À qui la faute?

Alors qu’on n’a pas fini de parler des maux qui accablent les sociétés nationales Air Sénégal, La Poste… un Conseil interministériel tenu en fin de semaine dernière est venu mettre en exergue la situation catastrophique de la Sonacos.
Le constat est alarmant. Rien à voir avec le tableau reluisant que le directeur général et sa tutelle avaient jusque-là l’habitude de vendre aux Sénégalais.
“Entre les exercices 2023 et 2024, la Sonacos SA a cumulé des pertes de 33 037 041 985 F CFA”, informe le communiqué du dernier Conseil interministériel tenu le vendredi. Ces pertes, selon le document, ont mené la société dans une situation grave caractérisée par des capitaux propres négatifs de neuf milliards et demi de francs CFA.
Mais à qui la faute ? Faut-il l’imputer aux anciens dirigeants ou bien aux décisions prises par l’administration Diomaye, avec le nouveau directeur général El Hadj Ndane Diagne ? Il faudra peut-être attendre l’audit exhaustif annoncé par le Premier ministre pour déterminer ce qui relève de l’héritage et ce qui entre dans le cadre de la gestion du nouveau DG.
Des sources jointes par ‘’EnQuête’’ ont tenu à préciser : “Quand on parle des pertes cumulées de 2023 et 2024, je pense qu’ils sont en grande partie responsables. Ils ne l’ont pas précisé, mais les pertes de l’exercice 2024, c’est autour de 17 milliards F CFA. Et c’est leur propre campagne.”
L’actuel régime au banc des accusés
Qu’en est-il alors des exercices précédents ? Nos interlocuteurs qui, il faut le préciser, sont proches de l’ancienne administration, ont tenu à préciser : “Comme je vous l’ai dit, la part la plus importante de ces pertes concerne l’exercice 2024. Si on déduit les pertes de 2024 sur les 33 milliards, on constate que l’exercice 2023 a connu une perte d’environ 15 milliards. Le gouvernement est aphone sur les autres exercices. C’est parce que c’était des exercices excédentaires. S’il y avait des pertes, ils l’auraient signalé”, commente une de nos sources.
‘’EnQuête’’ a joint l’actuel directeur général pour vérifier cette version. Voici les questions posées à El Hadj Ndane Diagne : primo, à combien s’élèvent les pertes de l’exercice 2023, combien pour 2024 ? Secundo : qu’en est-il des exercices précédents (2020, 2021 et 2022) ? Tertio : est-ce que les mesures prises en Conseil interministériel peuvent permettre d’éviter les pertes pour la prochaine campagne ?
Le DG Ndane Diagne garde le silence sur la répartition des pertes entre l’ancienne et la nouvelle administration
Le directeur général n’a malheureusement répondu qu’à la dernière question sur les mesures. Il déclare : “Les mesures sont des mesures structurelles contenues dans le plan stratégique présenté lors de la réunion”, a-t-il fait savoir. Il est resté silencieux sur les autres questions.
Les sources proches des anciennes administrations sont en tout cas formelles : il y avait des bénéfices aussi bien en 2019, en 2020, en 2021 et en 2022.
Selon toute vraisemblance, les résultats risquent d’être encore plus catastrophiques cette année. Alors que la dette auprès de certaines banques était presque totalement épongée, elle se reconstitue peu à peu. “L’entreprise doit des dizaines de milliards à ses créanciers, alors qu’une autre campagne se profile. Elle devra discuter avec les banques pour avoir de nouveaux financements. Selon les prévisions, on risque de se retrouver avec pas moins de 20 milliards de pertes”, alerte cet ancien cadre de la boîte, qui estime que la reconstitution du capital est inéluctable.
Cela dit, la Sonacos, comme beaucoup de sociétés nationales, a toujours été un gouffre financier. Ce qui avait contribué à sa privatisation sous le régime du président Abdoulaye Wade, dans des conditions fortement décriées. Selon le Conseil interministériel, “la société a bénéficié du soutien financier de l’État du Sénégal, actionnaire majoritaire à 99,9 %” depuis sa reprise. “Le montant total injecté dans la société entre 2018 et 2023 s’élève à 140 205 015 052 F CFA”, a informé le gouvernement.
Des menaces de faillite
Ces montants entrent “dans le cadre de subventions réelles du prix de l’arachide, de remboursement de prêts dus à des partenaires financiers, de reprises de dettes, mais aussi lors de la recapitalisation de la société en 2019 pour un montant de 65 milliards F CFA”, a souligné le communiqué du Conseil interministériel.
Là aussi, les anciennes administrations tiennent à apporter des précisions. Selon un de nos interlocuteurs, une bonne partie de ces injections financières entrent dans le cadre de la compensation due par l’État à la Sonacos, au titre de la convention État-huiliers. “Comme vous le savez, chaque année, on calcule le prix économique du kilo d’arachide. Pour des raisons politiques et sociales, l’État dit qu’il ne veut pas que les paysans vendent leur arachide au prix économique. Il fixe alors un prix plus important. À partir de ce moment, l’huilier va payer le prix fixé par l’État, mais ce dernier prend en charge le différentiel entre le prix économique et le prix réel”, précise la source, qui ajoute qu’à la fin de chaque campagne, il est calculé les montants dus par l’État à la Sonacos au titre de ce mécanisme.
“Avant, le gouvernement ne donnait même pas cet argent à la Sonacos. Aucun franc n’entrait dans les comptes de l’entreprise. Le ministère utilisait directement cet argent pour payer la dette due aux banques”, font savoir nos sources.
Ces motifs de satisfaction qui suscitent la controverse
S’il y a un point positif dans le bilan de l’actuel régime, c’est surtout la mise en marche de presque toutes les usines. Le ministre de l’Agriculture en parle d’ailleurs avec beaucoup d’émotion. “Vous ne pouvez pas imaginer, en tant que ministre en charge de l’Agriculture, le sentiment de fierté que j’ai eu personnellement quand je suis retourné à Ziguinchor et que j’ai vu l’impact économique et social de l’ouverture de nos usines. J’ai fait le même constat à Kaolack et à Louga”, s’est-il réjoui.
Mais le vrai problème reste la compétitivité et la rentabilité de la filière. À quoi bon de relancer toutes les usines, si l’État doit les faire fonctionner à perte ou au détriment du paysan...
En effet, en sus de supporter le différentiel entre le prix dit économique et le prix réel, le gouvernement a été contraint d’interdire l’exportation pour permettre à la Sonacos de trouver de la matière première. D’ailleurs, c’est la principale raison pour laquelle les usines ne fonctionnaient pas. “Depuis Pape Dieng qui a été le premier DG après reprise, l’État a fait des efforts importants pour remettre en état les usines de Ziguinchor, Kaolack et Louga. Cela s’est accéléré sous Modou Diagne Fada. Maintenant, il est arrivé que les usines ne tournent pas, faute de graines. Lors de la campagne précédente, l’État s’est donné les moyens de les faire tourner en fermant le marché aux Chinois. C’est ça la vérité”, corrige l’ancien cadre de la boîte, qui n’a pas manqué de saluer des mesures volontaristes prises par l’actuel régime pour relancer l’entreprise.
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FAUT-IL SE DÉTOURNER DE LA FILIÈRE
Les réponses du MFB
Pendant ce temps, le ministre des Finances, lui, s’est fait une religion. La filière arachidière, dit-il, convaincu, n’est pas rentable. L’État, selon lui, la soutient néanmoins en raison de son fort impact social et sur le plan macroéconomique.
Cela dit, des mesures correctives s’imposent. “Il faut que la filière soit réorganisée. On ne peut pas continuer à travailler avec un rendement de moins d’une tonne à l’hectare. On ne peut pas non plus soutenir un secteur en amont et le soutenir en aval”, déclare le ministre Diba.
En langage moins codé, l’État ne devrait pas continuer à subventionner la précampagne à travers les intrants et subventionner aussi la campagne à travers le prix.
Il faut juste noter que les Chinois proposent presque chaque année des prix nettement plus intéressants pour les paysans. Mais pour protéger la Sonacos, l’État, souvent, interdit les exportations avant l’approvisionnement de l’huilier national.
Les mesures fortes du Conseil interministériel
Pour relancer l’entreprise et la sortir des difficultés, le gouvernement a pris une série de mesures qui devraient permettre de retrouver l’équilibre perdu. Parmi ces mesures, il y a : la reconstitution des fonds propres ; la prise en charge de la différence entre le prix économique et le prix aux producteurs de la campagne 2024-2025 pour plus de 9 milliards ; des allègements fiscaux et douaniers pour rendre l’entreprise plus compétitive. Le gouvernement envisage aussi des mesures relatives au Code des marchés publics ; aux financements auprès des créanciers.
Le Premier ministre a aussi insisté sur la nécessité de veiller pour une bonne exécution du plan stratégique de développement. “J’invite le ministre de l'Agriculture, de la Souveraineté alimentaire et de l'Élevage, le ministre des Finances et du Budget à veiller à la mise à jour du plan stratégique de développement 2026-2031 de la Sonacos SA et les contrats de performance y afférents, au plus tard en décembre 2025”, a-t-il souligné.
Par Mor Amar