Publié le 4 Jun 2020 - 00:05
OCCUPATION ANARCHIQUE DU LITTORAL

Un projet de loi annoncé 

 
 
Face à l’occupation anarchique du littoral, trois ministres se sont rendus hier sur la corniche de Dakar. Ils ont annoncé un projet de loi sur le littoral.
 
 
A la suite du Collectif pour la sauvegarde des terres des Mamelles et du littoral, trois départements ministériels ont effectué, hier, une visite de la colline des Mamelles au Cap Manuel. Les ministres de l’Environnement et du Développement durable, des Mines et de la Géologie, de l’Urbanisme et de l’Habitat veulent résoudre ce problème de manière concertée. ‘’Nous sommes venus ce matin pour voir de nous-mêmes les multiples agressions dont font l’objet le littoral, notamment dans sa partie ouest. Les effets des changements climatiques et les actions anthropiques sont en train d’avoir raison sur notre environnement et le ministère de l’Environnement qui a la charge de la mise en œuvre de la politique d’adaptation aux changements climatiques est très sensible à ces questions. Ce que nous venons de voir aux pieds de la colline des Mamelles est tout simplement injuste, inacceptable, insupportable et condamnable. Nous prendrons toutes les mesures qui s’imposent’’, a déclaré Abdou Karim Sall, Ministre de l’Environnement et du Développement durable. 
 
A l’en croire, le chef de l’Etat, conscient de la gravité de la situation, a donné des instructions fermes pour la mise en circuit d’un projet de loi sur le littoral. ‘’Il s’agira de légiférer dans une démarche participative et concertée, la gestion intégrée du littoral. Le Sénégal dispose de 760 km de côtes qu’il nous faut protéger. Dans les jours à venir, avec l’accord du président de la République, nous allons proposer, en Conseil des ministres, un projet de loi qui va nous permettre de gérer ce patrimoine inestimable, de protéger ce littoral qui est en train d’être agressé, d’une part, par les effets des changements climatiques, mais, d’autre part, par des Sénégalais’’, poursuit-il. 
 
Sa collègue du ministère des Mines et de la Géologie, Sophie Gladima, a annoncé une rencontre imminente entre ces trois départements et le président Macky Sall afin d’harmoniser l’ensemble des projets.
 
 ‘’L’objet de la visite est de constater cette situation désastreuse que subit notre littoral. Le littoral, ce n’est pas seulement la corniche de Dakar, c’est aussi 760 km, de Saint-Louis à Cap Skirring. Raison pour laquelle le chef de l’Etat a demandé que nos services travaillent ensemble, y compris les lanceurs d’alertes, les architectes, la société civile, de façon à lui proposer un code du littoral qui va nous permettre d’avoir un outil juridique de sauvegarde du littoral. L’avenir du littoral, c’est la concertation. Il faut une position cohérente de l’Etat que tous les services vont partager, car depuis 1960, des titres sont donnés sur les différentes parties du littoral et cette question concerne les Impôts et domaines’’, pense pour sa part le ministre de l’Urbanisme. 
 
Selon Abdou Karim Fofana, l’aménagement de certains espaces de la corniche a permis de les sauvegarder. ‘’ Il y a des zones qui sont occupées et d’autres non. Donc, le président a pris la décision de faire aménager l’espace de la corniche-Est aux Almadies où nous avons 20 km. Nous les avons coupés en trois parties. Du boulevard de la République à la mosquée de la Divinité, il y a un projet d’aménagement sur 9 km qui va être entamé cette année. Un parcours géologique est également prévu, parce que depuis des décennies, les étudiants de l’IST (Institut des sciences de la terre) et tous ceux qui s’intéressent à la géologie utilisent ce littoral pour pouvoir faire des études, pour comprendre l’évolution de notre sol et de notre histoire. Tout ceci sera finalisé dans les plus brefs délais et l’idée est de le faire de manière concertée’’, ajoute M. Fofana. 
 
 
OCCUPATION DES TERRES DES MAMELLES
 
Les habitants veulent stopper les fraudeurs
 
Le Collectif pour la sauvegarde de la colline et des terres du phare des Mamelles de Dakar a organisé, samedi, une visite guidée pour montrer l’ampleur de l’occupation anarchique de ce site. Au nom de son credo ‘’Touche pas aux terres du phare et de nos Mamelles !’’, il entend porter plainte contre X.   
 
EMMANUELLA MARAME FAYE
 
Les terres du phare des Mamelles de Dakar sont menacées de disparition. Ce point de repère pour la navigation aérienne et maritime fait l’objet de bien des convoitises. Pour preuve, au bas de la colline, à près de 500 m du phare, un gros creuset présageant des travaux de construction offre un spectacle peu reluisant. Cet endroit, il y a 50 ans, servait de lieu de sport à bon nombre de pilotes. ‘’C’est le weekend dernier, tard dans la nuit, qu’on a remarqué des gens creuser au bas du phare. Or, il est bâti sur un volcan et tous ces travaux peuvent à tout moment réveiller le système volcanique. Et on s’est rendu compte que la personne détient bel et bien un titre de bail datant du 9 avril 2020.
 
Comment, en pleine crise, on peut attribuer un titre foncier à quelqu’un pour venir carrément percer la colline du phare de Dakar ? Sur quelle base des Sénégalais, sans doute plus riches que d’autres, se permettent d’aller chercher un document les autorisant à faire ce qu’ils veulent ? Ceci, à nos yeux, constitue une catastrophe écologique, sociale et culturelle, et un délit politique, car on ne peut pas comprendre qu’un Sénégalais veuille construire au bas de ce phare qui joue à la fois un rôle de sécurité de navigation aérienne et maritime. Il joue également un rôle d’assouplissement d’un volcan’’, explique un membre du Collectif pour la sauvegarde des terres du phare, Mamadou Mignane Diouf. 
 
Sur place, de jeunes fleuristes affirment avoir été invités à plusieurs reprises à accepter 10 000 F CFA pour se taire. ‘’Franchement, je n’en veux pas à ces particuliers, mais aux gens de l’Administration qui ne respirent que l’argent et qui sont capables de tout pour s’enrichir’’, martèle l’un d’eux’’. Egalement de la partie, le général Mansour Seck (ancien chef d’Etat-major des armées) demande à ses camarades de ne pas s’arrêter à une simple dénonciation, mais d’aller plus loin.  ‘’Il y a sûrement des plans qu’on ne connait pas et il faudrait qu’on sache quel service a donné l’autorisation et qu’on ait accès à lui pour avoir tous les plans prévus dans les cinq années à venir. Déjà, la partie non visible est bouffée par la mer. Il ne nous reste que cette partie visible qui est aussi en train de disparaitre ; il ne reste plus rien. On ne voit même plus la mer’’, ajoute-t-il. 
 
Perché sur la plus haute des deux collines des Mamelles, en face du monument de la Renaissance africaine, le phare existe depuis 1864. Son faisceau est visible à 53 km et compte parmi les rares espaces verts non encore totalement détruits. Il constitue le premier point d’atterrissage d’Afrique de l’Ouest ouvert sur l’océan Atlantique. Le phare des Mamelles relève de la responsabilité du Port autonome de Dakar et fait partie du patrimoine historique. Son site géologique est inscrit parmi les sites et monuments historiques classés. Selon les géologues, aucun lotissement ne devrait être accordé sur les 500 m qui l’entourent.
 
Un littoral privatisé
 
A côté de cette colline et de ses terres, se pose le problème de l’occupation anarchique du littoral. Dans cette partie de Dakar, voir la plage devient un luxe, tant les bâtiments poussent comme des champignons. ‘’Nous, quand on venait habiter ici, dans les années 1990, il n’y avait rien. On venait à la plage à tout moment. Aujourd’hui, il y a des constructions partout, parce que les plus nantis veulent plus que la norme’’, lance, dépité, le professeur Bouba Diop, ancien Médiateur de l’université Cheikh Anta Diop. Sur les lieux, un grand nombre de maçons s’activent sur un chantier qui appartiendrait à l’entreprise EMG à pratiquement zéro mètre de la mer.
 
Cette visite dérange, car le responsable du chantier ne s’est pas fait prier pour attaquer les membres du collectif. L’homme n’a pas supporté les caméras des médias. Un corps-à-corps qui a failli virer au pire, surtout que les maçons se sont mêlés aux échauffourées. ‘’ L’essentiel a été fait. On a montré ce qu’on voulait que les gens voient. Ce sont des prédateurs de ce pays depuis des décennies !’’, s’exclame le Pr. Diop. De cet espace, la face cachée de la colline du phare est bien visible. Sa superficie est largement réduite, menaçant ainsi la stabilité du phare. ‘’L’érosion et les gens qui creusent tard dans la nuit pour récupérer les pierres volcaniques en sont la cause. Ces pierres se vendent très cher au Mali. Donc, les gens creusent pour s’enrichir en oubliant le risque que cela constitue que de toucher à un volcan’’, se désole Mignane Diouf.
 
Qui poursuit : ‘’Vous êtes témoins de ce qui se passe ici comme phénomène d’accaparement de notre plage. Elle est même privatisée et c’est anormal que des Sénégalais ne puissent pas entrer ici pour voir leur plage, uniquement parce que des chantiers privés sont installés et nous en empêche. On va faire arrêter tout cela. On ne peut pas accepter cela sur notre terre, que des individus viennent couper le drapeau du Sénégal et le mettent dans leurs poches, car c’est ce à quoi cette situation ressemble en coupant une partie du foncier sénégalais pour le donner à des particuliers. Cela ne peut pas continuer et vous êtes témoins devant l’histoire et nous allons nous battre jusqu’à la fin. On va décliner un plan d’action dans lequel nous allons chercher à savoir qui a donné à ces gens des autorisations. Dans quel pays sommes-nous ? Et même si cet acte était légal, c’est immoral de venir installer un château privé dans ces conditions au bord de la mer, empêchant aux Dakarois, aux Sénégalais de profiter de leur domaine maritime. C’est une plage publique qu’on veut privatiser. Ça doit s’arrêter et on va saisir qui de droit pour faire la lumière sur toute cette affaire’’. 
 
Il estime qu’autant de maisons ont été détruites à Tivaouane Peulh, Gadaye ou Tobago, celles de ce site volcanique doivent être également détruites. Et le président Macky Sall est mieux placé, de son point de vue, pour en connaitre les enjeux, vu qu’il a lui-même préparé son mémoire sur ce site pour devenir géologue. ‘’Cette situation est constatée sur tout le littoral du Sénégal où, pendant presque 15 ans, de hautes personnalités de l’Etat, en raison de leurs faveurs et de leur position politique ou sociale, sont venues s’accaparer du littoral et ont construit pieds dans l’eau.  Nous allons porter plainte contre X pour que la justice sénégalaise nous aide à savoir qui sont les coupables et qui sont les facilitateurs. On nous a cité plusieurs noms d’anciens et actuels ministres, des élus locaux. On va faire la lumière sur tout cela pour que le littoral soit restitué aux Sénégalais. Il peut même servir de centre pour les étudiants’’, poursuit-il. 
 
Selon l’auteur du livre ‘’Problématique de la citoyenneté au Sénégal’’, ce problème n’est que la conséquence de l’indiscipline générale notée au Sénégal. ‘’Ces questions de discipline, de fraude, de construction illégale, d’occupation des terres sans autorisation par des personnes riches avec la complicité de l’Administration sont vraiment regrettables. Et les autorités ont laissé faire à telle enseigne que tout le littoral est occupé. Aucun Sénégalais ne peut aujourd’hui accéder à la plage sans passer par un domaine privé. Nous voulons que ça cesse, qu’on laisse les Sénégalais bénéficier des plages comme dans tous les pays du monde. Comment un pays peut avoir d’aussi belles plages, un littoral exceptionnel et que ses citoyens ne puissent pas y accéder ? Cela rejoint l’indiscipline générale qui prévaut au Sénégal. Tant que nous ne serons pas disciplinés, que nous ne respecterons pas les règles de conduite et l’intérêt général, ces problèmes persisteront’’, affirme Mandiaye Gaye.
 
EMMANUELLA MARAME FAYE

 

 

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