Publié le 10 Oct 2013 - 19:50
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

 La régression démocratique

 

 

Si la marche est une forme d’expression, celle convoquée hier par le Parti démocratique sénégalais (Pds) et ses organisations satellites aura d’abord signifié aux Sénégalais l’échec de la tentative de l’ancien président de réunifier la famille libérale autour de l’actuel régime. La fin de non recevoir émis par le président Macky Sall face à cette proposition a aussi fixé l’incapacité pour les protagonistes du jeu politique de discuter sereinement des questions de l’heure comme pouvaient le faire entre deux crises le président Abdou Diouf et son principal opposant d’alors Maître Abdoulaye Wade. Et c’est là une régression démocratique majeure qui engage entre le pouvoir et l’opposition une lutte à mort comme unique mode de résolution des contradictions qui les opposent. Lesquelles ne sont pas tant les motifs de protestation invoqués pour justifier la marche, la récente pénurie de l’eau n’étant qu’une opportunité de propagande à saisir.

La libération de Karim Wade, entre autres prisonniers dits politiques, le point le plus saillant accentué par le projet initial d’aboutissement de la marche à la prison civile, est le talon d’Achille du régime de Macky Sall à cause des atermoiements de la procédure engagée par une juridiction d’exception. Cette libération ne fait pas l’unanimité dans les rangs du Parti démocratique sénégalais (Pds), Karim Wade étant le plus dangereux rival de quiconque ambitionnerait de briguer en son sein les suffrages des Sénégalais lors de la prochaine élection présidentielle. Mais c’est aussi en la circonstance le plus commode argument et le symbole le plus prégnant de l’autoritarisme du régime de Macky Sall. De ce fait, le nouveau Premier ministre Aminata Touré se dessine graduellement le profil d’un Premier ministre de combat à mesure que la traque des biens mal acquis prend une tournure plus politique que juridique : affaiblir le leadership émergent du Parti démocratique sénégalais (Pds).

Ces velléités sont perceptibles dans le processus administratif d’autorisation de la marche de l’opposition quand la Division des investigations criminelles (Dic) est érigée en une instance judiciaire préventive pour avertir le leader du moment du parti libéral, Omar Sarr, de ce qui lui pend au nez : ''Si nous dépassons le temps autorisé et s’il y a des casses, nous les responsables, nous risquons 1 an à 5 ans de prison…'' La loi anti casseurs française ainsi évoquée, qui aurait donc inspiré l’article 198 du code pénal, n’en est pas à sa première application. Elle fut invoquée pour la première fois au temps du régime à parti unique de Léopold Senghor, les groupes clandestins engagés dans la violence révolutionnaire. Le socialiste Senghor, révolutionnaire à sa manière, entendait que les peines de prison des manifestants arrêtés au cours des combats fussent alourdies d’amendes fermes pour couvrir les dégâts causés par une jeunesse bourgeoise à l’État avant-garde de la paysannerie.

Au demeurant, le régime de la seconde alternance aurait pu opposer à l’opposition cette logique que la marche serait plutôt le mode d’expression de groupes qui n’ont pas accès aux médias et pour le cas précis de ceux qui ont convoqué celle d’hier, qu’ils peuvent s’exprimer à l’Assemblée nationale et engager des procédures juridiques contradictoires. Mais la longue levée de leur immunité parlementaire et son issue incertaine plaident pour leur méthode assimilable à la maladie infantile, ce gauchisme d’un autre temps. La régression démocratique, disions-nous, est de la responsabilité du pouvoir qui déterre des juridictions et des lois d’avant le 2ème millénaire plus encore de l’opposition à laquelle il donne l’opportunité de sortir de leurs 8x8 aux vitres teintés et d’intégrer les masses. Sa conséquence la plus visible est la distanciation du pouvoir de certaines fractions libérales comme celles de Pape Diop et de Abdoulaye Baldé qui balançaient entre leur ancienne formation et une certaine réserve.

D’autres comme Sitor Ndour affichent une détermination plus extrême encore contre le régime et si son optimisme se confirmait lors des prochaines élections locales, la position de Macky Sall en serait d’autant fragilisé à cause d’une rivalité latente autour de sa personne, de son fief politique d’origine et de son fief d’adoption et de cœur où il conquit son premier mandat électif local. L’absence du dernier Premier ministre du régime de Wade, Souleymane Ndéné Ndiaye s’explique aisément par sa perte de leadership sur sa formation politique qu’il affirme ne devoir pas quitter puisque cette disgrâce, sans doute causée par sa proximité non reniée avec le président Macky Sall, le met à l’aise dans leur rapport affectif. Le grand absent de cette mobilisation unitaire de l’opposition est bien Idrissa Seck, l’actuel maire de Thiès dont la seule ambition reste d’être président à la place du président. Son isolement du moment semble être un handicap. Il a trois ans pour le surmonter.

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