Presse étouffée, propagandistes choyés

Malgré les promesses de rupture, la gestion des deniers publics liés à la publicité de l’Etat et de ses démembrements continue dans la plus grande opacité. Pendant que les médias traditionnels sont ostracisés, les propagandistes du régime, eux, jouissent de tous les privilèges.
Mettre un terme aux discriminations et à la gestion opaque des fonds publics destinés à la presse. C’était la promesse ferme du ministre de la Communication, des Télécommunications et du Numérique, en lançant le processus d’identification des entreprises de presse, et en mettant en exergue de nombreux dysfonctionnements dans la gestion desdits fonds sous l’ancien régime du président Macky Sall.
A ceux qui rouspétaient suite à la divulgation des bénéficiaires des conventions de publicité et du fonds d’appui et de développement de la presse, le ministre Alioune Sall disait : “Ce que nous faisons, ce n’est pas de la délation, c’est un exercice de transparence. Puisque nous gérons des fonds publics, il est de notre devoir et de notre responsabilité d’informer le peuple au nom de qui nous gérons ces ressources. C’est cela le jub jubal jubanti.”
Quand le régime s’alarmait de la gestion partisane des conventions de publicité sous Macky Sall
En ce qui concerne la gestion du FADP, le diagnostic avait fait ressortir plus de 800 millions de francs CFA du fonds alloué à des structures sans lien direct avec les entreprises de presse pour l’année 2023. Sur la part accordée aux entreprises de presse, il était fait état de plus de 45% distribués en violation de la réglementation en vigueur. La tutelle trouvait ainsi impératif de remettre de l’ordre dans la gouvernance des ressources allouées aux médias.
Dans ce cadre, des dispositions fermes ont été prises. Plus de financement pour les structures non reconnues. Plus de gestion clientéliste des deniers de l’État dans le cadre de l’octroi des conventions de publicité…. “Nous ne pouvons plus continuer d’être dans un cadre où la publicité est octroyée à la tête du client. Il faut qu'on puisse avoir un cadre qui va permettre de distribuer cette publicité en fonction de critères objectifs, que ça soit le nombre de tirages pour les journaux ou d’autres critères…”, s’était engagé le ministre Alioune Sall.
Promesse de Alioune Sall : “Nous ne pouvons plus continuer d’être dans un cadre où la pub est octroyée à la tête du client”
Plus d’un an après, c’est le statut quo. Les vieilles et répréhensibles pratiques sont toujours d’actualité. Alors que le Gouvernement tarde toujours à distribuer l’aide à la presse, la publicité elle continue d’être distribuée à la tête du client. Et parfois à des entités non reconnues. La sortie de Azoura Fall ne fait que confirmer ce que beaucoup d’observateurs savaient déjà.
Selon le proche du Premier ministre Ousmane Sonko, il y a quelques “influenceurs” du projet qui s’accaparent les conventions de publicité au détriment des autres. “…Pourquoi certains se taillent de nombreuses conventions au moment où d’autres peinent à y accéder… Quand vous avez cinq, six conventions, il faut quand même laisser une partie aux autres. Mais vous voulez tout prendre.”
Pour le moment, tout se passe dans la plus grande opacité. Comme au temps du régime de Macky Sall. Ce qui était d’ailleurs invoqué par le nouveau régime pour justifier la suspension de toutes les conventions sur décision du Premier ministre. Mieux, l’État s’était même refusé à payer aux entreprises bénéficiaires de telles conventions qu’il a jugé illégales.
Alassane Samba Diop revient sur les impacts dévastateurs de la suspension des contrats de publicité
Joint par téléphone, le journaliste et directeur général de Emedia invest Alassane Samba Diop estime que les tenants du régime ont bien le droit de signer des partenariats avec leurs propagandistes et médias de leurs choix. Ce qu’il déplore, c’est que le gouvernement refuse toujours de leur payer leur dû.
“Depuis 2 ans, les conventions ont été supprimées sans sommation ni préavis sur la base d'une circulaire au nom du Premier ministre. Les entités ou ministères refusent de nous payer nos factures échues ; et toutes les portes de négociations et discussions ont été fermées”, a-t-il déclaré.
Pour lui, c’est d’autant plus désolant que la nouvelle administration s’est toujours battue contre l’injustice. Une injustice qu’elle est en train de reproduire dans la plus grande indifférence. L'impact, selon lui, est énorme avec : des “pertes d'emplois, chômages, salaires impayés…”. Le Directeur de Emedia se désole ainsi de la situation qui cause des dégâts énormes non seulement à l’entreprise , mais aussi aux travailleurs. “Nous sommes au Sénégal ; chaque Sénégalais qui travaille nourrit environ 20 bouches. Aussi, certains qui avaient contacté des prêts bancaires sont aujourd’hui harcelés ; d’autres en conflit avec leurs bailleurs”, a-t-il ajouté.
Les promesses de réformes dévoyées
Pourtant, ces questions étaient au cœur des réformes engagées par le Gouvernement, soi-disant, pour savoir qui est qui dans le paysage médiatique, en vue d’une gouvernance plus juste du secteur. “Les Sénégalais, soulignait le ministre, ont un droit de regard sur la manière de gérer ces fonds. A travers cette plateforme, tout se fera en toute transparence et les règles seront clairement définies pour tout le monde.”
Relativement aux web-tv qui semblent aujourd’hui avoir le vent en poupe, le ministre s’était voulu très clair. Elles sont soumises, selon lui, à la même réglementation que les médias audiovisuels. Il avait aussi certifié que seuls les médias officiellement reconnus pourront désormais prétendre bénéficier aux financements de l’État.
Reste à voir si cet engagement est toujours en vigueur. Une chose est sûre, ils sont nombreux les youtubeurs et liveurs à suivre les ministres et directeurs presque partout, au Sénégal comme lors de certains événements à l’étranger, au détriment de la presse classique.
De graves menaces sur la presse libre asphyxiée par le régime
Privés de toutes les ressources qui leur permettaient de survivre, la presse sénégalaise s’est beaucoup affaiblie, avec le départ de beaucoup de talents vers d’autres sphères. Au même moment, la bataille de positionnement et d’influence se poursuit sur la place dakaroise. Alassane Samba Diop de questionner la stratégie de l’actuel gouvernement sur cet enjeu fondamental.
“Il faut se demander pourquoi tous les pays subventionnent leurs médias ? C'est une question de souveraineté et de soft power !!! Vous pensez que les batailles d'influence que se mènent les médias internationaux au Sénégal et en Afrique sont anodines ? Depuis que le Sénégal est devenu gazier et pétrolier, la presse internationale a renforcé sa présence en personnels et contenus. L'information sur le Sénégal est devenue domestique pour ces médias internationaux”, analyse Monsieur Diop qui invite les gouvernants à faire preuve de dépassement et à savoir que la presse n’est pas leur ennemie.
PAR MOR AMAR