Publié le 13 May 2020 - 22:19
IMPACT DE LA COVID-19 SUR LA SAISON DE PRODUCTION D’OIGNON

La grande déception des producteurs 

 

Les producteurs d’oignon sont aux abois. La campagne de première saison 2020 en cours s’annonçait belle. Mais la pandémie de la Covid-19 a chamboulé toutes les prévisions. Ainsi, malgré les belles récoltes et la bonne qualité de la production, les agriculteurs locaux peinent à trouver preneurs. Il s’y ajoute l’intense concurrence de firmes internationales délocalisées dans leur zone et la pression des institutions financières pour le remboursement de la dette.

 

Tout était parti pour une belle saison. Une très bonne productivité, un marché fermé à l’importation, des semences de qualité, contrairement aux années précédentes, possibilité d’exporter vers les pays voisins, la campagne 2020 de production d’oignon s’annonçait belle pour les horticulteurs de la zone des Niayes et de la vallée.

Mais c’était sans la crise sanitaire de la pandémie de coronavirus qui est venue tout chambouler. Ainsi, à l’instar de beaucoup de secteurs, la production horticole souffre des mesures prises pour freiner la propagation de la pandémie. Résultat : des milliers de tonnes d’oignon pourrissent actuellement dans les champs de la zone des Niayes et dans la vallée du fleuve, faute de preneurs.  

En effet, la fermeture des marchés et des ‘’loumas’’ (marchés hebdomadaires) a rendu presque impossible l’écoulement de la production. Dans la zone des Niayes et dans la vallée du fleuve, les producteurs ne savent plus à quel saint se vouer.  Malgré l’excellente productivité et la bonne qualité de la récolte obtenue en cette campagne de la période froide communément appelée ‘’première saison’’, les horticulteurs décrivent une saison catastrophique due à l’absence d’acquéreurs.  

C’est ainsi des mois d’efforts qui aboutissent à la déception, avec des pertes énormes. De belles récoltes bazardées sur le marché à des prix au plus bas niveau. Ida Guèye est un producteur d’oignon. Il est établi au village de Potou, centre de la culture de cet aromate dans la région de Louga. Contacté par ‘’EnQuête’’, il décrit une situation inédite, une campagne très prometteuse qui a brutalement avorté. La déception est donc totale.

‘’La récolte a été bonne, mais on n’arrive pas à vendre. Nous avons énormément de difficultés pour écouler la production. Aujourd’hui, des milliers de tonnes sont en train de pourrir dans nos champs. Ce qui fait qu’on est obligé de brader nos récoltes entre 110 et 120 F le kg’’, déplore-t-il.  Mahawa Ka, un autre producteur s’activant de la même zone, ne dit pas le contraire.  Selon cet horticulteur, la crise sanitaire a complément bouleversé la saison.  Pour cause, la fermeture des ‘’loumas’’ conjuguée à la limitation des moyens de déplacement rendent difficile l’écoulement de la production. Les commerçants ‘’bana-bana’’ sont devenus introuvables.

La situation est aussi compliquée pour les opérateurs économiques. El Hadj Magatte Boye s’active dans la culture et la commercialisation de l’oignon. Pour lui, la campagne est plus que décevante. La récolte est très bonne, mais toutes les portes semblent fermées pour l’écoulement de la marchandise.  En plus de la fermeture des marchés et autres ‘’loumas’’, souligne-t-il, le repli des pays voisins qui se sont barricadés pour éviter la propagation de la maladie, en fermant leurs frontières, impacte considérablement la commercialisation. D’habitude, El Hadj Magatte Boye exportait sa production dans les pays de la sous-région (Mauritanie, Gambie), mais avec la fermeture des frontières terrestres, il ne peut plus le faire.  

‘’L’agriculture est notre principale source de revenus. La semaine passée, j’avais chargé deux camions d’oignon pour la Gambie. On nous avait dit que le marché était fermé pour 8 jours, mais que la Gambie n’en faisait pas partie. Cependant, quand j’ai quitté Potou pour Banjul avec mes tonnes de marchandise, des contrôleurs économiques m’ont interpelé à Louga pour me dire que la Gambie avait fermé ses marchés. Les deux camions remplies d’oignon ont ainsi pourri, entrainant une perte d’une valeur de 6 millions de F CFA’’, narre-t-il au bout du fil, l’air tout dépité.

C’est le même constat dans la zone de la vallée du fleuve. Le pire, ici, est que les agriculteurs sont obligés de brader la production, car en plus de la fermeture des marchés, la forte chaleur qui sévit dans la zone menace de ruiner toute la récolte. ‘’Il y a une grande offre, alors que la demande est faible. Le stock est très important, alors que les preneurs ne se manifestent pas encore, compte tenu de la situation sanitaire et des restrictions de circulation. Les ‘bana-bana’ imposent à vrai dire les prix qui leur conviennent. L’autre problème est que les producteurs n’ont pas de sites de stockage. Ils préfèrent ainsi bazarder la production à leurs risques et périls. En effet, comme l’oignon est une denrée périssable, avec la forte chaleur qui sévit dans le Walo, ils craignent l’endommagement de la récolte. Il y a aussi les risques liés aux variations climatiques qu’il faut prendre en compte. Je me rappelle, il y a de cela deux ans, on avait stocké notre production pour attendre le moment propice à la vente. Mais une pluie inattendue s’était abattue et a endommagé toute la production. Pour ne pas vivre la même situation, on est obligé de brader la production. Il y a aussi la contrebande et le vol. Ce sont tous ces facteurs qui font que les gens bazardent la production’’, fait savoir Alassane Ka, producteur établi dans la zone de Matam.  

Concurrence déloyale

Les producteurs dénoncent, en outre, une concurrence déloyale des entreprises étrangères établies au Sénégal et qui s’activent dans ce secteur.

En effet, après avoir combattu des années pour obtenir la fermeture des importations en période de production locale, ces agriculteurs disent faire désormais face à ‘’une concurrence déloyale’’ des producteurs étrangers qui ont délocalisé leurs entreprises pour s’accaparer du marché local. Dans la vallée du fleuve, c’est la forte présence des sociétés indiennes qui est décriée.

Selon les nationaux, ces grands producteurs étrangers sont en train d’inonder le marché avec des prix défiants toute concurrence. ‘’Le problème le plus sérieux parmi les étrangers, c’est Sénégindia qui détient des milliers d’hectares de terres au niveau de la vallée à Mbane et qui est en train de cultiver de la pomme de terre et de l’oignon. Cette année, l’entreprise a cultivé beaucoup d’oignon et elle a inondé le marché. A l’heure où je vous parle, dans tous les marchés à Dakar ou dans les boutiques de quartier, c’est l’oignon de Sénégindia qui y est vendu à un prix extrêmement bas. La société a des hangars de stockage et des chambres froides pour conserver la pomme de terre, mais elle ne l’a pas pour l’oignon. Ce qui fait qu’avec la forte productivité, ces producteurs ont inondé le marché, car ils veulent se débarrasser de toute leur production et sont prêts à brader l’oignon à des prix extrêmement bas’’, fulmine le président de l’Association pour la promotion des produits agricoles du Sénégal (Appasen).

Compte tenu de cette situation, poursuit-il, ‘’ils ont rempli tout le marché et nos parents qui sont au niveau de la vallée du fleuve et dans la zone des Niayes n’arrivent pas à vendre. Certains producteurs sont prêts à céder leur oignon à 125 F le kilo, mais ils n’arrivent pas à trouver des preneurs. Selon les informations que nous avons reçues de la Direction de l’horticulture, la valeur totale se situe à 8 milliards 100 millions d’oignon qui sont déjà récoltés, stockés et qu’on n’arrive pas à vendre’’.  

A en croire Issa Oumar Bass, en plus d’inonder les marchés de quartier, ces gros producteurs étrangers approvisionnent les supermarchés et les grandes surfaces de plus en plus fréquentés par les consommateurs, en cette période de semi-confinement. ‘’Avec la fermeture des marchés et des ‘loumas’, il n’y a que les supermarchés qui sont ouverts et ils sont fournis par les grandes entreprises comme Sénégindia qui sont leur principale source d’approvisionnement en oignon et en pomme de terre. Les supermarchés prennent de plus en plus de place dans l’écoulement des produits horticoles. Or, l’Etat ne prend même pas en compte ces supermarchés pour la commercialisation et c’est un sérieux problème’’, renchérit-t-il.

La promesse de l’Etat

Au moment où le président Macky Sall porte le combat pour l’annulation de la dette africaine, en cette période de pandémie, les agriculteurs sénégalais, eux, voudraient qu’il vienne à leur rescousse, en épongeant leurs dettes auprès des institutions financières locales.

En effet, ces producteurs qui peinent à trouver des preneurs pour l’écoulement de leur production, subissent la pression des créanciers qui exigent le remboursement de la dette à date échue.  ‘’Quatre-vingt-dix pour cent des producteurs font des prêts bancaires pour investir et ils sont aujourd’hui dans l’incapacité de rembourser leurs créanciers. Nous sommes obligés de brader nos récoltes, lorsque les prix proposés ne nous permettent même pas de rembourser les prêts bancaires. On arrive à peine à nourrir nos familles et à payer les saisonniers. Nous voulons que l’Etat nous appuie dans le remboursement de la dette. À défaut de payer la dette des producteurs, nous voulons qu’il nous aide à renégocier les délais de remboursement’’, réclame Mahawa Ka, agriculteur de la zone des Niayes.  

Il ajoute : ‘’L’Etat avait promis de décaisser 1 milliard pour acheter le stock de l’oignon et de la pomme de terre de la zone. Mais on attend toujours. En plus, 1 milliard ne représente même pas 1 % de la production qui a beaucoup augmenté cette année. On voit que tous les secteurs ont bénéficié du plan de résilience économique Force-Covid-19, sauf les producteurs d’oignon, alors que nous faisons partie des premiers employeurs du pays. C’est clair, aucun secteur n’emploie autant que l’agriculture dans ce pays. Nous avons aujourd’hui des milliers d’employés qu’on doit payer, mais on ne peut pas le faire, parce qu’on ne trouve pas de preneurs pour notre production’’, regrette-t-il.    

Les producteurs de la vallée aussi sont d’avis que l’Etat doit, compte tenu de la situation, éponger la dette pour eux. ‘’Nous voulons que l’Etat supporte la dette des producteurs, dans le cadre du plan de résilience économique.  L’on nous dit que les producteurs d’oignon ne sont pas concernés. C’est très déplorable. La Der (Délégation à l’entrepreunariat rapide) a déboursé 500 millions pour fonds de garantie pour le secteur, mais cela ne concerne que les commerçants. Les producteurs ne s’y retrouvent pas’’, renchérit Mamadou Diop, Président de l’Association des producteurs d’oignon du bas delta (Aprobad).  Son groupement s’active dans la zone de Dagana, dans la région de Saint-Louis, et à Keur Momar Sarr, dans les contrées de Louga.  

ABBA BA

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