Publié le 19 Aug 2020 - 15:42
MARDI NOIR AU MALI

La communauté malienne dans l’expectative

 

Chez la communauté malienne au Sénégal, les gens sont partagés entre inquiétude, espoir et amertume.

 

Une folle journée ! Toute une matinée durant, la confusion était à son comble. Un coup d’Etat est-il en cours ? Est-ce une simple mutinerie ? Les commentaires vont bon train. Dans ce garage situé à environ 1 km de Rufisque, c’est l’expectative. Il est 14 h passées de quelques minutes. La situation est loin de connaitre son épilogue au Mali. Sur place, c’est la méfiance, la prudence. Rares sont ceux qui s’aventurent à commenter l’actualité au pays.

‘’Nous sommes ici au Sénégal. Pas au Mali. Pour le moment, c’est une confusion totale. Nous n’avons aucune lisibilité’’, lâche Mohamed Koné du bout des lèvres.

A l’opposé de Mohamed, l’agent de sécurité Simbo Keita, lui, ne cache pas son enthousiasme. Malgré la grande incertitude. Pour lui, l’implication de l’armée est simplement salutaire. ‘’La situation s’enlisait depuis plusieurs semaines, des mois. Il y a déjà assez de pertes en vies humaines, assez de blessés. C’est tout à fait heureux que les militaires s’impliquent pour débloquer la situation’’, indique le bonhomme.

Très remonté contre le régime d’IBK qu’il accuse d’avoir tué des manifestants innocents, il peste : ‘’Notre souhait est de le voir partir. Là, on nous signale que le renversement est réussi à 90 %. Ce que je salue le plus, c’est qu’il n’y a pas eu d’effusion de sang. Cela montre aussi que le président a été lâché et par le peuple et par l’armée. C’est tant mieux. Cela va permettre au Mali de retrouver la paix et la sécurité.’’

Malgré l’euphorie ambiante, l’inquiétude se lit sur certains visages. La plupart se préoccupent du sort des frères et proches restés au pays. Simbo Keita : ‘’Depuis ce matin, j’appelle mes parents et amis qui se trouvent à Bamako, surtout pour leur demander de rester à la maison, de ne pas sortir, puisque la situation est encore incertaine. Il faut être prudent.’’

D’origine malienne, le gérant de ce magasin de pièces détachées, lui, ne cache pas son ras-le-bol. Outré par la boulimie du pouvoir qui a fini de perdre bien des présidents au Mali, il déclare : ‘’Tout cela est la résultante de l’entêtement des tenants actuels du pouvoir. S’ils avaient lâché du lest depuis le début, on n’en serait pas là. Mais les Africains aiment trop le pouvoir. C’est dommage.’’ Et d’exprimer son amertume : ‘’Nous sommes effectivement inquiets. D’abord pour nos parents qui sont là-bas. J’ai des sœurs et des neveux à Kati. Ensuite, parce que si le Mali explose, le Sénégal ne sera pas épargné. Nos parents qui sont là-bas vont venir chez nous pour trouver refuge. Mais il y aura aussi des conséquences économiques néfastes. Imaginez, tous les jours, il y a environ 450 camions qui viennent ici en provenance du Mali. Tous les jours, il y en a environ 350 qui partent. Tous sont remplis de carburant. Imaginez que cette activité soit interrompue. Les conséquences seront dommageables et pour le Mali et pour le Sénégal.’’

L’histoire bégaie

Sur le coup d’Etat, il estime que ce n’est qu’une répétition de l’histoire. Après celui de Modibo Keita, Moussa Traoré, Amadou Toumani Touré, c’est au tour d’Ibrahim Boubacar Keita de quitter le pouvoir par le biais d’un coup d’Etat militaire. ‘’C’est le résultat de son entêtement. Depuis juin, les gens lui demandent de lâcher le pouvoir, mais il n’a voulu rien entendre. Le problème, en Afrique, c’est que les dirigeants ne sont intéressés que par le pouvoir. Il a fait du forcing et voilà le résultat’’, souligne M. Koné.

Cela dit, la communauté malienne s’interroge toujours sur l’avenir de leur pays. Pendant que les uns pensent que le président IBK était le facteur bloquant de la crise sécuritaire, économique et sociale, d’autres estiment que le pays est parti pour une longue phase d’incertitude. Moro fait partie des plus pessimistes. Il affirme : ‘’Je suis de ceux qui pensent qu’il n’y a plus rien à faire. La situation est déjà pourrie. Il sera difficile de faire quelque chose. D’autant plus que les religieux, qui sont très écoutés par la population, sont au-devant de cette lutte. Nous prions le bon Dieu de venir au secours du Mali.’’

A l’en croire, même si les militaires ont donné le coup de glas, ce dénouement de la crise n’est pas à détacher du climat délétère qui régnait dans le pays depuis le 5 juin. Pour expliquer toute la notoriété de l’imam Mahmoud Dicko, il fait observer : ‘’En fait, la société malienne est très proche de celle sénégalaise. Là-bas comme au Sénégal, les religieux sont très écoutés, plus même que les politiques et les responsables de la société civile. Ces derniers l’ont compris et c’est pourquoi ils se sont rangés derrière les religieux pour mener la guerre à IBK.’’

Récit d’une folle journée à Bamako

Chef du Comité interparlementaire de l’UEMOA, Amadou Toumani Touré (à ne pas confondre avec l’ancien président malien) revient sur la folle journée vécue, hier, par les Maliens.

C’est tôt le matin, hier, que les militaires se sont rencontrés à Kati pour se répartir les tâches. Lors de cette rencontre, rapporte le chef du protocole du Comité interparlementaire de l’UEMOA joint par ‘’EnQuête’’, d’aucuns ont été désignés pour aller s’occuper d’IBK, d’autres du président de l’Assemblée nationale, d’autres encore devaient s’occuper de certains ministres de la République.

‘’A l’heure où je vous parle, il y a une colonne qui s’est rendu chez IBK. On me signale que les gardes n’ont pas fait de résistance. Ils sont entrés tranquillement et ont cueilli le désormais ancien président. Ils ont trouvé dans sa maison le Premier ministre et ils ont emmené tous les deux qui sont en lieu sûr’’, a-t-il insisté, assurant que chez les putschistes, il y a toutes les composantes des forces de défense et de sécurité du Mali : garde républicaine, gendarmerie, policiers, bérets rouges, bérets verts, tout le monde. Ce qui a grandement contribué au caractère plus ou moins non violent de ce coup d’Etat militaire.

‘’Une seule incidence regrettable a été notée. On a brûlé l’immeuble du nouveau ministre de la Justice. C’est le seul dégât, en sus d’une petite fillette touchée par une balle perdue. Elle a été prise en charge et amenée à l’hôpital militaire de Kati’’, a-t-il ajouté.

A la communauté internationale dont la CEDEAO qui n’a pas tardé de condamner la prise du pouvoir par les militaires, M. Touré déclare : ‘’Ils ne peuvent ne pas tenir compte de la situation qui prévaut. Le système de santé est à l’arrêt ; l’éducation n’existe plus ; il n’y a plus de sécurité. Comment on peut, dans ces conditions, ne pas être sensible à ce qui se passe ? Je pense que la CEDEAO n’est pas là pour les présidents. Elle doit être là pour les peuples.’’

D’après lui, il suffit de se rendre au Mali, voir comment la chute d’IBK est en train d’être célébrée, en communion, par militaires et civils, pour se rendre compte de l’évidence. ‘’La population malienne en avait marre. Le pays est bloqué. C’est le chaos total. Depuis le 5 juin, le Mali ne marche pas. Toutes les institutions sont bloquées. En tant qu’armée républicaine, il était de leur devoir de s’impliquer pour arrêter l’hémorragie. Si vous étiez à Bamako, vous verrez combien les gens sont heureux. C’est plutôt la délivrance’’, renchérit le chef du protocole du CIP.

Certes, affirme-t-il, ils n’ont pas souhaité un coup d’Etat. Mais puisque IBK lui-même viole la Constitution, il n’est même pas approprié de parler de coup d’Etat en l’espèce. Lors de cette prise de pouvoir par l’armée, plusieurs ministres et généraux de l’armée ont été arrêtés, ainsi que le président de l’Assemblée nationale, le Premier ministre et le célèbre fils du président déchu, Karim Keita.

Par ailleurs, sur les ondes d’iRadio, le journaliste malien Mohammed Atteher est revenu sur le côté anecdotique de ce coup d’Etat. Selon lui, tous les coups d’Etat qui ont eu lieu au Mali ont été réalisé un mardi. Il en serait ainsi du coup d’Etat contre Modibo Keita perpétré un mardi 19 novembre 1969 ; de celui contre Moussa Traoré le 26 mars 1991 ; le 22 mars 2012 contre Amadou Toumani Touré. Hier également, le 18 août, IBK a été contraint au départ. 

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