Publié le 19 Jun 2021 - 00:51
INCOMPÉTENCE DÉCLARÉE DANS CERTAINS DOSSIERS

Ismaïla Madior Fall défend le Conseil constitutionnel

 

Il est très difficile, pour lajustice constitutionnelle ouest-africaine, de donner un avis surcertains sujets. Une situation qui, parfois, handicape le travail desconstitutionalistes qui n’ont pas souvent bonne presse, surtoutau Sénégal. Une thèse réfutée hier par le professeur Ismaïla Madior Fall qui acquitte le Conseilconstitutionnel.

 

La justice constitutionnelle ouest-africaine est souvent victime de préjugés. Au Sénégal, le Conseil constitutionnel est souvent mal vu. Il lui est souvent reproché de donner des avis qui vont à l’encontre du droit ou de la perception de l’opinion. Il se déclare parfois incompétent par rapport à plusieurs dossiers complexes. Un avis qui n’est pas partagé par le professeur Ismaïla Madior Fall. Venu présider, hier, une rencontre des Cours et Conseils constitutionnels d’Afrique de l’Ouest, en partenariat avec la fondation Konrad Adenauer, il a éclairci certains points relatifs au procès fait au Conseil constitutionnel. A son avis, il est souvent reproché au Conseil constitutionnel de se déclarer systématiquement incompétent, lorsqu’il est appelé à connaitre de certaines affaires.

Le problème, soutient le Pr. Fall, est que le Conseil constitutionnel est obligé de statuer sur la base de la loi organique qui détermine son champ de compétence. Une loi organique qui, d’ailleurs, dit-il, complète la Constitution du Sénégal. Lorsqu’une question est soumise au Conseil constitutionnel, explique le professeur, il regarde si celle-ci rentre dans son champ de compétence. Lorsque la question ne rentre pas dans le champ de sa compétence, il se déclare incompétent. “Ce n’est pas incompétent au sens cognitif, scientifique du terme. Mais incompétent au sens juridique. C’est-à-dire que la question qui lui est posée, la Constitution et la loi organique qui le régissent, ne l’habilitent pas à se prononcer sur la question’’, clarifie-t-il. Avant d’ajouter qu’il y a maintenant une innovation importante introduite dans la Constitution de 2016 : le referendum de 2016.

“C’est que désormais, le Conseil constitutionnel du Sénégal peut être saisi par le président de la République pour toute question de nature constitutionnelle, pour avis. Cela veut dire que maintenant, dans le champ politique sénégalais, lorsqu’il y a des protagonistes qui posent des questions de nature constitutionnelle, le Conseil constitutionnel peut être invité à donner son avis’’, fait-il savoir. 3e mandat Pour ce qui est du 3e mandat devenu presque une religion en Afrique de l’Ouest où dans beaucoup de pays, le Conseil constitutionnel se déclare incompétent. Il souligne qu’il est difficile de globaliser, de mettre tous les pays dans le même champ. Parce que la question du 3e mandant ne se pose pas de la même manière, dans tous les pays. Il y a, soutient-il, des pays dans lesquels il n’y a pas de limitation de mandats. Il y a aussi des pays où on a limité les mandats et levé la limitation par voie référendaire. Il y en a d’autres où on a fait un 3e mandat sur la base d’interprétations divergentes de la Constitution.

“La question est tellement complexe qu’on ne peut pas la résoudre en une minute’’, a indiqué le Pr. Fall. S’agissant de l’arrêt de la Cour de justice de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l’Ouest (CEDEAO) demandant à l’Etat du Sénégal de mettre un terme au système de parrainage, le professeur se veut plus clair. Selon lui, le problème est que le système du parrainage au Sénégal est dans la Constitution. C’est l’article 28 de la Constitution qui pose la question du parrainage. “On sait que la Cour de justice de la CEDEAO n’a pas vocation à juger les lois constitutionnelles. C’est comme si, par exemple en Europe, la Cour européenne des Droits de l’homme se lève pour dire que le parrainage qui est pratiqué en France est illégal et qu’il faut l’arrêter. C’est inimaginable. Ici, c’est une question de nature constitutionnelle. La Cour de justice de la CEDEAO n’a pas à entrer dans des questions qui relèvent du noyau dur de la souveraineté’’, a précisé le constitutionnaliste.

“C’est vrai que les arrêts rendus par la Cour de justice de la CEDEAO sont exécutoires. Mais l’Etat se réserve aussi le droit d’introduire un recours en interprétation. D’autant que, quand on lit l’arrêt à première vue, on peut aussi penser que la cour ne remet pas en cause les principes du parrainage, mais les modalités du parrainage. Et dans le cadre du dialogue national, il y a des discussions sur comment améliorer ce parrainage’’, a-t-il poursuivi. Le professeur Ismaïla Madior Fall a magnifié, par ailleurs, la dynamique d’ouverture notée au niveau du Conseil constitutionnel. A son avis, depuis quelques années, le Conseil constitutionnel a tendance à s’ouvrir, à se faire connaitre par son environnement, le public, ses justiciables. Il est, constate-t-il, de plus en plus disposé à communiquer et à organiser des colloques sur des sujets sur la justice constitutionnelle, l’Etat de droit, sur la protection des libertés fondamentales. “Souvent, quand on parle de justice constitutionnelle, on a tendance à croire que c’est une affaire de spécialistes. C’est bien d’ouvrir des colloques pour que les chercheurs, les praticiens, les étudiants, les politiques aient des occasions pour se familiariser avec la justice constitutionnelle’’, déclare-t-il.

VIVIANE DIATTA 

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