Publié le 28 Jun 2022 - 23:25
INSTITUT FRANÇAIS POUR LES ÉTUDIANTS ÉTRANGERS

Une guerre interminable

 

Privés de leurs bons de voyage, de leurs primes de recherche, de leurs heures complémentaires, depuis février de leurs salaires, ainsi que de leurs cours, les enseignants de l’Institut français pour les étudiants étrangers décident de passer à la vitesse supérieure, en tenant aujourd’hui un sit-in devant le rectorat. Ils ont convié, à cet effet, tous leurs collègues de l’université.

 

C’est une affaire rare, pour ne pas dire inédite. En 2022, à l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, le recteur peut se lever un beau jour et décider, sans formalité aucune, la suspension du salaire de certains enseignants. ‘’Sans aucune procédure’’, tient à souligner Dr Ndiabou Séga Touré, Secrétaire générale adjointe du Sudes/ESR. Très peinée par les multiples assauts de la direction de l’Institut français pour les étudiants étrangers, elle déclare : ‘’Non seulement ils nous ont privés de manière illégale de nos salaires, mais aussi sur la base de motifs fallacieux, ils nous ont dessaisis de nos cours. Nous n’avons même pas nos heures statutaires. Notre seul tort a été de demander le respect des textes qui régissent notre institut. Est-ce extraordinaire, dans un pays qui se réclame État de droit ?’’

A en croire la syndicaliste, c’est comme si ‘’le recteur et ses complices avaient une volonté manifeste de les humilier’’. Mais c’est peine perdue. ‘’Nous avons fini de faire la démonstration que nous sommes très résilients. Ça fait un an que ça dure. Ça fait un an que nous subissons cette pression. Ils ont été jusqu’à nous convoquer au commissariat ; ils nous ont pris nos cours qu’ils ont confiés à des vacataires et des stagiaires. On les voit tous les jours aller faire nos cours à nos places... Ils ne se contentent pas de vouloir nous humilier, mais ils veulent en plus nous faire passer pour les coupables, sur la base d’accusations inventées de toutes pièces’’.

En fait, depuis l’année dernière, ces enseignants titulaires de l’IFEE n’ont eu de cesse de subir les assauts de leur direction. Madame Touré revient sur les préjudices subis. ‘’Elles sont nombreuses. Je commencerai par notre exclusion du conseil pédagogique qui prend des décisions sans nous, alors que nous sommes membres de droit en tant qu’enseignants titulaires. Je continuerai en parlant du fait que nos heures complémentaires de l’année dernière ne nous ont pas été payées ; nous n’avons pas reçu nos bons de voyage d’études ; nos primes de recherche sont bloquées…’’.

Pour étayer son propos, Dr Ndiabou Touré brandit trois lettres adressées au directeur des Affaires pédagogiques, relatives à leur non-convocation au conseil pédagogique.

Les enseignants en sit-in devant le rectorat, aujourd’hui

Au directeur de l’institut qui soutient qu’ils ont refusé de prendre leurs cours, elle rétorque : ‘’Je dois préciser qu’avant même la tenue de ce conseil pédagogique du 2 février, ils avaient distribué l’emploi du temps. Maintenant, pour cette réunion, nous avons été convoqués. Lors de cette réunion, nous avons demandé au directeur Abdoulaye Diouf et au directeur des Études Birame Sène, de nous montrer les arrêtés portant leur nomination, puisque ces actes n’ont jamais été publiés. Nous sommes quand même dans une administration et il y a des règles à respecter. Mais ils ont refusé catégoriquement de produire ces actes.’’ Malgré les sommations interpellatives, la direction a campé sur sa position. ‘’Et ce sont eux qui se sont levés et qui ont quitté la salle. Nous, nous leur avions dit : si vous produisez les actes, même si nous ne sommes pas d’accord, nous allons nous soumettre. Mais ces actes, ils n’ont jamais voulu les produire. Par la suite, ils se sont arrangés pour donner les cours. Soit cela a été fait hors de tout conseil pédagogique, soit lors d’un conseil auquel nous n’avons pas été convoqués’’.

Aujourd’hui, les contestataires exigent le respect de leurs droits et des textes qui régissent le fonctionnement de leur institut. ‘’Nous allons continuer de demander le respect des textes. Aujourd’hui, l’élection doit être tenue pour désigner un nouveau directeur, conformément au nouveau décret qui date de 2021. Il doit être élu par un collège électoral composé des enseignants titulaires de l’institut’’.

Pour eux, c’est une des nombreuses preuves de la violation en règle de toutes lois. ‘’Ils ont bafoué nos droits, ils ont eu à violer la loi sur la franchise universitaire, en nous agressant physiquement. Tout ça, parce que nous avons exercé dans la légalité une liberté académique. Nous tenons bon, parce que si ça passe, ce sera un précédent dangereux. Ce qui s’est passé est inacceptable. Les procédures sont là pour être respectées. C’est notre droit le plus absolu. Et nous l’avons toujours exercé sans enfreindre les lois de la République. Et ce que nous faisons, on le fait sans intérêt, puisque nous ne sommes même pas éligibles. Nous nous battons pour les principes’’.

Aux origines de ce litige, il y a la nomination du directeur et du directeur des Études. Selon les contestataires, trois griefs principaux ont été élevés contre l’arrêté. D’abord, au moment où il était nommé au mois d’avril 2021, le directeur n’était pas de rang A. Il venait certes de passer le grade, mais le décret n’était pas encore pris par le président de la République. ‘’Le recteur lui a donc attribué un grade auquel il n’avait pas droit au moment de sa nomination. Par la suite, ils se sont peut-être rendu compte de leur erreur et ont essayé de se rattraper. Qu’est-ce qu’ils ont fait ? Alors que d’habitude, c’est toute la cohorte qui passe dans un même décret, ils l’ont tiré du lot pour le faire nommer avant tout le monde dès le mois de mai. Sauf que l’arrêté de nomination a été pris en avril’’.

Ce n’est pas tout. Si l’on en croit Mme Touré, le décret qui régissait à l’époque l’IFEE, prévoit que le directeur doit ‘’obligatoirement’’ venir de la faculté des Lettres et sciences humaines. ‘’Ce qui n’est pas le cas pour l’actuel directeur. Voilà ce que nous contestions à l’époque. Et comme pour nous cacher des choses, ils avaient refusé de publier l’arrêté. Je souligne que le mot obligatoire figure dans le décret. Le directeur qui a été nommé n’est pas plus éligible que nous. Aujourd’hui, nous avons pu, par voie judiciaire, accéder à l’arrêté. Nous avons vu qu’en fait, le matricule de solde sur l’arrêté ne correspond même pas à celui sur le décret. C’est ce qui a amené la dernière citation que nous avons déposée au mois de  janvier. Les derniers évènements de février ne sont que des mesures de représailles’’.

Par ailleurs, malgré les pressions, Mme Touré et Cie ne prévoient pas d’abdiquer. D’ailleurs, aujourd’hui même, ils ont programmé avec leurs collègues un sit-in devant le rectorat, pour réclamer la fin de ce qu’ils considèrent comme un ‘’harcèlement’’ sur leurs personnes.

ABDOULAYE DIOUF, DIRECTEUR DE L’IFEE

‘’Ils ont eux-mêmes refusé de prendre les cours’’

Joint par ‘’EnQuête’’, le directeur de l’IFEE a rejeté en bloc toutes les accusations. Sur la suspension de salaires, il estime que ce sont ses collègues contestataires qui ont refusé de prendre les enseignements. Il déclare : ‘’Il faut savoir que le salaire, c’est la contrepartie du travail effectué. Au mois de février, on les a convoqués au conseil pédagogique pour la répartition des enseignements. Ils ont refusé en disant qu’ils ne travaillent pas avec une direction illégale. Comment on peut les convoquer et refuser de leur donner des cours ? Pourtant, ils ont accepté de répondre à la convocation. Maintenant, puisqu’ils ne veulent pas prendre les cours, on les a donnés à ceux qui veulent travailler. S’ils veulent changer d’avis, ils n’ont qu’à écrire une lettre comme deux de leurs collègues’’. (Les contestataires ont dit qu’ils ont plutôt demandé l’arrêté portant sa nomination : NDLR).

En ce qui concerne le caractère supposé illégal de l’acte portant sa nomination, il rétorque : ‘’Les textes de l’université sont très clairs. Le recteur Thioub, en 2019, avait pris un arrêté qui prévoit que dans les facultés, lorsque le doyen va à la retraite, c’est l’assesseur qui assure l’intérim. Dans les instituts, quand le directeur va à la retraite, c’est le directeur des Études qui assure l’intérim. Il se trouve qu’au moment où le directeur Malick Ndoye prenait sa retraite (…) le recteur a pris un arrêté de nomination. C’est aussi simple que ça. Je dois préciser que le décret de création de l’IFEE qu’ils brandissent est muet sur l’intimât.’’

En outre, le directeur de l’institut dit ne pas avoir de problèmes quant à l’organisation des élections. Il y a juste des formalités à respecter et ce n’est pas le propre de l’Institut français pour les étudiants étrangers, indique le directeur, tout en affirmant que ses accusateurs ont été déboutés devant toutes les juridictions. 

MOR AMAR

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