Publié le 26 Sep 2014 - 09:25
NAUFRAGE DU BATEAU LE JOOLA

Lettre  marine du 26 septembre…(2014) 

 

Mes chères filles

Dans quelque jours, exactement le 26 septembre 2014, il sera minuit, date anniversaire de votre retrait pour l’autre monde. Cette nuit là, le silence stupéfait de la douleur a envahi tous les hameaux du pays. Silence ponctué de paroles confuses, d’insupportables cris de détresse.

Le monde, qui vient de connaître sa plus grande tragédie maritime en temps de paix, ébahi, a assisté à une gestion scandaleuse de la crise : un gouvernement qui n’a aucun respect pour la souffrance collective, a multiplié les dérives dans tous les actes posés ; les parents de victimes ont créé des associations qui n’arrivent pas à s’entendre sur des actions communes et dont certaines tranchent d’avec la probité que requiert l’évènement. Quant à nos gouvernants, ce qui s’est passé ce jour là est la manifestation insupportable d’un manque d’éthique dans tous les domaines, plus particulièrement dans la sauvegarde de notre dignité. Un manque d’éthique qui a caractérisé le comportement de tous les responsables chargés de la gestion du navire.

Cette catastrophe a causé des dommages irréversibles. Par la faute de l'homme, par la seule faute de l'homme, vous nous avez quittées pour toujours avec plus de deux milliers d'autres compatriotes et étrangers, victimes de notre insouciance coupable, de notre indifférence incompréhensible. N'est-ce pas là, chères filles, une des nombreuses exceptions sénégalaises, qui freinent notre développement, qui nous empêchent de conquérir et de prendre notre place à la table des grands, c'est-à-dire celle des pays qui ont placé l'homme au centre de tout ?

 Ainsi, le site de la place du souvenir aurait dû être un site réellement dédié à l’évènement, avec des aménagements appropriés, à Dakar et à Ziguinchor, et les commémorations, revêtir un cachet national et international, accompagnées par un hymne vibrant. Les idées ne manquent pas pour faire de cette date un moment de recueillement à la hauteur de cette tragédie, à l’instar de ce qui se fait ailleurs.

Mais la politique politicienne s’est vite emparée de toutes les initiatives et nous avons vécu alors sous l’ère des promesses politiciennes, jamais tenues, l'ère des affaires, qui ruinent le pays, de la mal gouvernance, qui a sorti le Sénégal de son orbite tant enviée. Nous avons vécu sous un régime qui a montré ses forces, peut-être, mais aussi et tristement ses faiblesses; et vous avez été victimes de ces faiblesses criminelles, mes chères filles.

Comment se fait-il que 50 longues années après nos fameuses indépendances, nos politiques ne parviennent pas à cultiver le respect du bien commun, à lutter contre le laxisme qui ruine le pays? Pourquoi cultivent-ils des contre-valeurs qui ont fini par nous boucher les horizons? Pourquoi entraîner ainsi nos populations vers leur propre perte, vers une sorte de suicide collectif? Le 26 septembre, date fatidique pour l'humanité, date de recueillement individuel et collectif ; cette date, nous l’avons déjà oubliée, en douze ans seulement, au point de programmer, dans nos agendas, de grandes manifestations de réjouissance et de liesse collectives? Oui, mes enfants, voilà où en est votre peuple: l'insouciance et l'indifférence sont érigées en vertus! Qu'il soit quand même béni, chères filles!

 Depuis 2012 nous vivons un changement de régime qui devrait se traduire par une rupture dans les mœurs, les comportements, la méthode de gouvernance. Une rupture proclamée partout et en toute circonstance. L’espoir ainsi suscité est si grand qu’on a parlé d’un nouveau type de sénégalais, un Sénégalais aux mains propres, incarnant toutes les vertus dans la gestion de la cité et dans les rapports sociaux.

Mais nous voilà face à des scandales de tous ordres dont la gestion est souvent brouillée par la frilosité d’un gouvernement qui cherche lui-même ses repères. Et ne voilà-t-il qu’en août 2014, pour une banale et regrettable histoire de bourses non payées, le campus universitaire s’est enflammé et a enregistré un mort et des blessés, suite à de violents affrontements entre étudiants et policiers. Cela aurait pu être évité, évidemment, par un contact permanent entre tous les acteurs..

Le collectif des cadres casamançais, qui s’est toujours investi au plus fort de la crise, a senti le péril et décidé de s’impliquer dans les manifestations, le 25 septembre 2014 par une projection du film de Pape Moctar Sélane sur le joola à la place du souvenir et le 26 septembre par des visites et prières dans les cimetières).

Bref, comme je l’écrivais dans un texte précédent intitulé « les yeux fermés, les yeux ouverts…nous nous souvenons » : ‘’nous sortons de cette épreuve (la tragédie du joola), traumatisés certes, mais la conscience encore floue sur notre part de responsabilité en tant qu’individu. Le spectacle des bus, des cars rapides nous renvoie, encore l’image insolite des masses humaines agglutinées sur les marchepieds des véhicules bondés à certaines heures de la journée.

La relation d’accidents mortels qui jalonnent les routes font souvent état de l’imprudence de quelques conducteurs ivres de sommeil, d’alcool ou de chanvre. Les passerelles qui surplombent certaines artères, non utilisées,  plus que des éléments de sécurité pour les usagers, dressent leur majestueuse et imposante silhouette comme de simples objets d’art. La liste est longue de toutes les imprudences que, quotidiennement, les Sénégalais commettent et qui peuvent être source de tragédie.’’  

Comme vous le constatez mes chère enfants, nous devons lutter d’abord contre nous-mêmes, contre notre fatalisme légendaire et béat, contre nos vieilles et vilaines habitudes, mais aussi contre les agressions des forces politiques et économiques venues de l’extérieur. C’est un grand combat et nos armes seront : notre amour pour notre pays, le courage dans nos actes, notre ardeur au travail et l’incarnation des vertus qui ont fait nos grands hommes.

En dehors de quelques réalisations remarquables dans le domaine des infrastructures, le pays continue de cheminer entre l’insouciance, la politique politicienne et les déballages intempestifs. Nous vivons actuellement dans une ambiance de tempêtes verbales, sous des flots de mots et de maux. Rien qui inspire sérénité et travail. Pour ma part, je fais miens ces quelques mots de l’industriel britannique Edward Carnegie : ‘’Avec l’âge, je prête moins attention aux dires des hommes, je m’intéresse plus à leurs actes’’, n'est-ce pas mes chères filles? Reposez en paix!

Ibrahima Ndaw

malima_sn@yahoo.fr

 

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