Publié le 6 Dec 2022 - 17:20
IMMUNITÉ PARLEMENTAIRE

Entre protection et impunité !

 

La guerre fait rage à l’Assemblée nationale, entre pro et anti députés présumés agresseurs d’Amy Ndiaye Gniby. Si les premiers exigent des poursuites, les seconds invoquent l’immunité, voire une irresponsabilité absolue qui frise l’impunité.

 

L’immunité parlementaire est-elle absolue ? Le député jouit-il d’une irresponsabilité totale dans l’exercice de ses fonctions ? Peut-il être poursuivi sans la levée de son immunité ? Le débat est agité depuis quelques jours, suite à l’acte indigne de certains députés de Yewwi Askan Wi qui s’en sont violemment pris à une de leurs collègues.

Pour Barthélémy Dias, la réponse est évidente : il faut se garder de toute poursuite à l’encontre des agresseurs. Il peste : ‘’Ce n’est pas la première fois qu’on voit des députés se bagarrer à l’Assemblée nationale. Si des gens croient qu’ils peuvent utiliser ce prétexte pour mettre en prison un député, ils se trompent lourdement. Même quand deux députés se battent ici, le procureur n’y peut absolument rien. Ailleurs, dans le monde, des députés se sont battus jusqu’à effusion de sang, sans que la justice ne s’en mêle, parce que les députés sont protégés en session par une immunité parlementaire…’’

Mais que dit la loi à propos de l’immunité parlementaire ? Aux termes de l’article 61 de la Constitution repris dans le règlement intérieur de l’Assemblée nationale, il faut distinguer au moins trois situations. Le député en session, le député hors session et le député dans l’exercice de ses fonctions. Il résulte de la disposition précitée en son alinéa 1er ‘’qu’aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions’’.

Dans la même veine, l’alinéa 2 précise ‘’qu’aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée dont il fait partie’’.

Par ailleurs, hors session, le membre de l’Assemblée nationale ne peut être poursuivi qu’avec l’autorisation du Bureau de l’Assemblée, sauf en cas de crime ou délit flagrant.

L’irresponsabilité concerne les discours et le vote du député, pas les infractions (article 61 alinéa 1er)

Dans l’affaire des députés Massata Samb et Mamadou Niang, nous sommes surtout dans le premier cas de figure. Non seulement ils sont en session, mais ils étaient en plein exercice de leurs fonctions. La loi dit : ‘’Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé à l’occasion des opinions ou votes émis par lui dans l’exercice de ses fonctions.’’

C’est sur cette disposition que certains s’appuient pour défendre l’irresponsabilité de MM Samb et Niang pour les faits commis dans l’enceinte même de l’hémicycle. Sur sa page Facebook, l’ancien parlementaire et président de groupe Moustapha Diakhaté se veut catégorique. En cas de flagrance, selon lui, il n’est même pas besoin de demander la levée de l’immunité du député. Il peste : ‘’Les indignes députés qui ont offensé l'Assemblée nationale doivent être arrêtés, jugés sans la levée de leur immunité parlementaire. Ils doivent être poursuivis, sans délai, en flagrance et sévèrement condamnés pour coups et blessures volontaires et définitivement radiés. L’immunité parlementaire ne saurait tout permettre, certainement pas l'agression physique. Certainement pas la barbarie, quelle qu'en soit la cible.’’

A cette interprétation de M. Diakhaté, Doudou Wade apporte une nuance. Invoquant l’article 61 alinéa 1er, il insiste : ‘’On ne peut arrêter un député dans l’exercice de ses fonctions, même en dehors de l’hémicycle, a fortiori quand il est dans l’hémicycle. Dans ce cas, on parle d’irresponsabilité… Si le procureur décide de poursuivre, l’Assemblée peut lui demander de suspendre les poursuites. La demande est acquise dès que l’Assemblée le requiert. Mais pour le requérir, il faut aller en plénière.’’

Dès lors qu’ils sont en session, l’autorisation est nécessaire (article 61 alinéa 3)

Mais jusqu’où peut aller cette irresponsabilité ? Le député jouit-il d’une immunité (irresponsabilité) absolue ? Faut-il mettre davantage de garde-fous au cas échéant ? Dans une contribution publiée en 2015, à l’occasion de l’arrestation d’Oumar Sarr, Babacar Gaye, ancien parlementaire, revenait sur cette notion d’irresponsabilité. Il disait : ‘’Comme il est bien précisé dans le texte constitutionnel, le député est totalement irresponsable pour tout ce qui se rapproche à l'exercice de ses fonctions, actes qui ne se résument pas aux seuls opinions et votes émis dans l'hémicycle. Même lors des travaux des commissions permanentes ou ad hoc, intra comme extra muros, les actes que pose le député entrent dans le cadre normal de ses prérogatives. Par conséquent, il ne peut aucunement être poursuivi, recherché, arrêté, détenu ou jugé… Cette protection du député a un caractère absolu, permanent et perpétuel. Elle constitue un moyen d’ordre public, c’est-à-dire que le député ne peut pas renoncer à son immunité.’’

Embouchant la même trompette, ce spécialiste du droit apporte une précision. ‘’La loi, souligne-t-il, est très claire à ce niveau. L’irresponsabilité concerne les discours que tient le député en cours de session. Cela veut dire que le député peut dire tout ce qu’il veut. Mais elle ne vise pas les infractions susceptibles d’être commises par le parlementaire’’. Mais, de l’avis de Doudou Wade, l’immunité doit prévaloir dans le cas d’espèce. Il insiste : ‘’Je dois dire que Babacar a été l’un des premiers que j’ai entendu critiquer l’irresponsabilité absolue du député. Lui pense qu’il faut encadrer cette irresponsabilité. Mais, à mon avis, dans des régimes présidentiels forts, toucher à cette immunité, c’est affaiblir le député.’’

Cela dit, même si l’acte est détachable de la fonction du député et pourrait difficilement se prévaloir de l’irresponsabilité, ils sont nombreux, les juristes, à penser que l’autorisation du Parlement est nécessaire pour déclencher des poursuites. Dans son article, Babacar Gaye expliquait : ‘’J’ai lu un ancien parlementaire soutenir ‘qu'en cas de flagrant délit, le député est traité comme tout justiciable normal’. Ce qui est totalement inexact. Cette thèse manque de précision et renferme des limites fixées dans le troisième alinéa de l'article susvisé. (Lequel) précise : ‘Aucun membre de l’Assemblée nationale ne peut, pendant la durée de la session, être poursuivi ou arrêté, en matière criminelle ou correctionnelle, qu’avec l’autorisation de l’Assemblée dont il fait partie.’ Comme il est constant dans cet alinéa, le constituant ne fait nulle part allusion au flagrant délit.’’

Il en résulte, de l’avis de l’ancien parlementaire, que dès lors que le député est en session, il faut une autorisation de l’Assemblée nationale avant toute poursuite. Même si on est en flagrance. Maintenant que la poursuite semble déclenchée, elle peut être suspendue, si l’on en croit Doudou Wade, par une demande de l’Assemblée. Il explique : ‘’La suspension d’un membre de l’Assemblée ou sa détention du fait de cette poursuite est suspendue si l’Assemblée dont il fait partie le requiert.’’

Sauf revirement de situation, les convocations seront envoyées aujourd’hui

Au-delà de ce débat autour de l’irresponsabilité, il faut noter que les députés du Parti de l’unité et du rassemblement (Pur) sont dans de beaux draps. Dans les prochaines heures, confient des sources à ‘’EnQuête’’, ils vont recevoir leur convocation. Et si la procédure débouche sur une condamnation, ils risquent purement et simplement la radiation. Aux termes de l’article 61, dernier alinéa, le membre de l’Assemblée qui fait l’objet d’une condamnation définitive est radié de la liste des parlementaires, sur demande du ministre de la Justice. 

LAMINE DIOUF

 

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