La hantise des assureurs sénégalais

Dans l’exploitation du pétrole et du gaz, le Sénégal risque de n’y voir que du feu. En attendant 2021 (début de l’exploitation), certains acteurs s’organisent pour voir comment profiter des grosses retombées susceptibles d’être générées par le secteur. C’est le cas des assureurs en conclave depuis hier pour cogiter sur les perspectives de production pétrolière et gazière.
Ils semblent prêts à bouffer du lion, à se jeter dans le marché des hydrocarbures qui les échappe jusque-là. Eux, ce sont les assureurs sénégalais. Armés d’espoir, ils cogitent depuis hier sur la meilleure stratégie à mettre en œuvre pour bénéficier au maximum des ressources du sous-sol de notre pays. Le gaz et le pétrole, ils l’ont en ligne de mire. Mais, le moins que l’on puisse dire est que les choses semblent mal parties. Les nationaux sont, pour le moment, à la traine. Sur les 14 puits qui ont été jusqu’ici forés dans le pays, aucune compagnie nationale n’a vu les fruits. Pour éviter la même déconvenue dans la phase d’exploitation, les locaux ont pris les devants. Ils parlent des ‘’enjeux stratégiques et économiques de l’assurance et de la réassurance des risques pétroliers’’.
Différents écueils ont été soulevés par les experts qui se sont succédé au micro. D’abord, dans le code pétrolier encore en vigueur, il n’y a aucune disposition dédiée à la branche importante des assurances. Une anomalie à corriger dans le cadre de la révision en cours du code, estiment les spécialistes. Mais comment ? Si l’on sait qu’en ce moment les véritables acteurs ne sont pas présents dans les organes de réflexion mis en place par le gouvernement pour proposer des solutions dans la gestion des ressources. Le Cospetrogaz en est une parfaite illustration. D’où la grande interrogation de l’expert pétrolier Ibrahima Bachir Dramé. ‘’Le président de la République, dit-il, a récemment annoncé l’ouverture du Cospetrogaz à la société civile. Mais de quelle société civile s’agira-t-il ?’’.
Tel est un mystère à percer dans les plus brefs délais, selon certains participants. C’est que pour M. Dramé, il faut bien faire la différence entre ‘’société civile politique’’ et ‘’société civile professionnelle’’. La première fait du grand bruit, mais ne connait pas les véritables enjeux. L’expert préconise, à ce titre, qu’il faudrait bien que les ‘’sachant’’, les professionnels, soient dans les différentes instances de décision pour avoir leur mot à dire dans la gouvernance des ressources du sous-sol.
Présent à la rencontre, le député Benno Bokk Yaakaar, Cheikh Seck, ne dit pas autre chose. Aux hommes de l’art, il rappelle : ‘’Vous n’êtes pas sans savoir que ce qui se fait sans vous le sera contre vous. Il faut donc vous organiser pour prendre part activement à ce processus. Sinon, demain, quand tout sera mis en place, vous ne pourrez absolument rien faire.’’ Puis il avance au bonheur de la salle : ‘’C’est bien ce que vous avez fait aujourd’hui. Mais il faut aller encore plus loin. Allez voir les députés, organisez des ateliers pour les sensibiliser sur ces questions qu’ils ne maitrisent pas forcément…’’
Pour le moment, on est loin d’une implication active des assureurs locaux. Certains ont donné l’exemple de la phase d’exploration. Des intérêts importants étaient en jeu. Mais aucune entreprise sénégalaise n’a pu en bénéficier, si l’on en croit les experts. Dans la phase d’exploitation, certains assureurs craignent de n’y voir que du vent. Et pourtant, ce n’est pas l’expertise qui manque. Aux spécialistes qui relevaient les limites financières des compagnies d’assurance sénégalaises, les assureurs bottent en touche et rétorquent qu’ils ont suffisamment les moyens et l’expertise pour faire face. Car, au-delà des opérateurs qui sont des majors, il y a le parapétrolier et diverses autres activités connexes qu’ils pourraient investir. Adama Ndiaye est le président de la Fédération des sociétés d’assurance de droit national africain. Il précise : ‘’Nous sommes un peu en retard. Maintenant, il faut insister pour être présent au niveau des instances. Il faudra aussi s’organiser pour mobiliser les fonds, parce que ce marché requiert d’importants investissements.’’
Au cours de cette rencontre de haut niveau, deux termes ont, à maintes reprises, été évoqués. Et il ressort des interventions qu’ils ne rassurent guère les acteurs. Il s’agit, d’une part, des captives. D’autre part, du fronting. Ces deux notions étant intimement liées. De quoi s’agit-il ? En fait, la captive est une société d’assurance, la plupart de réassurance, qui appartient à un groupe industriel. Total, par exemple, a sa captive, donc sa société d’assurance logée en Suisse, qui est un paradis fiscal. Comme au Sénégal la législation en vigueur impose la souscription d’une police d’assurance, la multinationale va s’organiser pour se faire assurer par sa propre filiale. Face à l’autre obstacle relatif à l’obligation de se faire assurer par une société agréée, certaines multinationales vont travailler, par exemple, avec un assureur local qui, en réalité, n’assure rien du tout, explique un spécialiste. Finalement, l’assuré devient son propre assureur. La multinationale mange ainsi le beurre et l’argent du beurre.
Loin de s’avouer vaincues, les compagnies sénégalaises s’engagent d’ores et déjà à mutualiser leurs forces pour renverser la tendance. Elles espèrent un appui de l’Etat pour atteindre ces objectifs qui profiteront à toute l’économie nationale.
MOHAMADOU MOUSTAPHA NOBA (PRESIDENT DE L’ASSOCIATION DES ASSUREURS SENEGALAIS) ‘’Les polices d’assurances de ces grands projets ne doivent pas être en infraction avec la réglementation’’ Au-devant de ce combat stratégique, il y a les présidents de l’Association des assureurs sénégalais, Mouhamadou Moustapha Noba, et son compatriote et non moins président des Assureurs africains Adama Ndiaye. M. Noba : ‘’La solidarité, âme de notre métier, a conduit tous nos membres, qui s’interdisent de traiter des affaires d’assurances ou de coassurances avec des sociétés non membres, de veiller à ce que toutes les polices d’assurances de ces grands projets ne soient pas en infraction avec la règlementation.’’ Mais cela ne saurait suffire pour exister dans le milieu complexe des hydrocarbures. Selon le président de l’Aas, il y a au Sénégal tous les ingrédients nécessaires pour jouer un rôle actif dans le marché du pétrole et du gaz. Il y a, énumère-t-il, ‘’le savoir-faire’’, le ‘’capital humain’’… En sus de ces éléments, les compagnies, de manière graduelle, renforcent leur marge de solvabilité. Et au-delà du Sénégal, les membres de l’Aas peuvent également compter sur ‘’l’appui fécond des partenaires réassureurs, notamment la Senre du Sénégal et Africare, premier réassureur africain’’. Cet appui, ajoute-t-il, ‘’constitue le gage de réelles capacités effectives d’absorption et de gestion crédible des grands risques spéciaux localisés au Sénégal, notamment ceux du secteur minier’’. Comme contraintes objectives pour les compagnies nationales, il a surtout été évoqué les besoins financiers énormes dans le secteur. Pour l’expert pétrolier Bachir Dramé, la bataille fondamentale qu’il faudra gagner pour les assureurs locaux, c’est celle du ‘’Local Containt’’ ou ‘’contenu local’’. ‘’Cette bataille est fondamentale’’, renseigne-t-il avant d’ajouter : ‘’L’Etat doit définir la part réservée aux entreprises sénégalaises dans le marché du pétrole et du gaz.’’ Un marché évalué à 40 milliards de francs Cfa, d’après Petrosen. Certains n’ont d’ailleurs pas manqué de s’interroger sur ce montant qu’ils trouvent largement sous-évalué. Le consultant explique : ‘’Dans le milieu des hydrocarbures, il y a des enjeux financiers énormes, des risques du début à la fin. Il faut des assureurs pour accompagner tout le processus. C’est pourquoi ce combat des assureurs est un combat légitime.’’ L’Etat est averti. Le mal est dans le fronting. |
Mor Amar