Publié le 18 Apr 2013 - 20:50
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

Les aléas du libéralisme sauvage

 

 

La partie de bras de fer engagée par la fraction de la ploutocratie au pouvoir contre celle désormais reléguée à l’opposition, est hasardeuse dans sa finalité morale et incertaine dans sa conclusion judiciaire. Elles ont commis ensemble le péché originel d’associer la politique à l’économie dans leurs objectifs de prise, de gestion et de conservation du pouvoir. Ce qui est en soi une trahison de leur propre doctrine : le libéralisme politique auquel tous les résidus du Parti démocratique sénégalais (PDS) originel souscrivent, prône la sauvegarde des droits de l’individu face à la toute puissance de l’État. Aussi conséquemment, dans le domaine économique, le libéralisme défend la libre entreprise et encourage la concurrence, l’État ne devant intervenir que pour réguler les abus des lois du marché. Aussi les déboires de l’ex super-ministre Karim Wade sont-elles la conséquence de cette déviation idéologique majeure de son père, le précurseur du libéralisme au Sénégal.

 

L’affaire est une suite de la longue lutte pour le pouvoir entre les deux anciens Premiers ministres issus du Parti démocratique sénégalais (PDS) et le fils du président soupçonné d’être le dauphin alors qu’il était surtout en position avantageuse de réussir des prouesses de bâtisseur national dans le cadre des grands chantiers de l’État. Les querelles d’argent qui avaient impliqué le président Wade et son ancien Premier ministre Idrissa Seck n’ont pas eu une conclusion judiciaire définitive malgré la traduction devant la Haute cour de justice du second nommé. Cet épisode a conforté la présomption d’indépendance de la justice sénégalaise. Dans les circonstances présentes, la persistance de la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei) à revendiquer sa compétence exclusive sur le dossier de Karim Wade ne cache-t-elle pas une méfiance des autorités actuelles envers une institution judiciaire à tout le moins imprévisible ?

 

La pression de l’État sur le dossier rappelle l’affrontement similaire entre deux fractions du parti unique lors du procès de l’ancien président du Conseil de gouvernement Mamadou Dia et le départ entre les réquisitoires et le verdict concernant par exemple l’accusé Ibrahima Sarr. Mais aussi dans cet aspect justice du vainqueur qui laisse supposer que la cause est entendue. Au demeurant, au vu des réquisitoires et des plaidoiries anticipés, un débat contradictoire pourrait ébranler les certitudes apparentes de l’accusation. Il s’agit de savoir à ce stade si les deux parties sont également soucieuses de la manifestation de la vérité ou si c’est une rancune tenace qui motive les deux parties en lice. Le présent dossier est-il le seul à être retenu au risque de faire prospérer l’hypothèse que ce n’est qu’une opération de liquidation du rival politique potentiellement dangereux, sinon qui devra suivre ? Coupables ou innocents, les affidés de l’ancien président et lui-même ont pour la plupart connu les rigueurs carcérales même si c’était pour une courte période.

 

Quoi qu’il en soit, la politisation des affaires est inévitable et le pays risque d’en être secoué durablement surtout que la logique des poursuites, une fois emballée, ne saurait se limiter aux seuls vaincus du 25 mars. Le procès des anciens tenants du pouvoir pourrait bien être celui d’un système de gouvernement dont l’actuel régime ne s’est pas beaucoup démarqué, ayant recyclé les mêmes larrons dont la seule sécurité actuelle réside dans leur faculté de caméléon à s’adapter à la couleur ambiante et à renier leur passé. Le gonflement excessif du butin supposé de Karim Wade est un couteau à double tranchant, l’accusation risquant d’être discréditée par des démentis probants. Mais encore l’argument du nombre ne tendrait-il pas à disculper de moindres enrichissements illicites qui ne font pas mystère, le peuvent-ils d’ailleurs, d’avoir reçu de l’argent de l’ancien président. En droit formel comme dans la sagesse, qui vole un œuf, vole un bœuf.

 

L’autre équation posée à l’État libéral sans entreprises privées ni industrie florissante, c’est la répartition inégale des ressources de la nation entre la classe politique et autres couches sociales parasitaires d’une part et les couches laborieuses et démunies de la nation, d’autre part. Bien que l’agriculture soit déclarée priorité nationale, elle n’est pas subventionnée à la hauteur de cet enjeu et les terres de culture sont allouées aux opérateurs immobiliers. La déperdition de sommes d’argent astronomiques vers des activités ludiques et de jouissance plombe les investissements et pour les travailleurs qui connaissent des retards de salaires cycliques, la traque des biens mal acquis reste un leurre. L’argent que se disputent les factions dites libérales de notre république libérale, ne circule que dans le cercle libéral de la petite bourgeoisie. C'est ce libéralisme sauvage qui a commencé à dévorer ses enfants, Karim Wade le premier.

 

 

 

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