Publié le 16 May 2020 - 03:49
Niamatoss UNE CHRONIQUE MÉDIA

L’heure est bizarre...

 
Si la persuasion exercée par le président Macky Sall, au lendemain de son discours du 11 mai, devait se mesurer à la tonalité des Unes de la presse du lendemain, nul doute que la partie n'a pas été gagnée. Même si le décor fut identique - couleurs nationales dressées à sa droite et assis dans un fauteuil rouge (aïe !) comme d'habitude - la tonalité fut toute autre.
 
Macky, le 23 mars, avec pour slogan choc "l'heure est grave", avait tout l'air d'un chef de guerre. Costume sombre et mine grave, tout semblait relever de la harangue pour aller à la bataille contre le méchant petit virus. Macky, le 11 mai, c'est caftan chic et bonnet blancs, l'allure empathique, mais le discours aux relents fatalistes de prêcheur du vendredi. Autant dire ‘’look Oustaz’’ ! Puisque le méchant petit Corona est encore là, dans le meilleur des cas, jusqu'en août ou septembre, apprenons à vivre avec (aïe, aïe..., comme Macron l'avait dit une semaine avant, comme l'OMS l'a dit aussi plus récemment), reprenons le travail, protégeons-nous du mieux que nous pouvons, rapatrions nos morts, retrouvons nos mosquées et églises (sous réserve de mesures barrières tout de même) et... remettons-nous en au Tout-Puissant... A Dieu vat !
 
Cela fit des heureux, certes, notamment tous ceux qui n'en pouvaient plus de vivre ce confinement. Mais il y eut aussi des mécontents. Parmi les jubilants, figurent pas seulement les travailleurs de l'Informel, pris entre le choléra (la faim que génère l'inactivité) et la peste (le virus Covid-19) mais aussi le docteur Papa Moussa Thior qui avait été parmi les plus médiatiques pourfendeurs de la stratégie jusque-là en vigueur. Ses tirs d'artillerie n'ont pas laissé intacte la forteresse confinement. Et il n'en est pas peu satisfait : "On a vu aujourd'hui un véritable chef de guerre, un leader qui a pris les décisions majeures... qui vont davantage souder la nation sénégalaise...", déclare-t-il dans les colonnes de ‘’l'Obs’’.
 
CHOIX DE LA SURVIE ECONOMIQUE - Et dans la longue rubrique des pourfendeurs de la stratégie présidentielle, mode volte-face, déclinée le 11 mai, les titreurs de presse occupent une bonne part du registre : "Les menaces des familles religieuses font reculer l'Etat : Le Général Macky capitule en rase campagne", (Le Témoin), pendant que ‘’l'Observateur’’ barre sa Une d'un futé "Dépistage du coronavirage de Macky".
 
Du côté de ‘’Sud Quotidien’’, c'est la certitude que "Macky Sall garde le Covid en résidence surveillée : Force reste à la foi". "L'Etat capitule", (‘’Source A’’). "Macky amorce la bombe Corona", (‘’Vox Populi’’), "Macky désavoue son Administration" (‘’Les Echos’’)... Bref, les réactions de la presse ont peu été tendres avec le président Sall. Sauf quelques rares Unes doucereuses : ‘’L'EnQuête’’ ("La cohabitation"), ‘’le Soleil’’ ("Mesures assouplies ?"), ‘’Rewmi’’ ("Le Sénégal entame un déconfinement mesuré"), la tonalité est plutôt au rejet, après le discours assimilé à un rétropédalage. Les nombreux appels à la relâche en provenance des milieux religieux et commerçants, auxquels il faut ajouter d'autres des affaires, plus discrets mais non moins efficaces lobbyistes, ont fini par faire plier le chef de l'Etat sur certains aspects majeurs, à un moment où tout, pourtant, laissait croire que la vis devait plutôt être resserrée.
 
RELÂCHE POUR UN JOUR DE GRANDE CRUE - Le 23 mars, quand le Général Macky appelait à la guerre, il n'y avait que 71 infectés au total pour tout le Sénégal. Six semaines et 3 jours plus tard, au moment de décider de l'assouplissement des mesures de confinement, ils sont 1 886 personnes à avoir été prises dans les mailles du virus et 19 à en décéder. Et, cocasse coïncidence, le record quotidien de cas positifs est battu dans la matinée du même 11 mai, avec une fournée de 177 personnes testées positives à la Covid-19. L'ire de la presse se comprend largement : comment expliquer que le décollage de l'épidémie à son niveau le plus haut jusqu'alors atteint, coïncide avec ce que l'on pourrait assimiler à une sorte d'atterrissage de la stratégie. Le fameux slogan, largement repris jusqu'aux opposants au régime à leur sortie d'audience, n'est plus "l'heure est grave". Après le speech présidentiel, c'est plutôt... "doyna war", l'heure est bizarre, à quoi pense l'opinion. Les chemins des décisions présidentielles, de l'homme le mieux informé du pays, sont insondables peut-être comme les voies du Seigneur. 
 
Mais après ce revirement, il faudra bien se faire à une idée : désormais, à chacun de choisir son camp : celui des "s'en fout la mort", "Yalla bakh na" (Dieu est miséricordieux) et le parti de ceux qui n'acceptent pas outre mesure de prendre des risques pouvant compromettre leur vie.  
 
Même jusque dans les rangs des religieux, il s'en est trouvé pour penser comme la plupart des éditorialistes. Dans les heures qui ont suivi, la presse se fait l'écho des réticences inattendues. L'Eglise demande à ses fidèles d'attendre son mot d'ordre avant de reprendre les célébrations, les omariens aussi, tout comme la Ligue des imams et prédicateurs. L'imam Kanté de la mosquée du Point E n'y va pas avec le dos de la cuillère : "Il est prématuré et imprudent de reprendre les prières dans les mosquées"… "Pour satisfaire les promoteurs des thèses des complotistes, comparatistes ?...", s'interroge-t-il. Docteur Thior appréciera... Mais force est de dire que ce spécialiste de la santé publique est dans la grande prétention, quand il déclare péremptoirement que les nouvelles décisions présidentielles vont "souder la nation". Allez demander au corps médical d'abord ! "La fracture" (Une de l'’’EnQuête’’ du mercredi), telle une menace contre l'union sacrée anti-Corona, était annonciatrice des larges fissures notées depuis.  
 
ROULETTE RUSSE OU JEU QUITTE OU DOUBLE - "Un Anglais ne plaisante jamais, quand il s'agit d'une chose aussi importante qu'un pari", disait Jules Verne. Quitte ou double ! Semble jouer Macky. Si sa nouvelle stratégie marche, il n'y aura personne, à l'arrivée, pour la lui reprocher. Si demain, les hôpitaux sont engorgés et les quartiers endeuillés comme jamais, alors il pourra faire marche arrière et dire "je vous l'avais dit, vous n'avez pas voulu me suivre" et appliquer de la plus ferme des manières un confinement à outrance. Mais sa responsabilité ne pourra pas échapper à la furie de ses détracteurs. La partie engagée est tellement risquée qu'elle navigue entre la roulette russe (risqué et très aléatoire, avec trop de paramètres en jeu) et le coup de poker, tout aussi hasardeux. Mais peut-être a-t-il été inspiré par Nelson Mandela qui avertissait ainsi : "Que vos choix reflètent vos espoirs et nos vos peurs ! "
 
La fête de Tabaski à venir est une autre grande équation à gérer pour l'homme au fauteuil rouge, la couleur du "hot seat" qui symbolise là où s'asseyent tous ceux à qui il revient de prendre les décisions difficiles. Comment imaginer, dans un contexte épidémique, que quelque 400 000 moutons doivent être importés de la Mauritanie et du Mali, et traverser les zones frontalières de Kidira, Podor, Matam et Saint-Louis pour converger vers les centres urbains ? Comment imaginer que Dakar, dans un tel contexte de chasse au virus, puisse abriter une quinzaine de points de vente ? Comment imaginer l’énorme mouvement migratoire qui va dans toutes les directions du pays, sans de réels risques de nouvelles propagations du virus ? Comment imaginer une célébration marquée par une énorme pénurie de moutons qui laisserait sur le carreau la plupart des chefs de famille ? Et si le président, en accord avec les incontournables chefs religieux, décidait que 2020, une année zéro, spéciale à tout point de vue, est déjà suffisamment calamiteuse pour que soit pris le risque de vouloir organiser une fête qui pourrait déboucher sur une hécatombe à terme. Et si la Tabaski d'une année zéro est une Tabaski à un mouton symbolique, comme l'avait fait le défunt roi du Maroc Hassan II, à trois reprises : en 1963 (Guerre des Sables avec l'Algérie), 1981 et 1996 (grande sécheresse et cheptel décimé) ?
 
Post Scriptum : Sur le plateau de la RTS, mardi soir, Abdoulaye Diouf Sarr a laissé entendre que la communication sur la Covid-19 allait être revue, notamment le point presse quotidien, une des revendications du Dr Thior dont les bombes ont apparemment fait l'effet d'une déflagration à Fann. Non, Monsieur le Ministre, ce serait avoir tout faux ! Plus qu'avant, les citoyens ont besoin des chiffres - et des vrais - en temps réel, au jour le jour. Ne nous privez pas de ce bilan qui nous permet d'en savoir sur l'évolution de l'épidémie. Quitte à le diffuser sur Internet uniquement à la même heure quotidiennement et choisir de ne le commenter que quand nécessaire. En priver le public laisserait cours à toutes les légitimes supputations.
 
PEPESSOU

 

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