Publié le 2 Feb 2012 - 21:08
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

Où va le Sénégal ?

 

Sous l’empire du printemps arabe et du discours ambigu des Etats-Unis et de l’Union européenne, le mouvement de masse à vocation subversive pose la question de savoir si la transmission du pouvoir se fera par les urnes ou par la force. Les rassemblements programmés pacifiques couvent une ambiguïté qui relève du fonctionnement vicié des partis politiques dans lesquels les organisations de jeunes font office de bélier contre l’adversaire en posant des actes subversifs susceptibles de tomber sous le coup de la loi et que, pour cela, leurs directions politiques n’assument pas. Il reste que ces jeunes ne se battent pas pour la démocratie ni pour la justice sociale, seulement pour le pouvoir voué à l’un quelconque des oligarques qui le convoitent.

 

La première victime de la violence anarcho-émeutière se réclamant du jeunisme est précisément un jeune conscrit des forces armées, appartenant à cette petite bourgeoisie intellectuelle déclassée auxiliaire de police et proposé dit-on à la garde d’un bâtiment en construction appartenant à un nouveau riche du régime libéral. Ne se sachant pas en guerre, il vaquait à ses ingrates occupations quand ses adversaires non déclarés l’ont surpris au mauvais endroit. Depuis, cette guerre civile rampante ou à tout le moins cette paix armée poursuit le décompte macabre de ses victimes qui toutes appartiennent à un seul camp, celui du peuple au nom de qui on tue ou on meurt.

 

Cette tension et le tumulte qui en découle de manière latente, nous mène vers une élection présidentielle sans une autre pareille dans les annales sénégalaises par son enjeu préalable : la non participation du président en exercice que réclame à mort l’opposition. Cette contestation de la candidature de Me Wade porte un sacré coup à la crédibilité des institutions républicaines que sont le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire.

 

Mais aussi au modèle démocratique le plus performant de l’Afrique depuis la période coloniale et dont les hagiographes de la démocratie oublient de rappeler que même s’il perdure depuis le 18ème siècle, il ne concernait que les citoyens des 4 communes et l’intelligentsia émergente.

 

L’alternance de l’an 2000 avait donné au mythe démocratique sénégalais une seconde vie. Mal remis de son éviction, l’actuelle opposition mime les actes de l’ancienne opposition aujourd’hui au pouvoir. Ainsi la stratégie des meetings autorisés qui se transforment en marche avortée sur la Présidence de la République est une invention des alliés du Parti démocratique sénégalais (Pds) quand il était dans l’opposition et en campagne électorale en février 1993. Six policiers avaient payé de leur vie cette douce somnolence  sur les lieux du maintien de l’ordre bercé par cette antienne traitresse que le Sénégal est un pays de paix, «deku jama la».

 

Un pays de paix donc ? Alors qu’en réalité, sans transition ni déclaration, la paix y bascule dans la guerre civile au grès des passions. Dans les pays où la nécessité d’une guerre franche s’est imposée, les belligérants ont obéit aux règles qui la régissent et en circonscrivent les objectifs et les normes. Au Sénégal, la dispute du pouvoir comme son exercice semble emprunter à une logique de force jaillie d’une tradition ancestrale séculaire ou d’une tradition révolutionnaire empruntée à la France colonisatrice. C’est pourquoi, les élections ont toujours été émaillées de d’incidents d’intensité diverse dont ceux de décembre 1963 ont été les plus meurtriers.

 

La situation politique et sociale est aussi visqueuse que celle de la paix. Le leadership traditionnel est bouleversé par l’irruption sur le champ lutte pour le pouvoir de candidats indépendants et sur le champ social, d’une société civile hybride. La délimitation des forces disparates en présence n’est pas de mise, chacun voulant grappiller sur le potentiel de l’autre en l’absence des idéaux et des principes qui fondaient la militance d’antan. Ce sont des passerelles de fausse cordialité qui relient sans les unir les partis politiques, pour que les plus puissants absorbent les plus faibles, enrichissant de ce fait le vocabulaire des sciences sociales du pittoresque concept de transhumance.

 

Mais à quelques jours de l’ouverture de la campagne électorale, la fronde telle que menée jusqu’ ici par le M23 sous la houlette d’Alioune Tine et du Mouvement Y’en a marre a atteint ses limites objectives et tactiques après la validation de la candidature de Me Wade. Un des leaders de l’opposition, Ousmane Tanor Dieng annonçant la nécessité d’organiser, d’encadrer et d’être à la tête du M23 avait amené à penser à une prise en main des opérations par des politiques aux troupes disciplinées. La tournure des évènements marque la césure désormais inévitable entre ceux qui voulaient marcher sur le palais, néophytes de la contestation politiques et ceux qui ne peuvent accéder au pouvoir qu’au moyen d’un scrutin.

 

Les enjeux sont donc plutôt électoraux que révolutionnaires. Le premier intérêt du prochain scrutin découle de ce que les forces politiques semblent s’équilibrer comme jamais, avec la candidature de trois anciens Premiers ministres, d’une éminence grise toute puissante sous l’ancien régime et de personnalités indépendantes marquantes par leur stature internationale. Le président sortant est donc plus fragile sous ce rapport que le président Abdou Diouf ne l’était en 2000.

 

Le choix de dénouer le contentieux par des méthodes violentes dénote d’un manque de proposition de solution politique de la part de l’opposition comme du pouvoir, mais aussi de la nature violente de la société sénégalaise. Le Sénégal ne ressemble à aucun autre pays que le Liban d’avant la guerre civile : un pays de diversité politique, religieuse, ethnique, sociale et culturelle en équilibre instable…

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