Publié le 10 Sep 2024 - 11:02
EXTRÉMISME VIOLENT

Confidences et analyses sur les facteurs de radicalisation des jeunes au Bénin

 

L’ONG Timbuktu Institute a publié, il y a quelques jours, un rapport intitulé ‘’Au-delà de la criminalité, perceptions juvéniles de la radicalisation et de l’extrémisme violent au nord du Bénin’’. Elle avait pour objectif de mieux connaitre les vraies causes de ce fléau qui prend de l’ampleur en Afrique.

 

La radicalisation des jeunes et l’extrémisme violent inquiètent de plus en plus chercheurs, spécialistes des questions sécuritaires et décideurs. ‘’Perçu, à l’origine, comme l’antichambre du basculement vers la violence terroriste, le phénomène ‘’revêt de plus en plus d’aspects qui en font évoluer les définitions et les perceptions’’, fait constater une étude réalisée par Timbuktu Institute.

De l’avis des experts, cette forme de radicalisation est une résultante d’un processus, de facteurs ou de conséquences politiques, économiques, sociales, idéologiques, etc. Elle se manifeste par l’usage de la violence comme moyens d’affirmation, d’expression ou de revendication les plus diverses.

Sujet hautement sensible et actuel, la radicalisation va être, très vite, victime de sa popularité pour devenir un ‘’sujet parfait’’ pour les médias friands de sensationnel, en raison notamment du caractère spectaculaire des attaques terroristes qui tendent à déborder de l’épicentre sahélien vers des zones insoupçonnées comme le golfe de Guinée.

D’autre part, explique le rapport, la diversité des expériences et la rapidité des mutations ont eu comme corollaire la multiplication des angles d’approches, souvent empreintes des préoccupations que des experts projettent sur le phénomène qui finit par ne plus être étudié en soi.

‘’Enfin, les spécialisations d’analystes qui, naguère, étaient focalisés sur des sujets comme la gouvernance, la criminalité ou encore les violences urbaines, ont déteint sur de nombreuses études allant, par exemple, jusqu’à dénier au phénomène ses dimensions idéologiques ou encore intercommunautaires, etc.

Il résulte de l’étude de Timbuktu Institute que la prédominance des analyses criminologiques s’est accentuée avec des études s’intéressant le plus souvent aux acteurs du ‘’second cercle’’ tels que les trafiquants, les convoyeurs d’assistance logistique, etc. Pendant ce temps, ces études négligent les acteurs du premier et du troisième cercle.

Le premier cercle, expliquent les chercheurs, est constitué des entrepreneurs indéologiques/communautaires… dont le rôle est fondamental dans le recrutement, l’incitation et l’instrumentalisation des griefs. ‘’Le troisième cercle, auquel les études à dominante criminologique n’ont souvent pas accès, est celui des acteurs prédisposés au basculement dans la violence extrémiste ou pouvant y préparer idéologiquement : les recruteurs, les personnes déjà endoctrinées et enclines à passer à l’action. Le plus souvent, c’est dans l’univers carcéral qu’ils les interrogent ou dans des situations de ‘’remords’’ où de nombreux biais viennent fausser l’analyse sur les motivations réelles’’.

ll s’y ajoute que les outils de l’approche criminologique ne sont souvent pas adaptés pour rendre compte des subtilités du discours extrémiste avec sa charge idéologique et ses références qui nécessitent un décryptage, voire une exégèse souvent hors de portée d’experts démunis des concepts clés permettant une intelligence des symboles, des allusions et des codes langagiers.

‘’Le biais criminologique ayant eu son effet sur l’approche du phénomène de la radicalisation au Sahel n’a pas épargné certaines études suite au débordement de l’épicentre de la violence extrémiste vers les pays du golfe de Guinée’’

C’est souvent après le passage à l’acte que beaucoup d’analystes niant la dimension idéologique accèdent aux sujets en question, soit en prison ou dans une situation sur laquelle pèse lourdement l’environnement sécuritaire, la pression carcérale ou des acteurs de la criminalité accentuant ainsi le biais criminologique malgré les efforts de documentation.  ‘’Pour ne pas s’encombrer d’un listing ou croisement des définitions dans le cadre de cette étude, on pourrait renvoyer aux différentes publications de l’Institut ayant abordé le phénomène de radicalisation dans des contextes variés, soit dans le cas de pays déjà touchés par la violence extrémiste ou par une approche prospective pour d’autres présentant des risques ou encore sous une certaine pression sécuritaire. Le biais criminologique ayant eu son effet sur l’approche du phénomène de la radicalisation au Sahel n’a pas épargné certaines études suite au débordement de l’épicentre de la violence extrémiste vers les pays du golfe de Guinée. Beaucoup d’entre elles souffrent du non-renouvellement des outils conceptuels de même que l’empressement à ‘’documenter’’ un phénomène multidimensionnel et souvent diffus dans des contextes où on projette un regard orienté par les réalités d’ailleurs’’ a renseigné la note.

De plus, poursuit le rapport, face à la pression sécuritaire et politique pour l’élaboration de réponses, il a dû échapper à nombre d’analystes.

C’est ainsi que, selon l’étude, dans le cas de certains pays côtiers, les réponses politiques fortement inspirées par des conclusions issues de l’approche criminologique semblent ne pas apprendre des erreurs du Sahel en s’orientant vers des solutions à dominante sécuritaire. Ces dernières réduisent, même parfois le phénomène extrémiste à un ‘’simple’’ problème criminel, alors que la criminalité n’est pas en soi la racine du mal, mais un des symptômes, entre autres. ‘’Pour le cas du Bénin, plusieurs études font état de sa proximité géographique avec les pays sahéliens victimes de l’insurrection des groupes armés terroristes, la porosité des frontières, la faible présence de l’État dans certaines régions, les conflits communautaires, le chômage des jeunes, la corruption, l’injustice, les inégalités sociales et bien d’autres facteurs. Malgré les dispositions, les efforts et les mécanismes mis en œuvre par l’État pour contrer cette avancée, la situation sécuritaire se dégrade progressivement dans les départements de l’Alibori et de l’Atacora. Depuis la première attaque terroriste enregistrée en 2019, le nombre d’incidents terroristes sur le sol béninois, notamment dans le septentrion, est en hausse avec un nombre de morts croissant, de blessés et de déplacés’’, a informé le document.  

‘’Les interviews et focus groups sont menés à partir de trois questionnements majeurs’’

En outre, s’inscrivant dans une démarche compréhensive et à partir de la perception des populations locales, Timbuktu Institute a mis à profit plusieurs missions de terrains dans les départements de la Donga, de l’Alibori et de l’Atacora afin de conduire des entretiens qualitatifs auprès de 270 jeunes habitant les différentes localités et communes. En plus de ces entretiens individuels, une dizaine de focus groups ont été organisés sur site.

Les témoignages et réponses recueillis et sur lesquels se fonde la présente analyse sont issus d’un travail de terrain étendu sur la période de mars-mai 2023 à juin 2024, dirigé, sur place, par le Dr Bakary Samb, le patron de cette structure. ‘’La démarche consistait aussi à ne pas se contenter des seules équipes d’enquêteurs envoyées sur place, mais à être présents sur le terrain pour ajuster et compléter, si nécessaire, l’approche pour plus d’agilité et de contact direct avec la réalité du terrain. Ces interviews et focus groups sont menés à partir de trois questionnements majeurs que sont les facteurs potentiels de radicalisation des jeunes des départements du nord du Bénin avec une approche différenciée prenant en compte la spécificité de chaque département et même des localités et communes, l’appréciation des réponses étatiques nationales à partir d’un point de vue local et le rôle des interactions entre communautés peuplant le nord du pays dans la radicalisation de certaines franges’’, a rapporté le document. Pour qui les perspectives dans les départements comme le Borgou, pour l’heure relativement épargnés, mais se situant sur un continuum socioculturel lui faisant subir l’impact de la transfrontalité avec notamment le Nigeria (dans un prochain rapport spécialement dédié au département du Borgou).

Ainsi, le présent rapport, portant spécifiquement sur les facteurs de radicalisation tels que perçus par les jeunes des départements du nord du Bénin, est le premier d’un cycle de trois études.  Il s’articule en trois parties, traitant chacune d’un département et couvrant la Donga, l’Alibori et l’Atacora.

Pour chaque département, il s’agissait, dans un premier temps, d’en présenter les spécificités et les données socioéconomiques et humaines puis les facteurs de radicalisation tels que perçus par les jeunes dans un second temps, en s’appuyant sur les témoignages et constats fournis par les populations locales durant les entretiens semi-structurés ou encore les focus groups.

Par ailleurs, l’étude a montré des facteurs de radicalisation dans la Donga. ‘’La radicalisation et l’extrémisme violent sont souvent conçus par les jeunes interrogés comme un refuge notamment pour faire face aux différents problèmes sociopolitiques, socioéconomiques et socioculturels, l’écueil de l’insertion socioéconomique, au cœur des inégalités, des frustrations et des défaillances, l’inadéquations ou dualité du système éducatif en cause, un sentiment croissant d’insécurité, l’accumulation des frustrations et tentations radicales, présence d’organisations islamiques étrangères et humanitaires religieux à la rescousse et de l’activité agricole face aux conflits locaux : la résilience bousculée’’.

CHEIKH THIAM

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