Publié le 29 Nov 2017 - 09:22
MACRON A OUAGADOUGOU

 ‘’Il n’y a plus de politique africaine de la France’’

 

Le président français a déroulé hier un long discours lors de son premier jour au Burkina Faso, avant des échanges houleux avec le public.

 

Dans l’amphithéâtre ‘’marxiste et panafricaniste’’ de l’université de Ouagadougou, Emmanuel Macron a placé son discours sous des auspices favorables en citant, en introduction, Thomas Sankara. Quelques minutes plus tôt, le président français avait annoncé la déclassification ‘’dans leur totalité’’ des archives secret-défense portant sur l’assassinat de l’icône africaine, le 15 octobre 1987,  une demande de la justice burkinabé. Son allocution aura duré plus d’une heure et demie, puis le débat, souvent houleux, une heure supplémentaire, débordant largement le cadre qui avait été préparé.

‘’Il n’y a plus de politique africaine de la France’’, a clairement posé le chef de l’Etat, qui s’est refusé à promettre une ‘’nouvelle page entre la France et l’Afrique’’ et à ‘’donner des leçons’’. Emmanuel Macron a rappelé qu’il était d’une génération ‘’qui n’a jamais connu l’Afrique comme un continent colonisé’’ et il a adressé son discours à 800 étudiants ‘’qui ne l’ont pas connu non plus’’. Il a en revanche insisté sur ‘’le grand mouvement de bascule’’ qui attend l’Afrique et a insisté sur les ‘’défis’’ du terrorisme, du changement climatique, de la démographie, de l’urbanisation et de la démocratie auxquels elle doit répondre ‘’en même temps, ce qu’aucun autre continent n’a connu auparavant’’.

Combattre ‘’l’obscurantisme’’

Le président français a pris des engagements concrets. Il a réitéré sa promesse d’augmenter le montant de l’aide publique au développement jusqu’à atteindre 0,55 % du PIB, mais a aussi annoncé vouloir ‘’une nouvelle méthode, un nouveau nom, une nouvelle philosophie’’ pour que cette aide, qui sera régulièrement ‘’évaluée’’, ‘’ soit plus efficace, et plus en phase avec les réalités de terrain’’. Sur la question du trafic de migrants, il proposera ce mercredi au sommet UE-Afrique d’Abidjan une ‘’initiative euro-africaine’’ (son contenu n’a pas été dévoilé) pour frapper les ‘’organisations criminelles’’ et apporter un ‘’soutien massif à l’évacuation des personnes en danger’’. Car les exactions dont sont victimes les migrants sur la route de la Méditerranée, en particulier en Libye, constituent ‘’le stade ultime de la tragédie’’, ‘’un crime contre l’humanité sous nos yeux’’, a insisté Macron, en référence à la récente vidéo de CNN montrant ce que la chaîne américaine a qualifié de ‘’marché d’esclaves’’.

Par ailleurs, davantage même que sur le terrorisme, thème de ses précédents voyages en Afrique, le chef de l’Etat a insisté sur la nécessité de combattre ‘’l’obscurantisme’’ et ‘’l’extrémisme religieux’’. Il a rendu hommage au roi du Maroc pour son rôle, en tant qu’autorité religieuse, sur cette question, et de façon plus surprenante au roi d’Arabie Saoudite, qui ‘’a rejoint ce combat’’ et se serait engagé à cesser de ‘’financer des fondations’’ wahhabites en Afrique.

‘’Francophonie conquérante’’

C’est sur l’éducation, thème central de son discours, que le président français a fait le plus d’annonces. Il a promis de soutenir ‘’les chefs d’Etat africains qui feront le choix de la scolarisation obligatoire des jeunes filles’’ et de donner aux étudiantes ‘’la priorité’’ dans l’attribution des bourses d’études, déclenchant un frémissement de panique dans l’assistance masculine. Le Président s’est engagé à délivrer des visas de longue durée, qui ne s’arrêtent pas à la délivrance du diplôme, pour permettre des allers et retours entre les pays d’Afrique et la France. Car certains étudiants ont ‘’peur de rentrer chez eux par crainte de ne pas pouvoir revenir en France’’. Enfin, Macron a annoncé la création d’une ‘’Maison de la jeunesse’’ à Ouagadougou et un ‘’doublement’’ des partenariats universitaires franco-africains.

Le chef de l’Etat a également consacré une large part de son intervention à la culture. Il a promis ‘’des restitutions temporaires ou définitives du patrimoine africain’’ entreposé dans les galeries ou les musées européens ‘’d’ici cinq ans’’. Il a pour finir insisté sur la nécessité d’une ‘’francophonie conquérante’’ et encouragé la jeunesse africaine à s’emparer à leur façon de la langue française : ‘’transformez-la, changez-la !’’, s’est-il exclamé.

‘’Le terme civilisationnel, c’était une erreur’’

Le ton est rapidement monté lors de la séance de questions-réponses avec l’assistance. Un exercice inédit, dans lequel le Président s’est rapidement échauffé, criant pour se faire entendre au milieu du tumulte. Macron a notamment répondu aux critiques sur sa malheureuse phrase concernant ‘’le défi civilisationnel’’ de la démographie africaine : ‘’Quand des pays ont encore aujourd’hui 7 à 8 enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien’’, avait déclaré le chef de l’Etat au G20 cet été. ‘’Le terme civilisationnel, c’était une erreur’’, a admis hier Macron à Ouagadougou. ‘’Le nombre d’enfants par femme, ça ne se décrète pas, c’est un choix intime(…) Mais quand une femme a 7, 8, 9 enfants, êtes-vous bien sûr que c’est véritablement son choix ?’’ Il a réaffirmé l’impossibilité du développement pour les pays où «la croissance démographique est supérieure à la croissance économique».

Macron a également bataillé sur la question du franc CFA, décrit par des membres du public comme un outil de ‘’domination coloniale’’, ou sur l’opération militaire ‘’Barkhane’’ au Sahel. ‘’Ne venez pas me parler comme ça des soldats français, a-t-il lancé à une étudiante qui s’indignait de leur nombre au Sahel. Vous ne devez faire qu’une chose : les applaudir !’’ Bravache et semblant parfaitement à l’aise, il a accepté de prendre quatre questions supplémentaires et répondu en alternant un ton professoral (sur les questions monétaires) et vindicatif (sur les trafiquants d’êtres humains en Libye). Il a aussi souvent renvoyé ses interlocuteurs vers son hôte, Roch Christian Kaboré : ‘’Vous m’avez parlé comme si j’étais le président du Burkina Faso. Mais je ne veux pas m’occuper de l’électricité des universités de Ouagadougou, moi ! C’est son travail’’. Allant jusqu’à promettre à la place de Kaboré qu’il ‘’reviendrait pour parler de toutes ces questions’’.

Liberation.fr

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