Publié le 25 Jul 2020 - 01:36
IBRAHIMA DIAGNE, CHEF DE PROJET DU PROGRAMME DE DEVELOPPEMENT TOURISTIQUE DE SAINT-LOUIS ET SA REGION (PDT/SL)

‘’Le PDT/SL est ni concerné ni impacté par ce débat sur la statue de Faidherbe’’

 

Durement frappé par la pandémie de la Covid-19, le secteur du tourisme essaie tant bien que mal d’aller de l’avant, de sauver ce qui peut l’être, voire de se réinventer. A Saint-Louis, le projet du Programme de développement touristique de Saint-Louis et sa région (PDT/SL), qui a connu un temps de latence du fait des restrictions dues au coronavirus, a repris le cours de ses chantiers dont le chef de projet, Ibrahima Diagne, explique, dans cet entretien, les axes. Il se prononce aussi sur les retards accusés, le nouveau rôle de l’Apix et l’impact de la polémique autour des symboles de la colonisation qui font partie du patrimoine culturel de la ville touristique.

 

Pourquoi la mise en place d’un Programme de développement touristique de Saint-Louis et sa région ?

Le Programme de développement touristique de Saint-Louis et sa région (PDT/SL), objet de conventions de financement signés en 2012 par l’État du Sénégal et l’Agence française de développement (AFD), pour un montant de 24,5 millions d’euros, soit plus de 16 milliards de F CFA, vient répondre aux besoins manifestes d’investissements porteurs de développement économique de la région, par les ressources tirées du tourisme. Ce programme emblématique et à fort impact économique, social et environnemental s’inscrit dans un nouveau paradigme de développement local de la ville, en ancrage à la politique nationale de développement territorial durable.

Le PDT/SL est structuré autour de la requalification des espaces publics, la réhabilitation du patrimoine bâti public et privé, le renforcement des capacités de la commune dans la gestion des déchets solides, l’amélioration de l’offre et l’accueil touristiques, la pêche et le renforcement des capacités institutionnelles.

Quelles sont les mesures qui ont été prises pour prendre en charge le retard constaté dans la mise en œuvre du projet ?

Il y a lieu de rappeler que le PDT/SL relève de différentes maîtrises d’ouvrage dont le ministère de la Culture, la commune de Saint-Louis, le Syndicat d’initiative/Office du tourisme, la Chambre des métiers et les propriétaires privés. Cette diversité des maitrises d’ouvrage et la complexité du projet ont conduit à la redéfinition de sa gouvernance, suite à la revue, à mi-parcours, et au comité de pilotage tenu en juillet 2017. C’est ainsi que la maitrise d’ouvrage opérationnel du projet a été déléguée à l’Apix SA. (l'Agence nationale chargée de la promotion des investissements et grands travaux de l’État) depuis le 28 novembre 2018, d’une part, et la date limite de mise en œuvre du projet a été prorogée, d’autre part. L’Apix a été choisie pour faire du ‘’fast-track’’.

Quel est l’impact des mesures prises dans le cadre de la lutte contre le coronavirus sur la mise en œuvre du projet ?

Comme vous le savez, à l’instar du reste du monde, l’État du Sénégal a dû prendre des mesures pour pallier la propagation de la pandémie à coronavirus, afin de protéger au mieux la santé publique. Cette crise sanitaire mondiale inédite appelle une très grande prudence et une responsabilité tant individuelle que collective, ainsi que le respect des différentes mesures barrières, afin de se protéger et protéger les autres. Nous saluons d’ailleurs l’ensemble des dispositions prises et visant à enrayer le coronavirus dans notre pays.

Néanmoins, aucun secteur n’a été épargné par les conséquences de ces mesures. Nous avons subi le ralentissement, voire l’arrêt de certaines activités du projet. Il y a lieu de saluer la clairvoyance de la Direction générale de l’Apix qui nous avait instruits dès le mois de mars, d’identifier les risques, d’évaluer les impacts et d’adopter des mesures de résilience et de mitigation.

Comment avez-vous géré cette période ?

Il faut savoir que quasiment tous les secteurs ont été fortement secoués durant cette période de crise sanitaire mondiale de la Covid-19. Là, les activités sont en train de reprendre leur envol. Quoique la plus haute prudence reste toujours de mise. Dès le début de la crise, la Direction générale de l’Apix, qui est le maître d’ouvrage délégué du Programme de développement touristique de Saint-Louis et sa région, a privilégié plus que jamais la protection des personnes et demandé à son personnel de privilégier le télétravail, tout en mettant en place une chaîne de contingence dans le but de gérer la réduction du stock de diligences.

À cet effet, l’Unité de gestion du projet PDT/SL s’est aligné en conséquence. Nous avons mis en place un plan de travail hebdomadaire glissant qui a permis d’assurer au mieux et dans la mesure des conditions autorisées la continuité des activités entamées et limiter le glissement du calendrier dans l’évolution des différentes actions liées au projet. Par conséquent, l’essentiel des dossiers de passation de marchés a été parachevé. C’est pourquoi ce mois de juillet, nous comptons démarrer les études de réhabilitation du village artisanal, de la gouvernance et de Rogniat Sud et les études de réaménagement des quais et berges et de la place Pointe-à-Pitre. Quant aux travaux, il faut reconnaître que nous avons accusé deux mois supplémentaires de retard.

Qu’est-ce qui explique le retard du chantier de la place Faidherbe ?

Je pense qu’il faudra relativiser cette considération. En effet, les travaux ont contractuellement démarré à la fin du mois de septembre 2019, pour une durée de 16 mois. C’est ainsi que la livraison du projet est prévue pour le mois de février 2021. Nous sommes à mi-chemin et toutes les mesures sont en train d’être prises pour respecter les délais, tenant compte des 2 mois de suspension liés au coronavirus.

Il faut comprendre que nous sommes dans un chantier urbain qui renferme énormément de contraintes liées aux besoins de coordination et d’harmonisation, surtout que vous constatez que, sur l’île, concomitamment à nos interventions, il y a des projets de renouvellement des réseaux d’assainissement et d’électricité.

Aussi, préalablement au démarrage des travaux, une large concertation sous l’égide du gouverneur a été lancée pour tenir compte des préoccupations des usagers des espaces publics, particulièrement les transporteurs. Ce n’est qu’au terme de 4 mois d’échanges, sous le leadership du maire de Saint-Louis, que le nouveau plan de circulation a été adopté et formalisé par arrêté du préfet.

La durabilité du projet, étant notre ligne directrice, nous a imposé d’apporter toute l’attention qui sied dans les études d’exécution et la progression des tâches. En effet, ce projet exclut tout raccordement et toute erreur de mise en œuvre. Les réservations pour les réseaux enterrés et les niveaux de côte sont primordiales. Aujourd’hui que nous avons terminé les travaux d’infrastructures, nous allons, dans les prochaines semaines, démarrer les travaux de surface.

Quels sont les clés de succès du chantier de la cathédrale ?

Oui, la rénovation de la cathédrale de Saint-Louis, qui est la plus ancienne de l’Afrique de l’Ouest, est une fierté pour toutes les parties prenantes. C’est l’occasion pour nous de féliciter l’engagement et le professionnalisme de l’entreprise Eiffage. La réussite du projet relève de l’approche participative et inclusive avec une forte implication du diocèse dans les choix et décisions de mise en œuvre. Il faut saluer la forte participation du ministère de la Culture en tant que maître d’ouvrage. Le directeur du Patrimoine culturel et le gestionnaire du site de l’île ont largement joué leurs partitions, sans compter l’apport constant du bailleur de fonds, l’Agence française de développement (AFD). Vous comprenez qu’il n’a pas été difficile pour nous, l’Apix, de jouer le rôle de chef d’orchestre. Ensemble, nous avons su relever les défis liés à la réhabilitation d’un bâtiment en péril et avec une grande valeur patrimoniale.

À quand les premiers chantiers sur le patrimoine privé ?

Le projet de réhabilitation du patrimoine bâti constitue une composante majeure du Programme de développement touristique de Saint-Louis et sa région. En plus d’inciter les propriétaires privés et publics à respecter le plan de sauvegarde et de mise en valeur (PSMV) de leurs biens, il vise principalement à améliorer le cadre de vie des résidents, favoriser un certain développement économique, qu’il soit commercial ou touristique, contribuer à l’emploi et à la qualification de jeunes dans le domaine du patrimoine et lutter contre la pauvreté. Le volet patrimoine privé est le plus déterminant et repose sur une innovation structurelle qui repose sur un dispositif de cofinancement entre l’État et les propriétaires privés. Vous comprenez qu’il a fallu tout une ingénierie pour adopter un mécanisme inédit de partenariat public-privé pour la rénovation des unités architecturales (UA) présentant une grande valeur patrimoniale. En moins de 3 mois, 67 propriétaires privés ont manifesté leurs intérêts à participer au programme. Nous comptons, d’ici le mois d’octobre 2020, entamer les travaux de la première phase pour 19 maisons et un budget de plus de 600 millions de F CFA dont les 200 millions seront mobilisés par les propriétaires privés.

Pour la deuxième phase concernant une vingtaine d’UA, les travaux pourront démarrer au début de 2021, pour plus de 800 millions de F CFA dont plus de 300 millions provenant des propriétaires privés. Il faut reconnaitre que sous l’impulsion du maire de Saint-Louis, avec la solidarité de l’AFD et l’ingéniosité de l’Apix, un effet levier considérable a été noté avec un engagement ferme des propriétaires à mobiliser plus de 500 millions de F CFA pour la rénovation du patrimoine. Voici un modèle qui pourra être capitalisé et dupliqué pour le renouvellement urbain de nos villes centenaires. Aussi, il y a lieu de noter qu’une formation dans les métiers du patrimoine, dans le cadre de chantier-écoles, est prévue pour plus de 200 jeunes ouvriers ou demandeurs d’emploi.

Quel sera l’apport du PDT/SL pour la relance du tourisme ?

Le PDT/SL vise à renforcer l’environnement et les leviers du produit touristique, en luttant contre l’insalubrité, l’insécurité et la perte des richesses patrimoniales. À terme, le PDT/SL va offrir plus d’espaces de vie salubre et agrémenter le parcours touristique. Aussi, il est important de noter l’important programme de renforcement de capacités des acteurs touristiques.

En effet, plus de 200 personnes sont concernées par une formation sur l’accueil, l’orientation, la connaissance du milieu… Pour booster l’économie locale, les artisans seront appuyés par un coaching sur le design, la production et la commercialisation de produits labellisés. Sur le plan institutionnel, le Syndicat d’initiative est appuyé pour la promotion de la destination Saint-Louis et le village artisanal sera modernisé pour le compte de la Chambre des métiers.

Est-ce que le PDT/SL va contribuer par rapport aux enjeux post-coronavirus ?

Le coronavirus impose un changement de paradigme basé sur la valorisation des potentialités intrinsèques. Il y a lieu de construire une autonomisation territoriale et une solidarité interrégionale. La pandémie remet en surface les enjeux sociétaux, mieux vivre ensemble. L’importance des services publics orientés vers la prévention aux risques et la satisfaction de la demande sociale est de plus en plus accrue. Ceci est le crédo du PDT/SL qui repose sur une approche holistique du développement territorial.

En effet, il va impacter favorablement l’hygiène publique, la santé des populations, l’habitat décent, la préservation du patrimoine, le développement économique, l’aménagement intégré et durable des espaces publics…

Vous parlez de santé de population et d’habitats décents. L’île est confrontée à un problème d’insalubrité et d’inondation qui tend à devenir endémique. Peut-on s’attendre à ce que cela devienne de mauvais souvenirs avec ce projet ?

Il y a lieu de se féliciter qu’un effort important est fait par la Mairie de Saint-Louis relativement à la prise en charge des questions de salubrité publique. En effet, elle a renforcé sa logistique de collecte des déchets et son personnel affecté au nettoiement et au désensablement des rues. Le PDT/SL a déjà acquis 2 bennes tasseuses et envisage de livrer à la Commune de Saint-Louis 8 autres engins de collecte et transport des déchets. Aussi, après l’installation d’un banaliseur au niveau de l’hôpital régional, le PDT/SL va livrer bientôt une camionnette pour le transport des déchets biomédicaux produits dans le district sanitaire. Par ailleurs, l’État du Sénégal est en train de mettre en œuvre un important programme d’assainissement de l’Ile. Par conséquent, au terme de nos interventions combinées et avec l’aménagement préventif des espaces publics, l’Ile sera un exemple abouti de projet de rénovation urbaine.

Est-ce que le débat sur un possible déboulonnement de la statue de Faidherbe et, plus généralement, sur les symboles de la colonisation peut affecter vos travaux ?

Non, le PDT/SL est ni concerné et ni impacté par ce débat. Son objectif est de s’aligner davantage au Programme de Relance de l’Économie nationale lancé par son Excellence, le Président de la République.

Est-ce que le projet se limite seulement à la Commune ou bien prend en compte d’autres sites, comme l’île Boppu Thior qui présente énormément de potentialités touristiques ?

La région de Saint-Louis constitue le périmètre d’intervention du PDT/SL. L’essentiel des investissements est concentré au niveau de la Commune, mais les impacts socio-économiques couvrent la région. En effet, un appui est apporté au profit des parcs naturels du Djoudj et Geumbeul ainsi qu’au district sanitaire de même qu’aux acteurs touristiques de la région de Saint-Louis.E

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