Publié le 23 Nov 2021 - 13:33

Il y a 70 ans, Cheikh Anta Diop clashait Dias et Sonko

 

Le nouveau refrain bien connu est celui selon lequel tout ce qui est entrepris par la Justice, au nom de la société, pour appliquer la loi générale et impersonnelle aux opposants, vise à écarter du jeu démocratique des adversaires politiques dont les chances de gagner une élection sont aussi grandes que celles des candidat(e)s sortant(e)s. Vérité ou mensonge ? Pour éviter tout parti pris qui rendrait inutile notre propos, nous n’avons d’autre choix que de renvoyer pouvoir et opposition dos à dos en considérant qu’il n’y a ni vérité absolue, ni mensonge absolu en la matière. En prélude à l’accusation d’untel ou d’untel de trouble à l’ordre public et d’usage de la violence pour le pouvoir local ou national, nous présentons d’abord le prisme sous lequel les faits irréfutables pendant les investitures pour les élections locales du 23 janvier 2022, et après elles, sont analysés dans ce qui suit.

“Alerte sous les Tropiques”

C’est le titre du recueil d’articles de 150 pages (Éditions Présence Africaine, 1990) publiés, entre 1946 et 1960 dans diverses revues, par le Professeur Cheikh Anta DIOP dont les motivations sur la période - la “Culture” et le “Développement en Afrique noire” - sont restées intactes toute sa vie durant. Des 11 articles du recueil qui nous parle aujourd’hui autant qu’hier, celui intitulé “Vers une idéologie politique africaine” (p.45-65) nous permet, telle une prophétie, de conquérir sur les vérités toutes faites les accès de fièvre, les discours virulents précurseurs et la part d’irresponsabilité des locuteurs depuis février 2021. Dès l’introduction à son brillantissime article, le grand savant sénégalais dit vouloir “provoquer la prise de conscience de tous les Africains d’Afrique noire” par le “travail d’avant-garde qui amènera chaque Africain, depuis le Sahara jusqu’au Cap, (…) à réaliser qu’on doit lutter pour des idées et non pour des personnes, que le sort du peuple est avant tout dans ses propres mains, qu’il ne dépend pas essentiellement de l’éloquence revendicative d’un quelconque député (…), que le moyen naturel pour transformer la société et la Nature est la lutte collective organisée et adaptée aux circonstances de la vie, que dans cette lutte concrète le peuple (…) doit contrôler [l’]avant-garde d’une façon dépouillée de toute sentimentalité, que ce contrôle (…) est la meilleure garantie de l’efficacité de la lutte, (… ) [et] qu’ il (…) est nécessaire de dépasser le snobisme, la mode et les manies.”

Le refus de tout parti pris dans ce texte ne nous permettant toujours pas de tirer notre légitimité de notre adhésion ou pas aux prescriptions de l’auteur des “Fondements culturels et économiques d’un État fédéral d’Afrique noire”, nous préfèrons arrimer notre raisonnement à la dernière déclaration en date du Cadre unitaire de l’islam au Sénégal (CUDIS) “pour une charte de la non-violence” entérinée par toute l’avant-garde politique à moins de deux mois du scrutin départemental et municipal du 23 janvier 2022. L’arrimage de notre effort de démonstration à la déclaration du CUDIS est d’autant plus crédible que le Professeur Cheikh Anta DIOP insiste, dans l’article cité, sur le caractère sacré. même du point de vue religieux, de l’objectif ultime d’”indépendance nationale du continent noir”. “Lutter pour atteindre cet objectif, écrit-il, est conforme à l’enseignement du Coran, du Chtistianisme et au progrès de l’humanité.” Soixante-dix ans après, que dit le CUDIS et que lui répond l’avant-garde politique dans sa diversité ?

Halte à la violence

Rejetant d’emblée, comme le président Macky Sall dans son adresse à la Nation du 8 mars 2021, la “logique de l’affrontement qui conduit au pire”, le CUDIS, rappelle, dans sa déclaration, l’engagement du Mouvement de défense de la démocratie (M2D) à agir pour “l’unité nationale, la paix et la concorde”, le bannissement de “la haine et [de] la division sur des bases religieuses [et] ethniques”, l'isolement de “toute personne, ou groupe de personnes, (…) qui par l’acte ou la parole susciterait où encouragerait la violence ou la haine” et l’encouragement d’une “pratique politique positive, fondée sur le respect de l’autre et la valorisation des débats d’idées”.

Dès 1952, un lanceur d’alerte du nom de Cheikh Anta Diop, indiqua, à ses contemporains et à la postérité, ce qu’il y a lieu de faire pour asseoir durablement la souveraineté nationale et internationale de l’Afrique noire. Soixante-dix ans avant le M2D et le CUDIS dans le Bulletin - “La voix de l'Afrique noire” – de l'Association des Étudiants RDA !. “En démontrant d’une façon indiscutable la parenté des Sérères, des Valafs, des Saras (peuple des “négresses à plateau”), des Sarakollés, des Toucouleurs, des Peuls, des Laobés”, Cheikh Anta DIOP voulait rendre “ridicule - [ce qu’il obtint] - tout préjugé ethnique entre les ressortissants conscients de ces différents groupements”.

Concluant sa déclaration, le Cadre unitaire de l’islam au Sénégal propose aux acteurs politiques de tout bord d’adopter la Charte de la nonviolence considérée comme un “instrument de veille citoyenne” et un puissant baromètre grâce auquel tous les segments du peuple exercent le contrôle nécessaire, cher à l’auteur de Civilisation ou barbarie, sur l’avant-garde dont les deux composantes (majorité et opposition) animent la vie politique pendant les trois moments (pré-électoral, électoral et post-électoral) qui la rythment. En déclarant qu’il ne signerait pas la Charte de la non-violence du CUDIS, Ousmane Sonko, adoubé par le maire sortant de la commune de Mermoz Sacré-Cœur Barthélemy Dias, considère qu’il doit être le seul à échapper au contrôle de l’avantgarde politique par le peuple souverain pour mieux enfreindre les lois et règlements tout en échappant aux procédures de mise en accusation et de poursuite judiciaire en cas de culpabilité formellement établie par un tribunal compétent.

Le recours annoncé à la violence par M. Sonko n’est ni plus ni moins qu’une déclaration de guerre à la démocratie sénégalaise et à la République une et invisible qui en est l’incarnation suprême. Cheikh Anta DIOP doit retourner dans sa tombe pour avoir 70 ans plus tôt montré le bon cheminà tout un continent, clashant au passage les deux compères immatures et violents (Dias et Sonko). Qui disait que le savant Cheikh Anta DIOP inspire Ousmane Sonko? L’écrivain Boubacar Boris DIOP ! Il n’avait manifestement pas vu juste. Le moment est peut-être venu pour le disciple du Professeur de faire son mea culpa et de se décider enfin à critiquer Ousmane Sonko comme vient de le faire le grand défenseur des droits de l’homme Alioune Tine.

ABDOUL AZIZ DIOP

Essayiste

SEN APR

Conseiller spécial à la Présidence

de la République

 

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