Publié le 30 May 2022 - 23:16
ENQUÊTE SUR LA MIGRATION ESTUDIANTINE

Bacheliers et étudiants à la merci des agences de préinscription

 

Cinquième communauté d’étudiants étrangers en France, la première originaire d’Afrique subsaharienne, les élèves et étudiants sénégalais, candidats au départ, peinent souvent à avoir accès à des informations sur la mobilité estudiantine et sont victimes d’agences véreuses qui profitent de leur ignorance et de leur naïveté.

 

Sur le chemin de la migration des étudiants sénégalais, se dressent de nombreux obstacles dont le manque partiel ou total d’informations. Obnubilés par ce désir de quitter à tout prix le pays, ils tombent facilement dans la nasse de quelques vendeurs d’illusions qui se font appeler agences de préinscription. Même s’il y en a qui sont très sérieuses et qui font correctement leur job, en aidant beaucoup de jeunes à réaliser leurs rêves, le milieu est de plus en plus infesté d’arnaqueurs de classe internationale. Leurs modes opératoires varient d’une structure à l’autre. Parfois, c’est des attestations d’inscription fictives qu’ils présentent à leurs proies, leur faisant croire qu’elles ont été acceptées par telle université, alors qu’il n’en est rien. Parfois, ils n’hésitent même pas à s’inventer de manière ingénieuse des noms d’écoles qui n’existent que dans leur imagination.

La trentaine, Habsatou* est l’une de leurs nombreuses victimes. Ne sachant où donner de la tête, convaincue qu’une plainte ne servirait qu’à lui faire perdre du temps, la jeune fille a préféré ruminer son amertume sur cette page Facebook très visitée de la place. Elle témoigne : ‘’J’ai été roulée dans la farine par une agence. Elle a avalé mes 155 mille francs CFA et ils ne m’ont même pas ouvert un compte (Campus France). Quand je lui (le gérant) demande, il me sort des excuses bidon. Je voulais juste alerter pour que mes frères et sœurs ne tombent pas dans le même piège. Nous sommes des étudiants, nous n’avons que nos bourses modiques et irrégulières et ces gens n’hésitent pas à nous les subtiliser. Il faut faire très attention.’’ Approchée pour en savoir davantage sur son cas spécifique, elle décline gentiment : ‘’Franchement, je ne veux pas trop m’épancher. Comme je l’ai dit, c’était juste pour alerter, sortir ce que j’avais dans le cœur. Et avec les réactions des uns et des autres, je me sens assez apaisée. Je ne veux pas y revenir dans la presse.’’

Ce qui est sûr, c’est que son cas est loin d’être isolé. Et les témoignages font florès dans les réseaux sociaux. Mais, rares veulent parler à visage découvert, comme s’ils avaient peur de quelque chose. Agent dans une entreprise spécialisée dans l’orientation des étudiants et les études à l’étranger, Monsieur Fall se veut proactif pour éradiquer le mal de leur secteur. Selon lui, les agences ont en ce moment mauvaise presse et il faut travailler à restaurer la confiance rompue avec les élèves et étudiants, en extirpant du milieu les arnaqueurs. La racine du mal, à l’en croire, c’est la méconnaissance par les candidats des procédures et leur incapacité parfois d’accéder à toutes les informations.

‘’Je suis en train, souligne-t-il, de chercher des victimes, en vue de compiler leurs témoignages et faire des vidéos de sensibilisation, car cela commence à devenir inquiétant. Souvent, cette arnaque a pour source une méconnaissance des procédures (les services payants, les services gratuits…). Il faut aussi savoir que l’étudiant n’est pas à même de reconnaitre les agences fiables de celles qui ne le sont pas. Nous avons l’obligation de les aider, à travers une organisation du secteur.’’ Mais, la tâche s’annonce difficile, selon le spécialiste. ‘’Personnellement, argue-t-il, je ne sais même pas quel est le département ministériel compétent dans la régulation de ce secteur. On ne sait pas si c’est le ministère du Commerce, l’Enseignement supérieur ou un autre département ministériel… On ne sait rien de tout cela. Mais, je suis en train d’y travailler. On a un problème d’encrage institutionnel qu’il faudrait clarifier.’’

L’ignorance et la paresse, ces sources du mal

En principe, le passage par ces agences privées et payantes n’est pas nécessaire, en ce qui concerne la procédure devant Campus France. Mais, selon la plupart des élèves et étudiants, les procédures sont tellement complexes que c’est toujours mieux de passer par elles pour ‘’maximiser ses chances’’. Ce qui génère un surcout considérable qui décourage bien des jeunes issus de familles modestes. Elève en première année de droit à l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Matou Sougou témoigne : ‘’J’ai eu un baccalauréat avec mention. C’est vrai que j’avais l’ambition d’aller poursuivre mes études en France. Mais, finalement, j’ai abandonné parce que les procédures sont lourdes et il y avait beaucoup de frais à payer, sans être assuré d’obtenir une admission. En plus des frais à payer à Campus France (75000 FCFA), il faut aussi payer au niveau de l’agence de préinscription. Je ne parle même pas des frais d’inscription une fois que notre demande est acceptée… Pour moi, cela n’en valait plus la peine. J’ai préféré alors faire ici mon premier cycle. Peut-être après, je pourrais envisager d’aller dans un autre pays pour faire le Master. De plus, je serai plus apte à faire face à ce mode de vie.’’

Cela dit, ce type de business reste assez lucratif. Dans Dakar et environs, les agences de préinscription poussent comme des champignons, compte tenue de la demande sans cesse croissante. Sur les 56 000 bacheliers sénégalais en 2019, rappelait Ousmane Bocar Ba, auteur d’un livre sur la mobilité estudiantine, dans une interview accordée à EnQuête, près de 35% ont tenté de poursuivre l’aventure en France ; soit une manne financière assez importante. Beaucoup sont passés par les agences. En plus de leur maitrise, parfois réelle parfois illusoire des procédures, ces dernières sont surtout réputées, grâce aux nombreuses commodités et facilités qu’elles offrent à leurs clients, dont certains s’illustrent par leur paresse. De la France où elle se trouve, depuis plus de deux ans, Sophie Gueye ne sait pas grand-chose de la procédure qui l’a menée dans ce pays.

‘’Franchement, confie-t-elle très sympathique via WhatsApp, je n’en sais pas beaucoup. C’est l’agence qui avait tout fait pour moi. Ils ont créé le dossier, ils ont candidaté pour moi, ils ont tout géré. Moi, on ne me demandait que les documents que je leur fournissais, jusqu’à l’entretien. Ils m’ont appelée pour me dire que je dois aller faire l’entretien. C’est eux qui ont tout assuré de façon minutieuse. Je ne sais pas si j’en aurais été capable toute seule, avec toutes ces formalités’’, rigole la jeune fille. 

Installée sur la Voie de dégagement nord, en face de la Gendarmerie Foire, SoluEtude s’est bien positionnée sur ce marché en saturation. Sur sa page Facebook, voici le message qui accueille le visiteur en quête d’information : ‘’Vous êtes étudiants, nouveaux bacheliers, ou élèves en classe de terminale, vous voulez être accompagnés sur toutes les démarches d’obtention d’une admission dans les universités publiques en France pour la rentrée du mois de septembre 2022, SoluEtude, leader dans le domaine des études à l’étranger, vous accompagne sur les démarches de Campus France, afin de maximiser vos chances d’obtenir une admission….’’

Directrice commerciale de ladite agence spécialisée dans l’orientation et l’information sur les métiers, la formation et les études à l’étranger, Mme Mbaye revient sur l’intérêt de passer par une agence professionnelle, plutôt que de suivre la procédure tout seul. Elle explique : ‘’Il y a beaucoup de détails que l’étudiant n’est pas censé maitriser. Par exemple, chaque université a ses critères d’admission. Avec l’expérience qu’on a eue, on se familiarise aux critères de beaucoup d’établissements, ceux qui sont à éviter, ceux qui sont plus accessibles… Ce sont des détails importants que l’étudiant qui est en face de la plateforme peut ne pas connaitre. Il y a aussi la question de la motivation, le projet d’étude ainsi que le projet professionnel…’’

Sur les différentes étapes qui mènent à l’admission, la directrice précise : ‘’D’abord, on étudie le profil de l’étudiant, sa filière, ses notes et on essaie de l’orienter dans les universités où il a le plus de chance. Le problème principal, c’est que le nouveau bachelier qui arrive, il ne sait même pas ce qu’il veut faire, qu’est-ce qu’il veut devenir… Nous l’assistons de bout en bout, en l’aidant à faire les meilleurs choix possibles.’’

L’information : un droit constitutionnel couteux  

Au-delà du dossier scolaire qu’il faut minutieusement préparer, il y a également le dossier consulaire accompagné du dossier bancaire, prévient la spécialiste. ‘’Campus France, commente-t-elle, ne gère que le volet scolaire. Dernièrement, ils ont intégré l’accompagnement dans les autres volets, mais pas tous. Et puis, comme vous le savez, l’étudiant ,soit il n’a pas le temps, soit il a la paresse de s’occuper de tout ce processus. Même quand il a ce temps et cet engagement, il n’est pas au fait des critères dans les universités. D’où l’intérêt de recourir à une agence professionnelle comme la nôtre. Nous gérons le processus, de bout en bout, même l’aide à l’étudiant, une fois dans son pays d’accueil.’’ 

Outre la France dont les procédures sont centralisées au niveau de Campus France, les agences proposent une panoplie d’autres destinations : Canada, Maroc, Etats-Unis, Tunisie… Ces dernières années, d’autres ont pu émerger comme la Turquie et la Chine. Et elles ont une méthode agressive pour recruter de nouveaux clients. De sa voix fluette, la jeune Matou explique : ‘’En général, les cabinets viennent jusque dans les lycées pour démarcher les élèves de terminale. Ils nous approchent également dans la rue pour nous donner des flyers présentant leurs structures et vantant leurs résultats. Mais le problème, c’est que les prix ne sont pas à la portée de tous.’’

Ce dossier a été réalisé avec le soutien d’Article 19 et l’UNESCO, dans le cadre du Projet ‘’Autonomiser les jeunes en Afrique à travers les médias et la communication’’, financé par l’agence italienne pour la coopération au développement, via le Fonds Afrique du ministère des Affaires étrangères et de la Coopération internationale.

Mor Amar

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