère. C’est 50 % de mon Adn, de mes gènes. Et le reste est sénégalais. Alors, si des gens décident de considérer une partie comme ‘’niak, amoul ben problème’’ (Ndlr : il n’y a aucun problème). Il y a une grosse communauté de Sénégalo-niak et les gens ne le savent pas. Il y a énormément de gens qui se sont reconnus à travers ‘’sénégalo-niak’’ et qui sont venus me dire merci et qu’il y a un nom qui leur parle. Je ne vous apprends rien, les Sénégalais voyagent énormément. Parfois, ils vivent dans des pays et y font des enfants avec les femmes qui y habitent. Pour moi, dire que je suis sénégalo-niak est également une manière de dire que je suis fière de mes deux pays. Je ne suis pas obligée de choisir entre les deux. On n’est pas obligé de choisir papa ou maman. Quand on naît entre deux cultures, souvent, on est plus tolérant parce qu’on se rend compte que beaucoup de choses peuvent ne pas être mauvaises en soi, mais le sont suivant les cultures.

Beaucoup ne croyez pas en vos compétences, quand vous alliez à Abidjan représenter le Sénégal aux Jeux de la Francophonie. Comment avez-vous vécu ces moments ?

J’avais décidé de ne pas parler de ce que j’avais éprouvé. Je pense qu’à un moment aussi, il faut le dire pour que les gens comprennent. Avant de partir, franchement, on a été galvanisé par M. Maguèye Touré, Directeur de la Francophonie, et tout le personnel de l’agence. Ils ont tout fait pour qu’on soit dans de bonnes conditions. Notre génération a été chanceuse. Maintenant, l’Etat doit comprendre que quand on met les moyens, on peut espérer des médailles. Au cours de notre séjour, certains se demandaient ce que je faisais dans le pavillon sénégalais. Les gens parlaient wolof devant moi. Ils étaient en train de me ‘’dieuw’’ (ndlr : dire des médisances). Ils ne savaient pas que je comprenais. J’ai trouvé cela vraiment très vilain. Je me disais que je ne pouvais pas rester là, si je n’étais pas sénégalaise. Honnêtement, ils ne disaient pas des choses méchantes. Mais moi je trouve bizarre qu’on parle d’une personne devant elle en croyant qu’elle ne vous comprend pas. Quand on partage une langue avec cette personne, mieux vaut en faire usage pour échanger. Les gens oublient souvent que la taille sahélienne ne définit pas à elle seule le Sénégalais.

Il y a d’autres visages. Il faut que les gens acceptent cela et respectent les gens dans leurs différences. Cela a été une énorme fierté pour moi de représenter le Sénégal. J’avais tellement le tract. Je pleurais et je faisais dix fois pipi avant chaque passage. Plus j’avançais dans la compétition, plus je me rendais compte que je représentais tout un peuple et que ce sont les couleurs d’un drapeau que l’on défend. J’ai rien laissé entacher cela, parce que pour moi c’était déjà quelque chose de beau. Ici, il y a des gens qui faisaient des remarques et n’avaient pas confiance en nous. Quand on est artiste, on trouvera toujours des gens qui ne croient pas en nous. Certains se demandaient si j’allais réussir. Je n’ai certes pas ramené la médaille d’or, mais j’ai eu l’argent et qui est la première médaille obtenue dans la catégorie Chant.

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