Publié le 30 May 2018 - 23:40
PROCES IMAM NDAO

Me Alassane Cissé fustige une description ‘’diabolisante’’ de Makhtar Diokhané

 

Après le réquisitoire à charge du procureur qui a requis les travaux forcés à la perpétuité contre son client, Me Alassane Cissé est passé hier à la contre-offensive. Il a lavé à grande eau Makhtar Diokhané alias Abu Anwar, présenté comme l’un des cerveaux dans l’affaire Imam Ndao. Me Cissé a surtout déploré une ‘’présentation diabolisante’’ de son client.  

 

Présenté comme l’un des cerveaux de l’affaire imam Ndao, Makhtar Diokhané alias Abu Anwar encourt les travaux forcés à la perpétuité. Le substitut Aly Ciré Ndiaye veut que l’accusé soit reconnu coupable d’association de malfaiteurs en relation avec des réseaux terroristes, complicité d’actes de terrorisme, apologie du terrorisme, financement du terrorisme et blanchiment de capitaux. Hier, son avocat Me Alassane Cissé s’est évertué, pendant de longues heures, à démonter toutes les accusations une à une. Car il considère ‘’qu’une forte atteinte a été portée à la vérité’’ des incriminations reprochées aux accusés.

‘’On parle de faits qui se sont déroulés au Nigeria sans que les enquêteurs y soient allés. On les a diabolisés et terrorisé la population, en disant qu’ils sont des terroristes. Or, c’est loin d’être vrai’’, a martelé Me Cissé. Concernant son client Makhtar Diokhané alias Abu Anwar, le conseil s’étonne que les témoignages positifs recueillis auprès de l’entourage de ce dernier n’aient pas été mentionnés par les gendarmes dans le procès-verbal. Ces derniers, accuse-t-il, ont préféré ‘’une sinistre présentation’’ de Makhtar Diokhané et l’ont dépeint comme une ‘’personne diabolisante’’ pour l’enfoncer davantage.

Toujours sur la personnalité de l’accusé, il a fait savoir que le Abou Anwar dont parle le procureur est différent du Abu Anwar dont s’est affublé Makhtar Diokhané. A l’en croire, les deux n’ont pas la même trajectoire et n’ont rien à voir. ‘’S’il fallait se contenter de Google, on aurait découvert une dizaine de personnes avec ce surnom’’, a-t-il souligné, tout en indiquant qu’il y a même faute sur l’écriture, car pour son client, il s’agit d’Abu Anwaar, une forme pluriel signifiant les lumières.

Insécurité judiciaire

Revenant sur les faits, Me Cissé s’est demandé quelle partie du dossier les décrit. ‘’J’avais même pensé qu’on ne nous avait pas remis l’intégralité du dossier. Le juge d’instruction n’est jamais revenu sur les incriminations graves, mais s’est contenté de copier le réquisitoire du Parquet’’, a lâché le conseil. Et de lancer avec dépit : ‘’On ne peut pas charger lourdement des personnes et plusieurs mois après, venir remplacer un réquisitoire par une ordonnance.’’ A ses yeux, l’accusé Alioune Badara Sall (poursuivi pour blanchiment à cause d’un contrat de construction le liant à Diokhané) est l’un des exemples les plus illustratifs de l’insécurité judiciaire à laquelle la Chambre criminelle spéciale doit être le rempart.

S’agissant du délit de complicité d’acte de terrorisme, Me Cissé a lavé à grande eau Makhtar Diokhané, arguant qu’il n’est pas membre de Boko Haram. Mais il a juste reçu une proposition de contrat de la part d’une personne (un certain Abu Said, Tchadien basé en Arabie Saoudite) qui n’est pas accusée d’être membre de Boko Haram. Il s’agit d’un contrat de 1 800 Euros (11,7 millions F CAF) pour aller enseigner pendant un an au Nigeria. Outre le contrat, le conseil a évoqué le fait que l’accusé ait voyagé seul et n’ait convoyé aucun de ses co-accusés ayant séjourné au Nigeria.

Mieux, Me Cissé est convaincu que si son client était un terroriste, la cellule antiterroriste nigérienne ne l’aurait pas relâché après son arrestation. Au beau milieu de sa plaidoirie, l’avocat a fait projeter un film sur les bastions de Boko Haram pour prouver que Makhtar Diokhané n’a pas séjourné dans le fief des hommes d’Aboubakar Shekau. A la suite du film, il dira : ‘’Les véritables terroristes, s’ils existent, ne sont pas dans cette salle car ici, il n’y a que des personnes qui ont voulu parfaire leur religion. C’est de la pure vindication, en demandant la condamnation pour complicité d’acte de terrorisme, car le dossier a été gonflé. Mais à la barre, il n’y a rien eu.’’  

En fait, pour Me Cissé, quand on parle d’acte de terrorisme, il faut un théâtre d’opérations et des actes bien identifiés et dans le temps. ‘’Au-delà de son invalidité, le contenu du PV n’établit pas les infractions’’, a conclu le défenseur avant de passer à l’apologie du terrorisme.

Me Cissé dénonce une précipitation

‘’Je veux dénoncer la précipitation avec laquelle on a pris ce délit d’apologie pour le plaquer dans cette affaire et l’appliquer aux accusés’’, a-t-il martelé d’emblée.  A ce propos, il a soutenu que le législateur doit avoir un certain recul par rapport à la convocation de certains textes. Car, selon son argumentaire, l’apologie est un délit qui pose énormément de difficulté en termes d’élément moral. ‘’Dans l’esprit du législateur, en tant que délit de droit commun, l’apologie du terrorisme doit être appliquée à des personnes profondément sûres de ce qu’elles disent’’, a expliqué Me Cissé qui rappelle que l’apologie était un délit de presse qui a été inséré, en novembre 2015, dans le code pénal français, suite à l’attaque de Charlie Hedbo.

Ces précisions faites, la robe noire est revenue sur le projet d’implantation d’un Etat islamique au Sénégal diffusé à travers l’application ‘’Telegramm’’. Me Cissé a rectifié, en précisant que le message de Daesh n’était pas destiné à son client. Il s’y ajoute que ledit message était accessible à tous les membres du forum. Tout en dénonçant une confusion sur la personne de l’expéditeur, il a précisé qu’Abu Soib est différent d’Abu Said, employeur de Makhtar Diokhané. Ce dernier, a-t-il indiqué dans le même ordre d’idées, n’a aucune relation avec Abu Hamza Ndiaye, auteur d’une publication relative à des menaces proférées contre le président de la République et l’armée. Ladite publication est à la base de cette affaire. Au-delà de ces arguments, Me Cissé a relevé que son client n’a jamais été entendu sur les ondes d’une radio pour faire l’apologie du terrorisme ou confectionner des tracts dans ce sens.

Me Cissé aux juges : ‘’En rendant votre décision…’’

Abordant le délit de financement du terrorisme et blanchiment, Me Cissé a laissé entendre que c’est de manière surabondante que ces infractions ont été collées au maître coranique. Aussi a-t-il reproché au ministère public de se baser sur une audio imputée à Makhtar Diokhané dans laquelle il parlait d’argent à remettre à des ‘’mbokk’’ (frères). L’auxiliaire de justice a confirmé les dénégations de son client qui a réfuté la paternité de la conversation, en rappelant que ce dernier était en détention au Niger.

Au contraire, il estime que l’accusé a été sincère, lors de l’enquête, car s’il n’avait pas fourni des explications sur le financement de son daara, les enquêteurs auraient peiné. ‘’Ceci prouve que l’argent (les 65 000 Euros reçus de Moustapha Diop) a une origine licite’’. S’agissant des 3 000 Naïras (6 500 Euros), Me Cissé a déclaré que l’accusé ne pouvait pas moralement refuser l’argent reçu ‘’gracieusement’’ d’Abubakar Shekau, après la libération des présumés djihadistes sénégalais. Il considère qu’un tel montant ne peut pas financer le terrorisme. ‘’Si on devait financer le terrorisme avec une somme aussi modique, il ne réussira pas à s’implanter au Sénégal’’, a fulminé le conseil.

Me Cissé a également balayé d’un revers de main le délit d’association de malfaiteurs. Pour lui, non seulement ce délit est convoqué pour charger au maximum les accusés, mais également, c’est une infraction fourre-tout’’ qu’on ne doit pas prendre avec légèreté. D’après son raisonnement, cette prévention serait établie si Diokhané avait posé des actes préparatoires ou un acte même, et s’il y avait une entente d’un groupement.

En somme, Me Alassane Cissé dit n’avoir vu aucun élément permettant d’établir la moindre des infractions retenues contre Makhtar Diokhané. ‘’Aucun élément à charge n’a été démontré contre lui au point qu’il puisse être condamné à la perpétuité. Je pense que votre juridiction n’aura aucune difficulté à l’acquitter’’, a lancé l’avocat au président Samba Kane et à ses quatre assesseurs. Avant de conclure : ‘’En rendant votre décision, regardez ce que le pays attend de vous, notamment une exemplarité en terme de lucidité et de sagesse.’’

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ME SENY NDIONE, AVOCAT D’ABU KHALED

‘’Le Sénégal a arrêté ses citoyens, alors qu’il logeait des terroristes libyens’’

Me Sény Ndione est contre la peine des travaux forcés à perpétuité requise par le Parquet contre son client, Cheikh Ibrahima Ba alias Abu Khaled. Il est foncièrement contre la procédure. 

Conseil de Cheikh Ibrahima Ba, alias Abu Khaled, Me Sény Ndione est formel. Il juge que cette procédure dirigée contre son client est nulle et non avenue. Au demeurant, ‘’quand on doit condamner une personne à une peine aussi lourde que la perpétuité, on doit respecter ses droits’’. Or, ceux de l’accusé ‘’ont été violés’’, car ayant été entendu sans la présence de ses avocats, lors de l’audience de première comparution. Au-delà des vices de forme, la robe noire a décelé des failles dans l’enquête. Celle-ci, a-t-il déploré, est partie de 2015 avec un message publié sur Facebook, mais on est remonté jusqu’à 2012 pour le relier à l’affaire de Diourbel (attaque d’une mosquée par des fidèles mourides qui aurait poussé certains des accusés à se radicaliser). Non seulement son client n’a participé à aucune réunion ayant suivi cette attaque et n’était pas parti au Nigeria pour faire le djihad - encore qu’au Nigeria, la preuve de l’existence d’actes de terrorisme n’a pas été rapportée, si tant est que ces faits sont avérés -, mais Me Ndione est convaincu les accusés seraient jugés au Nigeria où les faits sont censés avoir eu lieu.

 ‘’Ce n’est pas parce qu’on a été au Nigeria qu’on a forcément combattu aux côtés de Boko Haram. Cheikh Ibrahima Ba était un simple apprenant au Nigeria. Il n’est pas un djihadiste. Pas une seule fois, il n’a eu à participer aux entraînements ni conduit un char’’, a déclaré la robe noire. Il a ajouté qu’il ‘’n’y a aucun acte matériel qu’on peut lui imputer de nature à engendrer des violences ou des morts’’. Sans compter qu’aucun des co-accusés de son client n’a eu à avouer que celui-ci a appris le maniement des armes.

Soutenant que le seul tort d’Abu Khaled, c’est de vouloir apprendre le Coran, il a également reproché au Parquet d’avoir invoqué une résolution de l’ONU pour démontrer que Boko Haram est un regroupement terroriste or, ladite résolution parle d’autre chose. Fort de ces arguments, il a invité la Chambre criminelle spéciale à acquitter son client ainsi que tous les accusés. Car il ne comprend pas qu’au moment où le Sénégal arrêtait ses compatriotes, il accueillait deux terroristes libyens de Guantanamo en les logeant dans des maisons de luxe.

En avril 2016, le Sénégal avait hébergé Omar Khalifa Mohammed Abu Bakr et Salem Abdul Salem Ghereby, deux artificiers d’Al Qaïda et détenus de la prison militaire américaine de Guantanamo. A l’époque, le Président Barack Obama avait adressé une correspondance au Président sénégalais pour le remercier ‘’vivement’’ pour sa contribution aux efforts qu’il mène en vue de la fermeture de Guantanamo.

FATOU SY

 

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