Publié le 8 May 2012 - 10:01
PAUL BIYA

Demi-dieu du Cameroun ?

 

 

L’une des prises les plus fameuses de l’opération de lutte contre la corruption au Cameroun a été acquitté par la justice. Mais, le président Paul Biya n’est pas pour autant décidé à arrêter la machine infernale. L’acquittement, le 03 mai, de Jean-Marie Atangara, l’une des plus grosses prises de l’opération de lutte anti-corruption au Cameroun était attendue par les observateurs les plus attentifs. Le journal DIkalo l’avait même annoncé, dès le 20 avril. Seulement, cette décision qu’une partie de l’opinion présente comme étant aux ordres, ne signifie ni que le pouvoir a perdu la main, ni qu’il a lâché du lest. Il ne s’agit rien moins que de signaux envoyés à l’opinion publique internationale, de petites carottes pour récompenser les détenus les plus disciplinés et leur rappeler qu’il n’y a qu’un seul dieu au Cameroun et tous, en deçà, sont ses serviteurs. Les amis d’Atangana Mebara, ancien secrétaire général de la Présidence, en première ligne desquels le cardinal Christian Tumi (prix de l’intégrité 2011 de Transparency International, et ses conseils dont fait partie le brillant universitaire et avocat talentueux Claude Assira, sont, certes, les héros de cette conclusion partielle. Mais, Paul Biya semble avoir décidé de ne rendre compte à Dieu qu’une fois au ciel. Et par ailleurs, si donc la justice est corrompue, comme l’ont régulièrement établi des baromètres internationaux, le talent des soutiens de Jean-Marie Atangana Mebara ne suffit pas, à lui tout seul, à expliquer cet échec calculé du ministère public camerounais.

 

Illusions collectives

La décision de blanchir un des anciens pontes du régime, accusé de détournements de fonds publics s’appuie sur un certain nombre d’illusions. Des illusions qui tiennent de la surconsommation des idées distillées par une opposition faible et une presse insuffisante. En dehors du Social Democratic Front (SDF) de John Fru Ndi, le principal parti d’opposition, aucun autre parti politique que le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC, au pouvoir) n’est capable de réunir une masse critique respectable. Des illusions qui tiennent enfin de la qualité relative des médias. Si les journalistes au Cameroun sont souvent très informés, ils sont souvent mal informés, et de ce fait souvent incapables de proposer des grilles de lecture suffisamment intéressantes au public. Tous les milliardaires créés par l’Etat-RDPC ont tendance à être perçus comme des «voleurs». N’ayant ni bénéficié d’un héritage familial, ni gagné la Champions League avec Samuel Eto’o, le doute est à peine entretenu sur leur présumée culpabilité. On ne leur pardonne pas, sauf quand il faut profiter de leurs largesses régulièrement retransmises sur la télévision publique, de s’être enrichis si vite dans un pays de plus en plus miséreux. Pourtant, au Cameroun, la culture d’entreprise est à la sacralisation des chefs et des responsables. Tous les dirigeants et responsables bénéficient de toutes sortes d’avantages légaux, paralégaux, coutumiers, susceptibles d’expliquer les embourgeoisements les plus fulgurants. Tout «chef» reçoit régulièrement des cadeaux de ses subalternes, cela est mis sur le compte des traditions séculaires d’hospitalité et de vénération du supérieur. Dans ce contexte, l’article 66 de la Constitution du 18 janvier 1996, dont l’opposition réclame à cor et à cri les textes d’application, ne règlera rien, si ne l’accompagne pas un arsenal de mesures visant à assainir les mœurs. On multiplie des mécanismes, mais les mentalités demeurent. Comme si les lois et les instruments juridiques garantiraient par leur fait même la restauration de la morale publique.

 

La démocratie de condescendance

Il est un fait. Le président camerounais fait et défait les hommes. La démocratie, selon lui, n’est possible que de cette manière. Il donne et reprend. Le grand ménage qu’il fait (il faut bien déblayer pour reconstruire), c’est à son successeur que cela profitera, encore faudra-t-il que soient levées les hypothèques (suspicion, désirs de règlements de compte, etc.) qui grèvent le système tout entier, pourri jusqu’à la moelle. Ceux qui entourent monsieur Biya, ceux dont la profession est d’être intelligent, ne comprennent rien au personnage. Marafa Hamidou Yaya, par exemple, ancien secrétaire général de la présidence et donc, ancien faiseur de roitelets, est écroué à la prison centrale de Yaoundé, depuis le 16 avril 2012, pour détournement de fonds dans le cadre de l’affaire Albatros (renouvellement manqué de l’avion présidentiel). Contrairement à tous ceux qui l’ont précédé dans cette prison, pour cette même affaire Albatros, il a décidé d’attaquer frontalement le président Biya, en le présentant à ses compatriotes comme retors et lâche, dans une lettre ouverte où le vice le dispute à son arrogance petite-bourgeoise, au point pour le président perpétuel du Cameroun de n’attaquer jamais que de biais. En un mot, l’ex-ministre Atangana Mebara, en se faisant acquitter, a gagné le droit de faire encore parler de lui. Il n’est pas sûr, en revanche, que cela change fondamentalement son quotidien ni son avenir. Avec Titus Edzoa, autre ancien faiseur de roitelets près de Biya, qui croupit toujours en prison, on a vu que le rouleau compresseur peut se révéler implacable. De ce point de vue, cet acquittement permet surtout de faire oublier le relatif malaise suscité par la lettre ouverte de Marafa. Il ne signifie rien, tant qu’il est sous les verrous, tant que n’est pas lavé son honneur. Et ça n’est pas demain la veille que cela se fera. Sauf, bien sûr, ultime décret de sa «majesté» Biya, dont les voies, au Cameroun, sont insondables.

(SlateAfrique)

 

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