Publié le 2 Feb 2022 - 16:32
GUINÉE-BISSAU

Umaru Embaló échappe à la nouvelle lubie militaire ouest-africaine  

 

Le chef de l’État bissau-guinéen a échappé à une tentative de coup d’État, hier, après avoir subi l’assaut d’un groupe d’hommes armés pendant cinq heures.  

 

Et de quatre ! La CEDEAO (communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) a pondu un nouveau communiqué, hier, pour condamner une tentative de coup de force militaire dans un État membre de l’organisation. C’était au tour de la Guinée-Bissau de voir une partie de ses forces militaires tenter de renverser le président de la République Umaru Sissoco Embaló, élu en 2019.

Mais contrairement au Mali, à la Guinée et au Burkina Faso, la tentative de coup d’État n’a pas réussi. Après plusieurs heures d’affrontements entre les putschistes et ceux restés loyaux au chef de l’État, ces derniers ont réussi à reprendre le contrôle de la situation, permettant au président élu de rester en place. Ce n’est qu’aux alentours  µde 20 h 30 que le compte Twitter du président bissau-guinéen a publié des informations sur son état : ‘’Je vais bien, Alhamdoulillah (grâce à Allah). La situation est sous contrôle gouvernemental. Je remercie la population de Guinée-Bissau et toutes les personnes, au-delà de notre pays, qui se sont inquiétées pour mon gouvernement et moi. Vive la République et que Dieu veille sur la Guinée-Bissau.’’

C’est en début d’après-midi que des tirs ont retenti dans le secteur du palais du gouvernement où le président Umaro Sissoco Embaló ainsi que son Premier ministre Nuno Gomes Nabiam et des ministres tenaient un Conseil des ministres extraordinaire. Sur des vidéos circulant sur les réseaux sociaux, des témoins ont partagé des images du bâtiment encerclé par des hommes lourdement armés. Certains étaient en tenue militaire, tandis que d'autres, à bord de pick-up, étaient en civil. Ces hommes ont lancé un assaut auquel ont fait face les militaires fidèles au président. Les affrontements ont fait plusieurs morts, mais un bilan officiel n’a pas été avancé.   

‘’Un coup contre la démocratie’’

Tout a été raconté par le président lui-même, dans une adresse à la nation, après le retour au calme. Il a affirmé s'être retrouvé "sous des tirs nourris d'armes lourdes pendant cinq heures d'horloge" et que les forces de l’ordre ont pu mettre fin à une "attaque contre la démocratie". Le président Embaló a aussi confirmé "plusieurs morts" parmi les forces de l’ordre.

S’il n’a désigné précisément les auteurs de cette tentative de coup d'État, il estime celle-ci "doit venir de ceux qui sont contre les décisions que j'ai prises, notamment dans la lutte contre le narcotrafic et la corruption’’. Cette allusion du président de la République concerne un autre scandale qui secoue le pays en rapport avec l’affaire d’un avion-cargo de type Airbus A340, suspecté de transporter de la drogue et des armes, qui a atterri à l’aéroport international d’Osvaldo Vieira de Bissau, avec l’autorisation de la présidence. Le Premier ministre avait d’abord déclaré que l’avion transportait une cargaison suspecte et était entré illégalement dans le pays, avant de revenir sur ses dires.

Depuis, cette situation a mené à un remaniement, opéré le 24 janvier dernier, qui a d’abord été contesté par le parti du Premier ministre, avant que ce dernier ne revienne sur sa position pour approuver le nouveau gouvernement.

Parmi les personnes qui ont quitté l’équipe gouvernementale, l’ex-secrétaire d’État de l’Ordre public Alfredo Malu, qui avait affirmé ces derniers jours que son éloignement de l’Exécutif était en lien avec ce mystérieux avion, tout en soulignant qu’il s’était limité à appliquer les ordres du Premier ministre de la mise à disposition d’éléments de la police pour accompagner des experts nord-américains qui ont inspecté l’avion. 

La Guinée-Bissau, un cas particulier

Dans l’épidémie de coups d’État qui frappe l’Afrique de l’Ouest de 2020, la Guinée-Bissau est un cas ‘’particulier’’. Depuis son indépendance en 1974, après une longue guerre de libération, ce pays a connu quatre putschs (le dernier en 2012), 16 tentatives de coups d'État et une valse des gouvernements. Un seul président de la République a pu terminer son mandat. Les autres ont tous été renversés et tués pour certains. Après les exemples d’autres pays de la sous-région qui roulent désormais sous le contrôle de militaires, avec une certaine adhésion populaire, les observateurs avertis s’attendaient à une tentative de putsch dans ce pays.

En octobre dernier, le chef d'État-major général des armées, à l'occasion de la cérémonie de célébration du 47e anniversaire de la création de la Police militaire, révélait avoir identifié un groupe de militaires des FARP (Forces armées révolutionnaires du peuple) en train de mobiliser des soldats afin de subvertir l'ordre constitutionnel établi. Le général Biagué Na Ntan affirmait ainsi avoir déjoué une tentative de coup d’État visant le président Embaló. D’ailleurs, certaines informations soutiennent que ce dernier serait décédé et que cette nouvelle donne a incité les putschistes à essayer de profiter de la situation.

Umaru Sissoco Embaló a été élu en 2020, après deux tours d’une élection tumultueuse. L’ancien Premier ministre, réputé proche du président Macky Sall, s’est imposé devant Domingos Simões Pereira. Mais ce dernier a contesté les résultats. Depuis sa prise de pouvoir, il est en constant conflit avec son Premier ministre Nuno Gomes Nabiam, qui appartient à un autre parti politique. En décembre dernier, un accord de partage des futures recettes pétrolières et gazières dans leurs eaux communes entre le Sénégal et la Guinée-Bissau, signé entre les deux chefs d’État, a fait scandale à Bissau. Embaló a été accusé d’avoir conclu l’entente sans avoir consulté le Premier ministre et le Parlement bissau-guinéen.

CEDEAO, à qui le tour ?

Tout au long des combats évoqués par le président Embaló, la CEDEAO a condamné cette tentative de coup d'État et prévenu tenir ‘’les militaires responsables de l'intégrité physique du président Umaro Sissoco Embaló et des membres de son gouvernement". Le président de la Commission de l'Union africaine, Moussa Faki Mahamat, a suivi avec grande inquiétude la situation en Guinée-Bissau. Alors que le secrétaire général de l'ONU, Antonio Guterres, a réclamé dans un communiqué "l'arrêt immédiat" des combats à Bissau et "le plein respect des institutions démocratiques du pays".  

Avec cette nouvelle tentative de coup d’État en Guinée-Bissau, la CEDEAO voit son autorité de plus en plus contestée au sein de l’organisation sous-régionale. Les craintes des chefs d’État quant à l’apologie de putschs militaires sont légitimes, au point que l’on se demande qui sera le prochain à être victime de ces militaires.

Mais les sanctions décrétées à tout va ne semblent pas produire les résultats escomptés. L’embargo sur le Mali, les suspensions contre la Guinée et le Burkina Faso n’ont pas empêché d’autres militaires de ‘’tenter leur chance’’. Si chaque situation est propre au pays concerné, la constante reste que les peuples ne sont pas satisfaits de leurs dirigeants. Une vague sur laquelle surfent les militaires pour se payer une certaine légitimité.    

Lamine Diouf

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