Publié le 8 Jul 2018 - 19:59
MAKHTAR LE KAGOULAR – RAPPEUR

‘’Une alliance Karim Wade-Ousmane Sonko offrirait une formidable machine…’’

 

Etabli aux Usa depuis quelques années, le rappeur et ancien membre de BMG44 et de Rap’Adio, Makhtar Le Kagoular, n’en suit pas moins l’actualité sénégalaise. Très suivi sur les réseaux sociaux, il était très prompt à faire des vidéos pour donner son avis sur les questions d’actualité. Mais depuis l’affaire Assane Diouf, il a pris du recul. Son nom a été cité dans l’affaire et beaucoup de choses ont été dites sur sa relation avec celui qu’on a surnommé ‘’l’insulteur public numéro 1’’. Déniché par ‘’EnQuête’’, il explique les raisons de son absence des réseaux sociaux, notamment de Facebook, analyse la situation politique et donne son avis sur le parrainage. Entretien.

 

Vous étiez très présent sur les réseaux sociaux et dans les médias en ligne. Depuis quelque temps, vous y êtes devenu rare. Qu’est-ce qui explique cette situation ?

Les réseaux sociaux sont devenus un puissant instrument de communication et d’information. Nous avons compris, dès le départ, qu’ils pouvaient nous servir pour le travail d’éveil citoyen que nous faisions en direction de nos compatriotes de l’intérieur du pays et de la diaspora. Il faut reconnaitre que nos vidéos ont connu un large succès et nous avons eu, par la suite, à faire beaucoup d’émules. Cependant, force a été de constater que l’absence de contrôle, les considérations partisanes ou crypto-personnelles ont ouvert la porte à toutes les formes de dérive. Les débats constructifs qu’on voulait soulever pour instituer chez nos concitoyens la culture de sanction ont été viciés par les injures, les manipulations de toutes sortes et les tentatives d’intoxication. Les réseaux sociaux sont maintenant de véritables foires d’empoigne. A un certain moment, et au vu de la tournure des événements, nous avons jugé plus pertinent de prendre du recul et d’utiliser d’autres stratégies pour faire passer nos messages.

A quelques encablures de la présidentielle sénégalaise, vous décidez d’abandonner ce combat de conscientisation citoyenne ?

Sans avoir la prétention de jouer les directeurs de conscience, je considère que mon rôle est d’aider nos concitoyens dans leur choix. C’est pourquoi j’ai parlé tantôt d’éveil citoyen. Dans le contexte actuel, il faut une bonne stratégie d’alliance pour mettre hors d’état de nuire le régime actuel. Cette entreprise de salubrité publique exige, au-delà de toutes considérations, la mobilisation de toutes les intelligences et énergies. L’heure est à la révolution des mentalités. Pour cela, il faut changer la donne. Celle-ci demeure manifestement la subordination éhontée de nos dirigeants à l’étranger, surtout à la France. Le véritable frein à notre développement reste et demeure l’impérialisme occidental qui nous confine dans les rets de la pauvreté et de la misère. Sur ce plan, Abdoulaye Wade et surtout son fils Karim Wade, malgré tout ce qu’on peut leur reprocher et les nombreuses dérives qui ont jalonné leur règne, ont marqué un coup d’arrêt fondamental dans nos rapports avec la France. Ce qui est à saluer.

Et comment donc ?

Ils ont su mettre un terme à l’accaparement par les entreprises françaises des secteurs stratégiques de notre économie. C’est une question de fond, nous avons ce réflexe absurde de toujours faire appel au concours de l’extérieur pour régler nos problèmes. Cet état de fait n’est pas uniquement symptomatique des pratiques des tenants du pouvoir, il est aussi observé de façon récurrente dans le comportement de l’opposition et de la société civile qui, paradoxalement, font de l’assujettissement à la puissance coloniale leur cheval de bataille. La plainte que l’opposition a eu à déposer au niveau de quelques instances judiciaires européennes et américaines le montre à souhait.

On a cherché à demander le soutien de l’étranger, alors qu’il fallait procéder à une bonne information du peuple et l’amener à prendre ses responsabilités. Sous ce rapport, une alliance Karim Wade-Ousmane Sonko offrirait une formidable machine pour déboulonner le régime en place dont la propension à servir les intérêts de la France heurte nos consciences et notre dignité. Nous devons penser stratégie au-delà des états d’âme et autres formes de chantage aux grands principes. Débarrasser notre pays de Macky Sall doit passer avant toute autre considération. L’analyse des rapports de force montre la position centrale du Pds version Karim Wade. Je ne pense pas qu’à l’état actuel de la situation, qu’il soit possible de mettre en place un schéma efficace sans tenir compte de cette réalité.

Et dans la dynamique de rupture avec les pratiques pernicieuses avec la Françafrique, Karim s’est particularisé dans le rejet des Français et l’ouverture vers les Asiatiques et les Arabes. Ce qui nous a valu beaucoup de succès. Le combat est panafricaniste, nos bourreaux agissent globalement, donc il faut travailler à l’émergence d’une véritable conscience africaine. Nous devons revoir le mode de choix de nos dirigeants avec les élections qui n’ont rien de démocratique et renvoient surtout au clientélisme. Il faut imaginer des mécanismes qui permettent de choisir les meilleurs et surtout rompre avec les perspectives immédiates. Nous devons travailler à construire la route qui va nous mener à la bonne destination. Il s’agit de semer les graines pour les générations futures.

Mais, aujourd’hui, Karim Wade est out pour la présidentielle de 2019. Son nom n’est pas sur les listes électorales…

Oui, c’est ce qu’ont dit les autorités. Il faudrait maintenant qu’elles nous expliquent pourquoi Karim Wade ne peut pas être candidat. Depuis le début, il n’y a jamais eu de preuves de sa culpabilité. On n’a jamais pu mettre sur la table des preuves de ce qu’on l’accusait. Je ne dis pas pour autant qu’il est blanc comme neige, mais reconnaissons qu’aucune preuve n’a été trouvée. Encore qu’il a purgé une partie de sa peine. S’ils sont convaincus qu’il est coupable, pourquoi ils ont accepté de faire un deal avec lui en l’exilant ? S’il est innocent, qu’on le libère. Ce qui transparaît aujourd’hui est qu’il y a une volonté d’écarter un adversaire politique. C’est le même cas de figure avec Khalifa Sall. Il faut que la société civile puisse s’exprimer et que le peuple soit conscient qu’on veut l’éloigner de l’essentiel, en l’enlisant dans certains débats stériles.

Pourquoi dites-vous que le Sénégal est à la solde de la France ?

Cheikh Anta Diop et d’autres précurseurs ont fait un travail inestimable de restauration de la dignité de la race noire. Ce qui fait que nous avons toujours affirmé partout notre fierté d’être sénégalais, d’être des avant-gardistes dans la construction du sentiment panafricain. Avec l’avènement de Macky Sall, c’est la résurgence de comportements d’un passé qu’on croyait révolu. Nous constatons, pour le regretter, que le mal est toujours là dans ses manifestations les plus pernicieuses.

Comment, en 2018, on peut parler d’une place de l’Europe à Gorée ? C’est insulter la dignité de l’homme noir. Gorée représente la honte de l’Europe. Malheureusement, il y aura toujours des renégats pour jouer les mauvais rôles. C’est dommage que l’élite politique et intellectuelle ne les remette pas toujours à leur place. Depuis l’esclavage, rien n’a pratiquement changé, c’est la même mentalité. C’est la logique du nègre et de la médaille. Sarkozy est venu chez nous et nous a insultés en disant que ‘’l’Afrique n’est pas entrée dans l’histoire’’. Macron nous tire par le bout du nez comme de vulgaires malpropres. Tout cela doit cesser. Pour y arriver, il faut mettre en avant des hommes et des femmes dignes.

Le parrainage ne pourrait-il pas changer ce système dont vous parlez ?

Ce n’est pas une nouveauté dans notre dispositif électoral. On a toujours exigé des candidats indépendants un certain nombre de signatures. L’élimination de candidats indépendants pour n’avoir pas rempli cette obligation, lors de l’élection présidentielle de 2012, est toujours fraiche dans nos mémoires. Sur le principe, je considère que c’est une bonne chose. Il faut mettre tout le monde sur un même pied. C’est aussi un filtre sélectif qui va contrecarrer certaines pratiques douteuses et éviter la banalisation de la présidentielle. Il y a urgence à barrer la route aux candidats fantoches qui utilisent leur carnet d’adresses pour collecter d’importants fonds et faire ensuite une participation de façade. Pour la crédibilité de nos institutions, nous devons nous opposer à cette forme de marchandisation qui n’obéit qu’à la logique de se faire de l’argent à travers les élections.

Sur un autre plan, ce que nous n’avons pas apprécié, c’est l’absence de concertation préalable. La procédure utilisée n’est pas crédible et nous la rejetons. Le président doit rompre avec la politique du forcing ou du fait accompli.

HABIBATOU WAGNE

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