Publié le 21 Jun 2021 - 22:20
LANCEMENT ECO

Les pays de la CEDEAO se donnent rendez-vous à l’horizon 2027

 

2027, c’est la nouvelle échéance qu’ont fixée les chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) pour le lancement de leur monnaie unique, l’éco.

 

Après moult reports, les chefs d’Etat et de gouvernement de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) se sont donné rendez-vous, à l’horizon 2027, pour le lancement de leur monnaie unique, l’éco. Dans son communiqué final, à l’issue du sommet d’Accra du samedi, la Conférence a félicité le Comité ministériel sur le Programme de la monnaie unique, pour les diligences accomplies dans la mise en œuvre des décisions prises lors de sa 58e Session ordinaire tenue par vidéoconférence, le 23 janvier 2021.

‘’Elle décide d’adopter le Pacte de convergence et de stabilité macroéconomique entre les Etats membres de la CEDEAO dont la phase de convergence couvre la période de 2022 à 2026 et la phase de stabilité à partir du 1er janvier 2027 ; et de prendre note de la feuille de route pour le lancement de l’éco à l’horizon 2027 et charge le Comité ministériel de continuer à travailler pour résoudre toutes les questions en suspens’’, renseigne le texte.

‘’En raison du choc de la pandémie, les chefs d'État avaient décidé de suspendre la mise en œuvre du pacte de convergence en 2020-2021’’, renchérit le président de la commission, Jean-Claude Kassi Brou.

Au-delà de la pandémie de Covid-19, il convient de rappeler que le projet de création de la monnaie ouest-africaine a été perturbé par l’annonce de l’éco UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) en 2019, lors de la visite du président français à Abidjan. Lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue le président ivoirien, par ailleurs président de la Commission de l’UEMOA, avait annoncé le lancement de l’éco de la zone franc en 2020. Une sortie que les autres pays de la Zone monétaire d’Afrique de l’Ouest (ZMAO) avec le Nigeria en tête, ont considéré comme une ‘’trahison’’.

D’ailleurs, dans un rapport publié en mai dernier, sous la direction de l’économiste togolais Kako Nubukpo et intitulé ‘’Du franc CFA à l’éco : quelle monnaie pour quel développement en Afrique de l’Ouest’’, ce dernier relève que la philosophie initiale de la ZMAO était de créer une seconde zone monétaire en Afrique de l’Ouest avec comme monnaie l’éco. Ceci, à côté du franc CFA de l’UELOA. ‘’Le projet prévoyait une fusion ultérieure de cette zone avec l’UEMOA, afin de faire coïncider les frontières de cette nouvelle union avec celles de la CEDEAO. Mais le sommet d’Abuja annonçant la création de l’éco et le communiqué du Conseil des ministres de la ZMAO du 16 janvier 2020, accusant les États de l’UEMOA de violer l’esprit de la monnaie éco, à la suite de la déclaration d’Abidjan, ont compliqué les choses. Tout ceci pourrait déboucher sur la création d’un ‘éco-naira’, sous la houlette d’un Nigeria piqué au vif par l’initiative francophone d’un ‘éco-CFA’ en passe de se réaliser’’, souligne le document.  

Poids lourd des quinze pays de la CEDEAO, avec 180 millions d’habitants sur 300, et 70 % du produit intérieur brut (PIB) de la zone, le Nigeria exige, pour s’engager dans une véritable union monétaire, que les pays de la zone du franc CFA rompent totalement leurs liens avec la France, donc aillent au-delà de la ‘’réforme’’ annoncée.

D’après le média français ‘’Le Monde’’, dans un article sur le sujet publié en septembre dernier, les pays de la zone franc ‘’redoutent’’, eux, de tomber dans l’instabilité monétaire que connaissent leurs voisins de la zone monétaire de la ZMAO, qui ont chacun leur monnaie.

Donner une caution d’indépendance d’esprit des chefs d’État de la région

Ainsi, d’un point de vue politique, l’économiste togolais souligne dans le rapport que la mise en place d’une monnaie unique CEDEAO est un défi qui mériterait d’être relevé à plus d’un titre. ‘’L’existence d’une telle monnaie contribuerait à donner une caution d’indépendance d’esprit des chefs d’État de la région et de fondement économique à un espace régional dont les faits d’armes sont pour l’essentiel politiques (résolution de conflits), contrairement à ses missions originelles (communauté économique). Elle permettrait également de couper le cordon ombilical avec la France sur un plan symbolique, reproche récurrent adressé au franc CFA et à l’UEMOA, avec une connotation particulière une année après le soixantième anniversaire des indépendances’’, dit-il.

Kako Nubukpo estime que cette rupture obligerait également les dirigeants ouest-africains, par le biais d’une gouvernance ‘’irréprochable’’, à assumer toutes les contreparties de l’indépendance politique et tester ‘’en grandeur nature’’ leur volonté régulièrement affichée d’œuvrer pour l’intégration régionale.

‘’D’un point de vue strictement pragmatique, l’idée d’une monnaie unique CEDEAO, l’éco, rattachée à un panier de monnaies (dollar, livre sterling, euro), plutôt qu’à une seule devise, semble être la meilleure option. En effet, un tel choix redonnerait des marges de manœuvre plus grandes aux politiques macroéconomiques et sectorielles de la région, qui ne seraient plus obligées de suivre le mouvement des taux d’intérêt directeurs de la Banque centrale européenne, à l’instar de ce qui se passe à l’heure actuelle avec la BCEAO dont le principal objectif est la défense du taux de change euro/franc CFA’’, soutient l’économiste.

En outre, fait savoir M. Nubukpo, un tel choix de rattachement à un panier de monnaies constituerait une forte incitation à la diversité géographique des échanges commerciaux entre les pays de la CEDEAO et le reste du monde. ‘’À l’heure actuelle, même au sein de l’UEMOA, la France n’est plus le premier partenaire commercial des économies de l’Union, les pays asiatiques occupant désormais la première place. Quatre options, parmi d’autres, paraissent tenir la route pour marier les quinze États membres conviés au banquet de l’éco’’, suggère-t-il.

Pour l’économiste togolais, la première option fait de l’éco un ‘’simple avatar’’ du franc CFA et parie sur l’élargissement progressif de l’UEMOA aux économies de la CEDEAO ayant le même profil d’exportatrices de matières premières agricoles qu’elle. ‘’Dans cette option, la centralisation des réserves de change est fondamentale, et c’est le principal acquis de l’histoire du franc CFA (…). La deuxième option est celle d’un éco réel fondé sur la convergence réelle, celle du PIB/tête et non plus, comme dans le cas de l’éco-CFA, sur le respect des critères nominaux de convergence. Dans ce cas de figure, les économies de la CEDEAO auraient l’obligation de converger vers le trio de tête que constituent le Cap-Vert, le Nigeria et le Ghana. L’éco aurait un régime de change flexible encadré par un ciblage de l’inflation (…). La troisième option consisterait en un éco-naira. (…) La quatrième option est celle de l’éco comme une monnaie commune et non unique. Tandis qu’une monnaie unique est nécessairement une monnaie commune, l’inverse n’est pas forcément vrai. On pourrait imaginer que les pays qui ne sont pas encore en mesure d’adhérer à la monnaie unique se lient à celle-ci par des accords de taux de change’’, préconise-t-il.

Obtenir un taux optimal d’inflation de 8 %

Il est aussi indiqué, dans le rapport, qu’une analyse approfondie des déterminants d’une croissance économique forte devrait permettre à la BCEAO de ‘’justifier’’ théoriquement et empiriquement une inflexion notable d’orientation de sa politique monétaire. À cet égard, les économistes togolais, Adama Combey et Kako Nubukpo suggèrent qu’il est possible d’obtenir un supplément de croissance économique, par le biais d’une politique monétaire expansionniste, avec un taux optimal d’inflation de 8 %, bien loin de la cible actuelle de 2 % visée par la BCEAO.

‘’À la lumière des leçons apprises de l’histoire monétaire de la zone franc et de l’orientation actuelle des différentes banques centrales pour faire face à la crise des finances publiques dans les pays développés à économie de marché ainsi que du contexte pandémique actuel, les deux principales banques centrales de la zone franc (BCEAO et BEAC) devraient privilégier : le renforcement de la coordination entre la politique monétaire et les politiques budgétaires nationales (le Policy mix) pour une croissance économique forte et durable des économies de la zone franc ; une maîtrise et une efficacité accrues des canaux de transmission de la politique monétaire et un régime de change du franc CFA plus flexible’’, expliquent-ils.

Deux zones monétaires ‘’non-optimales’’

Il urge également de relever d’un point de vue théorique et empirique, s’agissant de l’UEMOA et de la CEDEAO, selon M. Nubukpo, ces deux zones monétaires ‘’ne sont pas optimales’’. ‘’Les mêmes causes produisant les mêmes effets, il y a lieu de craindre que la non-optimalité monétaire de la zone UEMOA ne se transforme simplement en non-optimalité monétaire de la zone CEDEAO, eu égard à la manière dont se met en place la future monnaie de cette zone et surtout au vu des caractéristiques structurelles des économies de la région Afrique de l’Ouest. C’est ici qu’on pourrait cependant tirer des enseignements de l’histoire, pour éviter de tomber dans les mêmes travers, à savoir la pérennisation de l’extraversion des économies de l’UEMOA insérées de façon primaire au sein du commerce international, déconnectées au quotidien des sanctions qu’impliquerait leur faible performance macroéconomique, protégées par une monnaie CFA pilotée de l’extérieur et fortement incitatrice à l’adoption de comportements rentiers’’, alerte l’économiste.

Concernant la convergence des économies dans le projet d’instauration d’une monnaie unique, d’après Kako Nubukpo, au regard de la zone UEMOA, la réponse est ‘’ni un préalable ni une conséquence’’. Il trouve que l’idéal serait, pour la monnaie unique CEDEAO, à défaut qu’elle soit un préalable, qu’elle devienne une conséquence. ‘’Ceci est crucial, car, contrairement au franc CFA dont la crédibilité est en définitive celle accordée par les marchés à la solidité de la garantie fournie par le Trésor français, la future monnaie de la CEDEAO ne bénéficiera, a priori, d’aucun ancrage institutionnel extérieur à la zone CEDEAO. En d’autres termes, le processus de mise en place de cette future monnaie apparaît comme un test de la sincérité des engagements de la France à couper effectivement le cordon ombilical avec ses anciennes colonies et un test de la crédibilité de la gouvernance politique et économique des États ouest-africains’’, poursuit-il.

La réussite de ce saut sans filet de sécurité dans l’inconnu suppose, pour notre source, l’effectivité d’un certain nombre de facteurs. Il s’agit notamment d’une intensification des échanges commerciaux au sein de la CEDEAO, favorable à la synchronisation des cycles économiques dans la zone ; un accroissement des mécanismes de partage des risques, suite à des chocs asymétriques. Mais aussi une conviction profonde et partagée d’une communauté de destin fondée sur le caractère incontournable de l’intégration monétaire, économique et commerciale au sein de la CEDEAO comme seule voie envisageable de développement endogène de l’Afrique de l’Ouest.

 ‘’Ceci est crucial pour surmonter les turbulences liées à la phase de transition, caractérisée forcément par des périodes de tentations de sortie de certains pays de l’Union, puis de nouvelles entrées et même des refus de participation de certains pays, au moins à court terme. Ces tâtonnements représentent des ‘passages obligés’ de tout processus de création d’une unification monétaire, lorsque cette dernière n’est pas imposée de l’extérieur. Rappelons que l’Union européenne a mis trente ans pour passer du Rapport Werner à la mise en place effective de l’euro’’, conclut-il.

MARIAMA DIEME

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