Entre détresse humaine et rentrée compromise

Depuis plusieurs jours, le bassin du fleuve Sénégal connaît une montée inquiétante des eaux. Les fortes précipitations enregistrées en amont, combinées aux lâchers d’eau effectués au barrage de Manantali au Mali, ont provoqué des inondations d’une ampleur inédite dans plusieurs localités riveraines, notamment dans le département de Bakel.
Dans la vallée du fleuve Sénégal, la crue a pris une tournure dramatique. En quelques heures, cinq villages de la commune de Ballou se sont retrouvés sous les eaux, plongeant des centaines de familles dans le désarroi.
Des dizaines de familles sinistrées ont dû quitter leurs habitations précipitamment. Les écoles servent désormais de refuges provisoires, mais celles-ci sont déjà saturées. Des tentes sont en cours d’installation pour accueillir les nouvelles vagues de déplacés, alors que de nouveaux lâchers sont annoncés.
Cette catastrophe naturelle survient à la veille de la rentrée scolaire, prévue le 6 octobre pour les enseignants et le 8 octobre pour les élèves. Dans les villages touchés, le slogan « Ubi téy, diang téy » (ouvrir aujourd’hui, enseigner aujourd’hui) ne pourra pas être respecté.
« Contrairement aux autres enfants du Sénégal, les élèves de la commune de Ballou vont accuser un retard d’au moins deux semaines », a regretté l’édile. La transformation des écoles en abris d’urgence prive en effet les élèves de leurs salles de classe.
Les inondations n’ont pas seulement touché les habitations. Les forages d’Aroundou et de Kounghany sont désormais hors service, accentuant la précarité des populations déjà privées de logement. L’accès aux services de base devient chaque jour plus difficile.
À Yaféra, l’un des villages les plus durement frappés, les habitants vivent dans l’angoisse permanente.
En 2024 déjà, les débordements du fleuve Sénégal avaient provoqué des inondations d’une ampleur exceptionnelle, poussant l’État à mobiliser près de dix milliards de FCFA pour secourir les sinistrés. Dans un dossier publié à l’occasion des concertations nationales sur l’eau, le journal EnQuête s’était entretenu avec l’ingénieur hydraulicien Abdoulaye Sène, ancien directeur du Génie rural et de l’Hydraulique, afin de décrypter le phénomène.
Selon lui, si de telles crues existaient déjà dans les années 1950, leurs conséquences étaient alors limitées par l’éloignement des zones habitées. Aujourd’hui, l’urbanisation de la vallée, combinée à la déforestation et au changement climatique, accroît considérablement les risques. La pluviométrie plus forte et moins prévisible, ainsi que les perturbations du territoire, expliquent en grande partie les dégâts observés.
L’expert rappelait aussi que le barrage de Manantali, qui régule entre 40 et 60 % du débit, ne peut contenir toutes les crues. Lorsque son seuil de sécurité est atteint, des lâchers sont inévitables pour éviter une submersion dramatique. Faute d’un second barrage réservoir, notamment celui de Gourbassi sur la Falémé dont le projet est en suspens depuis les années 1960, une large partie des eaux (40 à 50 %) reste non régulée.
En termes de gestion, Abdoulaye Sène insistait sur la nécessité d’anticiper davantage : « On ne peut pas arrêter l’eau, mais on peut organiser l’évacuation des populations exposées et renforcer les modèles de prévision. » Il plaide ainsi pour une meilleure synergie entre l’État, l’OMVS et les collectivités locales, afin d’allier assistance d’urgence et planification durable.
L’urgence humanitaire s’accentue, l’État appelé à l’aide
Face à l’urgence actuelle, les autorités locales multiplient les appels à la solidarité nationale. Le maire de Ballou plaide pour une prise en charge rapide et un soutien concret aux familles sinistrées : « J’appelle le gouvernement à aider financièrement les populations de Ballou, en leur dotant de matériels de construction d’immeubles en dur comme du fer, du ciment, du sable », a-t-il lancé.
Le Ministère de l’Hydraulique et de l’Assainissement a, pour sa part, appelé les populations riveraines du fleuve à la vigilance et à prendre toutes les dispositions préventives nécessaires. En collaboration avec l’Organisation pour la mise en valeur du fleuve Sénégal (OMVS) et les services techniques, il assure suivre de près l’évolution de la situation et promet de diffuser régulièrement des informations utiles.
Mais sur le terrain, l’urgence humanitaire s’accentue. Familles déplacées, écoles inaccessibles, infrastructures paralysées. Entre la gestion immédiate de la catastrophe et la préparation de la rentrée scolaire, les habitants de la vallée du fleuve Sénégal attendent une réponse rapide et efficace pour éviter que la crue ne laisse des séquelles durables sur leur quotidien.
MAGUETTE NDAO