Publié le 13 Nov 2019 - 00:36
GORGUI WADE NDOYE

‘’Le monde ne s’est jamais fait et ne se fera jamais sans l’Afrique’’

 

Né en Suisse, le ‘’Gingembre littéraire’’ est délocalisé à Dakar, en ce mois de novembre. Initié par le magazine panafricaine basé à Genève ‘’Continent premier’’, cette rencontre vise à repenser l’Afrique, faire connaître le continent à ses fils et au reste du monde. Au Sénégal, ce sont les villes de Rufisque et Saint-Louis qui ont reçu les panels. Dakar prend le relais ce 13 novembre, avec des conférences à l’Institut africain de management (Iam) et à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Gorgui Wade Ndoye, initiateur de cet évènement, en parle en détail avec ‘’EnQuête’’.

 

On entend souvent parler de café littéraire. Vous, vous instaurez le ‘’Gingembre littéraire’’. Pourquoi avoir choisi ce terme parmi tant d’autres ?

Pour nous, dire ‘’Gingembre littéraire’’, c’est marquer notre enracinement. Le gingembre est un condiment magnifique qu’on retrouve en Afrique, mais également dans beaucoup de pays européens. Tout le monde sait ce que cela signifie. Encore une fois, il marque notre enracinement dans notre propre culture et l’ouverture si chère à Senghor, à Césaire ainsi qu’à d’autres penseurs noirs et africains. Pour nous, ce sont deux angles sur lesquels nous devons tenir pour pouvoir avancer en tout équilibre vers l’humanité. Cette humanité-là dont certains ont voulu nous exclure.

Pourtant, nous sommes le berceau de l’humanité. Le monde ne s’est jamais fait et ne se fera jamais sans l’Afrique.

Quel est le concept développé à travers cette initiative ?

Le ‘’Gingembre littéraire’’ est un concept que nous avons lancé à Genève et aux Nations Unies pour donner l’opportunité à tout le monde, notamment au monde occidental, de connaître l’Afrique. Il y a des Africaines qui ne connaissent pas bien leur continent. On a tout pris de l’Afrique. On a tout entendu de l’Afrique, mais peu connaissent véritablement l’Afrique. Quand on voit qu’il y a des journalistes qui ne savent pas combien de pays compte l’Afrique, alors que ce sont eux qui sont censés informés le public, cela pose problème. J’ai animé pendant 4 ou 5 ans un séminaire que j’appelais ‘’La place de l’Afrique dans les médias en Occident’’ et c’est là que je me suis rendu davantage compte que le fossé était énorme. Vous savez, en tant que professionnel des médias que celui qui vous informe vous déforme en même temps. Si on n’est pas présent, personne ne va nous entendre. On ne nous entend malheureusement qu’à travers des guerres, des maladies, le sida. Mais l’Afrique, ce n’est pas que cela. Nous avons 54 Etats. Nous avons une jeunesse vibrante. Nous avons plus de 40 % des ressources minières. Alors un peu de respect.

Pourquoi avoir choisi de faire connaître l’Afrique par la littérature ?

La littérature est un premier choix, disons. Et ce n’est pas n’importe laquelle, c’est celle féminine. La littérature, c’est les imaginaires. Nous avons pris pour ce ‘’Gingembre littéraire’’ à Rufisque des dames comme Aminata Sow Fall qui est une icône de la littérature africaine d’expression française. Il y a également Mariama Ndoye qui est de Rufisque, Rahmatou Samb Seck qui est de Bargny qui ont été choisies pour animer ce panel.

De Dakar, est venue Fatima Diallo. En voilà des personnalités avec une intelligence remarquable et dont les œuvres sont traversées par la lumière du ‘’Vivre ensemble’’. Je le dis et je le répète, on ne peut pas vivre dans un monde de paix en y excluant les femmes. La femme est la matrice de l’humanité, des intelligences. Les femmes ont permis au monde de se stabiliser et de rester dans une tranquillité qui fait qu’aujourd’hui, le monde est debout. Sans les femmes, le monde ne serait rien. Un homme a beau être intelligent, puissant, il ne peut pas donner par exemple. Rien qu’en considérant que le Seigneur a mis - nous sommes des musulmans ou des croyants - ce qui perpétue son humanité par la femme, cela signifie que cette dernière constitue le début, le milieu et la fin de l’humanité.

Ce n’est quand même que le panel tenu à Rufisque qui est dédié aux femmes. Pour le reste, pourquoi ce choix de rester dans le monde littéraire ?

C’est vrai. Il y a eu une session à Saint-Louis du Sénégal où nous avons débattu de culture. Il a été question de citoyenneté numérique. Vous avez vu dans les groupes Whatsapp, dans certaines pages Facebook comment les gens s’insultent et se comportent. Vous voyez comment les ‘’fake news’’ sont rapidement divulguées. Il y a ceux qui se cachent derrière leur clavier pour dire du mal des autres, alors que nous, dans nos cultures, on nous a appris à dire beaucoup de choses avec courage, mais surtout avec élégance. Il y a une manière de s’exprimer. Nous devons revenir à cela parce que ce sont des fondements importants. Le monde a aujourd’hui besoin de suppléments d’âmes et on ne va pas aller chercher cela ailleurs. Nous sommes le berceau. Il y a un proverbe qui dit ‘’Quand tu ne sais plus où tu vas, tu retournes d’où tu viens’’.

L’Afrique est le berceau de l’humanité, donc il faudrait revenir en Afrique. Mais faudrait-il que les Africains sauvegardent cet héritage-là. Ce n’est pas dans une Afrique qu’on a aidé à se déstructurer qu’on retrouvera cela, mais plutôt dans une Afrique qui s’affirme et qui dit qui elle est et qui a aussi envie de partager avec le reste du monde.

Dans la programmation, vous avez choisi Rufisque, Saint-Louis et Dakar. Il ne manque que Gorée pour reconstituer les quatre communes. Y avait-il cette volonté de faire ce ‘’Gingembre littéraire’’ dans les anciennes communes françaises ?

Quand on parle de ces villes, il est vrai qu’elles renvoient à une symbolique. Nous avons prévu d’être à Dakar, à l’Iam (Ndlr : Institut africain de management), le matin du 13 novembre, pour parler de l’ouverture philosophique, socioculturel ainsi que les débats sur les religieux, les ‘’tarikha’’, etc., avec des spécialistes dont des philosophes. Dans l’après-midi, nous serons à l’université de Dakar pour parler du patriotisme économique.  C’est un panel exceptionnel qui sera encadré et accueilli par la bibliothèque de l’université Cheikh Anta Diop de Dakar. Je tiens à remercier toutes les institutions, ces universités qui ont accepté de nous accueillir. On ne pouvait pas trouver mieux, même si les demandes sont venues de ces institutions-là parce qu’elles ont vu que nous avons réussi. Les sessions de ‘’Gingembre littéraire’’ tenues à Genève ont eu un succès retentissant. C’est sur Facebook qu’on a pu départager les demandes.

On aurait pu aller à Gorée pour compléter, mais on n’est pas dans cette forme des 4 communes comme vous le pensez. C’est le bel hasard qui a fait que c’est Dakar, Saint-Louis et Rufisque qui ont reçu ces premières sessions du ‘’Gingembre littéraire’’ au Sénégal. Ce sont les internautes, sur Facebook, qui m’ont interpellé en me disant ‘’ce que vous faites en Suisse, il faut venir le faire au Sénégal’’. Il y a eu un vote et Rufisque, Dakar et Saint-Louis ont été plébiscitées. Pour le choix de Rufisque, c’était naturel parce que je suis de cette ville. Saint-Louis m’a reçu après le Baccalauréat. C’est à l’université Gaston Berger où j’ai eu mon Deug, ma Licence, ma Maitrise. Quand on est étudiant quelque part, cela nous marque. Et Dakar est quand même la capitale du Sénégal.

On sent un certain intérêt des intellectuels africains à repenser l’Afrique. Qu’est-ce qui explique cet engouement ?

On n’a jamais assez pensé. Donc, il faut continuer à le faire. Pour cette première édition au Sénégal, moi, je n’ai fait appel uniquement qu’à l’expertise sénégalaise. Quand vous regardez ceux qui animent les panels, ce sont tous des compétences. C’est l’occasion pour moi de féliciter et remercier tous ces artistes qui sont venus. Nous nous sommes débrouillés pour financer tout cela. C’est difficile, mais on s’est débrouillé avec l’aide des Sénégalais, des universitaires et les comités locaux qui ont bien travaillé à Dakar, à Saint-Louis et à Rufisque. Je n’ai payé personne. Les gens m’ont dit qu’on les a appelés à un sursaut et un volontariat national pour nous penser et repenser notre devenir. Donc, nous sommes entièrement d’accord de vous accompagner parce que ce que vous faites, vous le faites pour nous, pour le Sénégal et pour le rayonnement de l’Afrique.

Vous pensez rendre annuel le rendez-vous ?

On veut l’institutionnaliser d’autant plus que les demandes sont là. Tambacounda nous sollicite. Nous avons été approchés par Seydi Gassama et également notre aîné dans le milieu culturel, M. Moustapha Tambadou, pour y aller. Nous avons dit oui et avons décidé, l’année prochaine, d’aller dans le grand terroir de la Casamance. Il y a eu le Fouta qui aimerait nous recevoir. Mais il n’y a pas que ces régions du Sénégal. Il y a Paris, Lyon et Milan qui veulent leur ‘’Gingembre littéraire’’. Il faudra faire des arbitrages.

Repenser l’Afrique va quand même au-delà du seul pays qu’est le Sénégal. Qu’en est-il des autres pays africains ?

Absolument ! Je ne peux vous dire que je sais et ce que je sais est que le Burkina Faso est demandeur.

 

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