Publié le 6 Aug 2025 - 13:48
LE ‘’TOUR DE MBOSSÉ’’ À KAOLACK  

Un rite au grand mystère

 

Chaque année au mois d’août, la famille de Mbossé, génie protecteur de Kaolack, sacrifie au rite sacré appelé ‘’Tour de Mbossé’’, incarné par un varan totem du Saloum. Ce cérémonial, qui remonte à l’année 1500, se tient sur le lieu mythique appelé ‘’Wakh Niominka’’ au port de Kaolack. Retour sur l’historique du ‘’Tour de Mbossé’’, dont le rituel n'est assuré que par les femmes descendantes du grand génie et qui se déroule dans les eaux du Saloum.

 

Mbossé, génie protecteur de Kaolack. Chaque année, un rituel en son honneur est organisé dans la capitale du Saloum, depuis des centaines d’années, selon un des petits-fils de Mbossé, Farba Loum, secrétaire général du Collectif des petits-fils de Mbossé. Il explique que son grand-père, qui fut lamane au Baol, avait un litige avec le ‘’teigne’’ qui était roi du Baol. Celui-ci avait laissé derrière lui deux filles, Ndjira et Ndjori, qui avaient migré vers le Saloum, un lieu de refuge des royaumes environnants. Sur leur chemin, raconte le petit-fils de Mbossé, Ndjori est restée vers Méw Méw et environs (entre Guinguinéo et Kaffrine). Quant à la grand-mère Ndjira, elle s’était installée en plein Saloum avec des troupeaux d’animaux domestiques. Le jour de son arrivée, le petit-fils de Mbossé raconte que la grand-mère rencontra le bour Saloum de l’époque, Mbengane Ndour. Ce dernier lui demanda de passer la nuit derrière Kahone, la capitale d’alors. C’est là, explique Farba Loum, que le mystère du varan est apparu.

En effet, dit-il, Mbengane Ndour a décidé de lui céder une partie du bras de mer du Saloum et une partie de l’actuel centre-ville de Kaolack. Pour appuyer cette thèse, M. Loum mentionne que l’actuelle mairie de la ville fut ‘’sa maison et la préfecture les cimetières familiaux’’. C’est à partir de cette période que les rites ont commencé exactement au port de Kaolack, sur les lieux appelés ‘’berceau du Saloum (Wakh)’’. Nous sommes entre la fin des années 1493 et le début des années 1500. Malgré son importance, le rite n’a pas été respecté. D’ailleurs, il a été délaissé. Le traditionnel ‘’Tour de Mbossé’’ a été repris grâce à Kessimal Loum, une ancêtre de notre interlocuteur, qui a ravivé ce rituel de Mbossé. Ce rite étant très populaire et important à l’époque, ‘’le commandant colonial déplaçait sa voiture de service pour aller chercher notre grand-mère Kessimal Loum et Djemouth Loum pour faire les rituels du ‘Touroou Mbossé’, le génie protecteur de la ville’’, a expliqué le petit-fils de Mbossé.

La plus âgée de la famille se charge de la cérémonie rituelle de Mbossé

Le ‘’Touroou Mbossé’’ (rite du génie Mbossé) est si sacré que personne d’autre qu’un membre de la famille n’est autorisé à s’en approcher. Et au sein de la famille, seule la femme la plus âgée est autorisée à assurer le cérémonial à travers des offrandes destinées au grand génie protecteur de Kaolack, qui est une femme symbolisée par un varan. ‘’C’est la famille de Mbossé et les descendants qui font les rituels, c’est-à-dire ‘Touroou Mbossé’. Mais seule la femme la plus âgée de la famille fait les rites. Si sa santé ne le lui permet pas, quelqu’un d’autre (une femme) va faire le rite à sa place. La lignée des femmes et leurs petites-filles sont les seules ayants droit à cette traditionnelle ‘Touroou Mbossé’ qui se fait dans les eaux et non sur la terre ferme’’, a renseigné Farba Loum, de la 12e génération de descendance de Mbossé après le lamane.

Le rite et ses mystères

Chaque année, au premier lundi du mois d’août, en plein hivernage, le rite de Mbossé est organisé. C’est vers 17 h que la cérémonie commence pour finir vers le crépuscule, avant la tombée de la nuit. Le lieu ne change jamais, selon les confidences des petits-fils de Mbossé, qui rappellent que c’est au berceau du Saloum appelé Wakh Niominka, du port de Kaolack, près du marché aux poissons, que cela se tient. D’après eux, le rituel se fait en communauté et en masse, et chaque participant au rituel sera forcément vêtu d’habits blancs. Les rites sont aussi dirigés par une femme épaulée dans les tâches par des cousins, cousines ou sœurs de la même famille. Les offrandes se font dans les eaux du Saloum avec des ‘’nak’’ blancs (galettes de riz) et du lait caillé, différent des autres dont seule la famille a le secret de sa composition et de sa nature. ‘’Le tout est accompagné de petites calebasses. Les rituels se font en masse avec des habits blancs. On s’habille en tenue blanche. Celles qui portent les calebasses doivent être de petites filles qui n’ont pas l’âge de la puberté. Les préparations des ‘nak’ doivent être assurées par de vieilles femmes, mais pas des femmes’’ a détaillé Farba Loum.

Les rites sont dirigés par une femme, mais elle est aidée par des cousins, cousines ou sœurs de la même famille. Ainsi, la prêtresse entrera dans la mer en compagnie de deux à quatre personnes de la famille pour l’épauler. Après les offrandes, une partie est versée dans la mer et commence la purification dans l’eau avec la prêtresse. Les vœux sont ensuite formulés, puis place au bain rituel. Ce sera l’occasion de purifier certaines personnes malades qui effectuent des déplacements venant de très loin, parfois, pour assister à cette cérémonie traditionnelle sérère.

Ce qui peut arriver, si on ne sacrifie pas au rite

Les prières sont diverses, mais un bon hivernage sera au cœur des vœux. De même que l’abondance et la prospérité. Au cours de ce cérémonial, il est possible, selon nos confidences, que le génie se manifeste et apparaisse. ‘’Bien sûr que le génie peut apparaître et ce sera une chance, mais les autres ne le verront pas. Ce sont quelques-uns de la famille qui le verront. Le génie (femme) est physique, ayant une forme humaine comme vous et moi. Elle n’est pas le varan que l’on voit, mais ce reptile la symbolise. Cette manifestation du génie est réelle, mais secrète’’, a expliqué un des petits-fils de Mbossé.

Bien que le génie ne soit pas le varan, il arrive que cet animal, ‘’le totem symbolisant la féminité’’, sorte de l’eau en pleine cérémonie, se dirigeant vers une destination de son choix. Au regard du caractère mystérieux et secret de cette cérémonie, ‘’Mbossé peut être parmi nous sans que personne ne le sache. C’est pourquoi il faut faire très attention, si on est sur les lieux du rituel’’, a averti un descendant de Mbossé.

Le mystère qui entoure ce rite sérère est immense. D’aucuns s’interrogent sur Mbossé : est-elle réelle ou relève-t-elle d’un mythe ? À cette question, l’un des petits-fils de Mbossé dit : ‘’Oui, c’est une personne, c’est-à-dire une femme ou un nouveau-né qui préférait vivre dans l’eau... Je ne peux pas entrer dans le fond, parce que c’est un secret familial. Son esprit est symbolisé par le varan.’’

Si l’on se fie aux dires des descendants de Mbossé, le rituel est si sacré que si on ne sacrifie pas à cette tradition, cela aura des répercussions indésirables sur les âmes qui vivent dans la cité.

En effet, d’après les petits-fils de Mbossé, ‘’ce qui va se passer pourrait être une catastrophe pour la ville de Kaolack. Le colon le savait, c’est pourquoi l’administration coloniale affrétait des véhicules pour faire les rituels’’.

Mbossé a plusieurs emplacements dans la ville qui sont des lieux sacrés, même si actuellement ces sites abritent des services (RTS Kaolack, gouvernance, conseil départemental, port...). Fort de l’importance de ce rite annuel prévu le lundi, un panel a été organisé ce week-end à Kaolack par la direction du centre culturel régional de Kaolack sur la sauvegarde et la promotion du patrimoine culturel immatériel, en prenant l’exemple du ‘’Tour de Mbossé’’ comme un levier de développement économique et social.

D’après Diouma Seck, directrice du centre culturel régional de Kaolack, c’est en prélude au ‘’Tour de Mbossé’’, qui se fait chaque année à Kaolack, que cette rencontre a été initiée pour partager avec les populations kaolackoises ce riche héritage culturel, afin de permettre aux uns et aux autres de saisir la quintessence de ce rituel dont le symbole est le varan.

À travers cette tradition, dit-elle, on peut également parler des matrimoines culturels de Nioro de Kahone et Guinguinéo, puisque le centre culturel gère les trois départements. Ledit centre a d’ailleurs, selon Mme Seck, inscrit dans son agenda la promotion de ces rites.

LE RITE DE MBOSSÉ

Les recommandations du génie aux autorités administratives

À l’occasion du cérémonial du rite de Mbossé, génie protecteur de la ville de Kaolack, des prières ont été formulées pour une ville prospère et paisible.  Tout de même, les autorités administratives ont reçu ‘’un ordre’’ du génie, à exécuter…

Comme chaque année, depuis des centaines d'années, le rite dédié à Mbossé, génie protecteur de la ville de Kaolack, a été organisé au mythique lieu connu sous le nom de "Wack Niominka", près du port de Kaolack.

Ce lieu, qui a abrité le rite appelé "Tourou Mbossé" en wolof, désignant le cérémonial accompagné d’offrandes faites au génie qui, en échange du lait caillé très spécial dont les composantes ne sont connues que par les initiés,  du ‘’nakk’’ (galette de riz), contenues dans des calebasses également particulières,  assure la protection de la ville entière et des âmes qui y vivent.

Cette  cérémonie qui, d'année en  année, prend de grandes proportions, au regard de l’intérêt que lui portent les populations, a été dirigée par Adja Arame Sall, petite-fille de Mbossé  qui fait partie des seules femmes habilitées à faire les activités nécessaires pour le grand génie Mbossé.

Au cours de ce rituel, la prêtresse Arame Sall a ouvertement rapporté ce que le génie lui a confié comme recommandation.

En effet, elle soutient que "les locaux de la gouvernance de Kaolack, déplacés à l’entrée de la ville, près de la gare routière, doivent être ramenés à leur emplacement d’origine". Rappelons qu’en effet, depuis quelques années, les locaux de l’ancienne gouvernance sont toujours en chantier, car vétustes. Les lieux ont été désertés. Par contre, les chantiers ont été arrêtés depuis belle lurette, sans aucune explication.

Le génie a ordonné le retour à l’ancienne demeure en face de la mairie de Kaolack, selon Adja Arame qui précise que  depuis que les locaux ont été déplacés, les gouverneurs ne s’éternisent plus comme avant à leur poste. Combien de gouverneurs ont été affectés après un bref séjour, s'est-elle interrogée avant de dire que  son message doit être entendu et que d’après le génie, "un hôte (Mbossé) ne se déplace pas vers le visiteur (les gouverneurs qui se succèdent à Kaolack). Donc, il faut déménager à l'intérieur de la ville pour profiter des protections de Mbossé".

De plus, s’adressant à toutes les populations de Kaolack, elle a indiqué que le génie ne protège que ceux qui l'honorent et le respectent. Donc, dit-elle, ceux qui se trouvent dans des difficultés n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes, car Mbossé n'assure pas leur protection. Une manière pour elle d'inviter au respect du rituel sacré qui, tout de même, a, d'après ses dires,  pris de l'ampleur, car chaque année, les populations qui y assistent augmentent.

Adja Arame a tenu à préciser que ce rituel, dont le symbole est le varan, n’est assuré que par une femme de la lignée maternelle de Mbossé et que tous les varans ne sont pas Mbossé.

BACHIR KANE

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