Publié le 16 Dec 2021 - 21:45
PARTAGE DES RESSOURCES PETROLIERES ENTRE LE SENEGAL ET LA GUINEE-BISSAU

Le Président Embaló dans la tourmente

 

Si le Sénégal joue la transparence dans les discussions sur le partage des ressources maritimes dans la Zone économique commune (Zec) avec la Guinée-Bissau, on ne peut pas en dire de même à Bissau. D'ailleurs, entre le président bissau-guinéen, Umaro Sissoco Embaló, son Premier ministre Nuno Gomes Nabiam et les députés de leur pays, c’est la discorde totale sur la supposée signature d’un accord de partage des ressources pétrolières dans la Zec. La confusion part d’un paragraphe du communiqué du Conseil des ministres du Sénégal, tenu le 24 novembre dernier, dans lequel il est mentionné l’examen et l’adoption du projet de loi autorisant le président Macky Sall à ratifier l’Accord de gestion et de coopération entre le gouvernement du Sénégal et celui de Guinée-Bissau signé le 14 octobre 2021.

 

La presse bissau-guinéenne flaire un coup fourré et demandait, depuis plusieurs jours, dans quelles circonstances un accord de partage des ressources pétrolières a été signé avec le Sénégal et par quelles autorités bissau-guinéennes. Sous ce feu nourri de questions des médias locaux, le secrétaire exécutif de l'Agence de gestion et de coopération, Inussa Baldé, a été contraint de tenir une conférence de presse et de vendre la mèche : "Un accord a bien été signé par le président Umaro Sissoco Embaló", a affirmé Inussa Baldé, sans donner plus de détails.

 Ainsi, en visite à Biombo, à Bissau ce 2 décembre dernier, le président Embaló a été interrogé par les journalistes sur la signature supposée de l’accord. Embaló a nié avoir signé un quelconque document avec le Sénégal. Mais il a, tout de même, rappelé qu’il lui revient l’autorité exclusive de signer tout accord avec le Sénégal, en vertu des pouvoirs que lui confie la loi bissau-guinéenne.

Le Premier ministre Nuno Nabiam charge le président Embaló

Mais le vendredi 10 décembre dernier, le Premier ministre Nuno Gomes Nabiam a solennellement confirmé au Parlement de Guinée-Bissau l'existence d'un accord pétrolier avec le Sénégal. Il ne s’est pas arrêté là ; il a critiqué le fait que l'accord ait été négocié par le président Umaro Sissoco Embaló sans l'implication du gouvernement bissau-guinéen.

"En fait, je suis bien au courant de l'existence d'un accord pétrolier entre la Guinée-Bissau et le Sénégal", a déclaré Nuno Gomes Nabiam aux députés. Selon le chef du gouvernement bissau-guinéen, un préaccord du document final dont il parle, lui a été remis par la ministre bissau-guinéenne des Affaires étrangères Suzi Barbosa, le 26 octobre 2021, "dans une enveloppe estampillée «Confidentiel»".

"L'accord a été signé par le président de la République [Umaro Sissoco Embaló]. Le gouvernement n'était pas impliqué. Je pense que les choses n'ont pas été traitées comme elles auraient dû l'être. Qui devrait signer cet accord ? C'est le gouvernement ! Le Parlement ratifie et le président promulgue. Mais les choses ont été traitées de manière tout à fait opposée", a déclaré le Premier ministre bissau-guinéen aux députés de son pays.

S'engagent à rendre le document du préaccord disponible aux députés, le Premier ministre Nabiam a ajouté : "Dans le document que je vais remettre au Parlement, il est stipulé que 70 % de ressources pétrolières sont pour le Sénégal et 30 % pour la Guinée-Bissau", a renseigné Nuno Gomes Nabiam. Avant de déclarer que, du point de vue du gouvernement qu'il dirige, la répartition "ne peut pas être établie comme ça, car il est prouvé que le pétrole mentionné dans l'accord est du côté de la Guinée-Bissau. Nous avons encore besoin de conseils techniques, mais nous pouvons déjà dire que le pétrole est du côté de la Guinée-Bissau. Au nom de la solidarité qui a toujours marqué notre relation avec le Sénégal, l'accord devrait être de 15 % pour le Sénégal et de 85 % pour nous", a déclaré le Premier ministre.

Umaro Sissoco Embaló réplique et nie

Dans la foulée de ces déclarations chocs, le lendemain, le président de Guinée-Bissau a apporté la réplique, à l'aéroport de Bissau, quelques instants avant de se rendre au Nigeria où il devait participer à un sommet des dirigeants des pays de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). Une nouvelle fois, Umaro Sissoco Embaló a nié avoir signé un quelconque accord de partage du pétrole avec le Sénégal, contrairement aux affirmations de son Premier ministre. "Pour l'instant, il n'y a pas d'accord pétrolier entre la Guinée-Bissau et le Sénégal. Il faut que les gens sachent étudier ce qu'ils lisent pour pouvoir l'interpréter. Les mots ont des sens différents en français et en portugais. Il y a la prospection et l'exploration pétrolière, et nous n'en sommes pas encore là", a déclaré Embaló.

Puis, le chef de l’Etat a expliqué qu’il existe un accord avec le Sénégal, mais dans le cadre de l'Agence de gestion et de coopération (AGC) qui gère la Zone économique commune aux deux pays (Zec), à travers leur frontière maritime. "La Guinée-Bissau n'a pas de pétrole, pour l'instant. Mais j'aimerais qu'elle en ait, car cela transformerait ce pays en un Dubaï", a poursuivi le président bissau-guinéen, soulignant qu'il est un "homme sérieux et honnête’’. 

‘’L'accord signé avec mon frère Macky Sall, qui donne 30 % à la Guinée-Bissau, ne concerne pas le pétrole. Nous sommes déjà allés devant toutes les juridictions internationales et nous avons perdu", a ajouté Umaro Sissoco Embaló, se référant au fait que la Guinée-Bissau a perdu l’arbitrage sur les différends concernant le partage des ressources pétrolières potentielles dans la zone maritime commune avec le Sénégal.

Ensuite, le chef de l’Etat a indiqué avoir déjà communiqué au président du Parlement de Guinée-Bissau, Cipriano Cassamá, la possibilité que le secrétaire exécutif de l'Agence de gestion et de coopération, le Guinéen Inussa Baldé, réponde aux députés "pour leur dire qu'il n'y a pas d'accord pour partager le pétrole" avec Sénégal.

Les députés en phase avec le Premier ministre Nabiam contre Embalo

Actuellement en session ordinaire, les députés bissau-guinéens ont à nouveau interrogé le Premier ministre Nuno Nambiam, le sommant de dire toute la vérité sur le sujet. C'est ainsi que prenant une nouvelle fois le contrepied du président Umaro Sissoco Embaló, Nuno Nabiam réaffirme aux députés qu’il existe bel et bien un accord signé entre Umaro Sissoco Embaló et son homologue sénégalais Macky Sall sur le partage des ressources de la zone commune.

Le document remis le 26 octobre 2020 par le chef de la diplomatie du pays, Suzi Barbosa, au Premier ministre Nuno Gomes Nabiam dans une enveloppe confidentielle, a alors été partagé aux députés qui, après lecture du document, ont exigé un vote pour annuler la signature par le président Umaro Sissoco Embaló.

Le vote a eu lieu, le mardi 14 décembre dans l’après-midi. Et sur les 72 députés présents à l'hémicycle, 70 députés ont voté en faveur de l'annulation de la signature apposée par Umaro Sissoco Embaló dans l'accord signé avec Macky Sall. Les deux autres députés restants se sont abstenus de choisir leur camp.

Pour rappel, après plusieurs accrochages armés avec pertes de vies humaines et un arbitrage international coûteux et laborieux, la Guinée-Bissau et le Sénégal ont décidé de forger un consensus sur la gestion des ressources communes aux deux pays sur leur frontière maritime commune. En octobre 1993, les deux pays ont créé l'Agence générale de coopération entre la Guinée-Bissau et le Sénégal sur la Zone économique commune (Zec).

Arrivé au pouvoir en juin 2014, l'ancien président José Mário Vaz dénonce les termes de l'accord de partage des ressources de la Zone économique commune. Il crée alors une commission nationale de négociation pour avancer l'agenda de son pays. Lors de plusieurs réunions avec le Sénégal, cette commission bissau-guinéenne conteste les offres de la partie sénégalaise d'un partage (50 % - 50 %), si le pétrole se trouve au-dessus du 240e parallèle, donc en Guinée-Bissau.

Les bissau-guinéens font une contreproposition selon laquelle, si le pétrole est découvert au-dessus de 240º, la Guinée-Bissau aurait 85 % et le Sénégal 15 %. Jusqu'au départ du pouvoir de José Mario Vaz, en février 2020, aucun consensus n'avait été trouvé avec le Sénégal.

JEAN-BAPTISTE SAGNA (CORRESPONDANCE PARTICULIERE)

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