Les entrailles d’un département comateux

Il y a un an, Ranérou, le département le plus déshérité du pays, décidait de faire sa mue, en renversant tous ses élus à la tête des collectivités. Aujourd’hui, malgré une esquisse des nouveaux élus, les populations tardent à sentir un mieux-être. Du déficit d'infrastructures au difficile d’accès à l’eau potable, les problèmes restent toujours insolubles.
Plus de 200 km séparent la commune de Lougueré Thioly de la capitale régionale Matam. Pour les populations de cette localité du département de Ranérou, voyager vers Ourossogui, la ville économique de la région, est loin d’être une entreprise aisée. C’est une longue piste latéritique qui relie le gros village de Lougueré Thioly à la route nationale. Ici, le seul poste de santé qui polarise les villages et hameaux périphériques ne dispose pas d’ambulance pour l’évacuation des malades. C’est le plus souvent sur charrettes que les malades sont évacués vers la structure sanitaire de référence.
L’infirmier-chef de poste, Kourouma, est un agent impuissant face à ces manquements fatals à la vie des habitants. ‘’Nous travaillons dans des conditions extrêmement difficiles. Il n’y a quasiment rien dans ce poste de santé. Nous n’avons pas d’ambulance pour évacuer nos malades. On utilise des charrettes sur une piste cahoteuse pour transférer les malades dont l’état de santé s’est gravement détérioré’’, confie l’ICP.
Pas d’ambulance, les malades évacués à côté des moutons
En effet, faute de moyens de locomotion mis à la disposition de la structure sanitaire, les populations doivent se débrouiller, toutes seules, pour évacuer leurs malades. Ceux qui ont les moyens prennent les voitures ‘’Wopou Yaha’’. Ces véhicules ont la particularité d'entasser chèvres, moutons et leurs propriétaires dans un petit espace. ‘’Parfois, les malades sont évacués à bord d’un ‘Wopou Yaha’. Le chauffeur aménage un espace à côté des ruminants pour y coucher le malade. Vous voyez que c’est des conditions impossibles, mais c’est comme ça que les patients sont transférés vers les centres de référence. Et souvent, ils meurent en cours de route’’, raconte la blouse blanche.
Le récit de cet infirmier fait froid dans le dos, le district sanitaire de référence de Ranérou se trouve à plus de 110 km ; celui de Linguère, un peu plus proche, est à 80 km. Malgré les sempiternels rapports qu’il envoie au ministère de la Santé, aucune réaction de la part des autorités n’est notée. ‘’Il y a quelques jours, un jeune garçon d’environ 13 ans est mort dans le poste, avant même que je ne vienne le consulter. Ses parents avaient appelé un peu plus tôt, mais il n’y avait pas de moyens de transport pour que je me déplace. Finalement, ils se sont débrouillés pour venir au poste, mais l’enfant avait de la fièvre et vomissait. Et malheureusement, une fois au poste, il a vomi une dernière fois avant de rendre l’âme. Je ne pouvais que constater les dégâts’’, raconte-t-il.
Pas de contrat pour l’infirmier, pas de salaire pour les ASP
Ils sont deux agents qualifiés dans le poste de santé, la sage-femme et lui. Ils sont aidés par des agents de santé communautaires (ASP), mais ces derniers travaillant sans rémunération finissent par jeter l’éponge. ‘’Chaque année, nous formons une nouvelle équipe d’ASP, car ceux qui étaient là finissent par déserter, parce qu’ils ne sont pas motivés. Et c’est un peu normal qu’ils demandent un minimum en retour. Finalement, c’est nous qui gérons tout. Même nous, on n’est pas dans les meilleures conditions. Je suis contractuel et donc je suis stressé, car je ne sais pas si mon contrat va être renouvelé ou non. Comment voudrait-on que tu fasses des miracles, si toi qui prodigues les soins tu n’es pas stable ? C’est difficile’’, fait-il savoir, dépité.
Sur les 17 postes du district, les 11 n’ont pas de sages-femmes !
La commune de Lougueré Thioly est dirigée par un maire, la soixantaine bien révolue, qui ne sait ni lire ni écrire. Les dotations remises à la structure sanitaire sont insignifiantes, selon Kourouma, car les montants envoyés au poste sont de loin inférieurs à ce qui était validé au moment du vote du budget. Pire, l’ancienne équipe du Conseil départemental de Ranérou n’a jamais fait un geste pour aider et la contribution de la nouvelle équipe dirigée par Amadou Dawa Diallo se fait toujours attendre.
Plus globalement, le district sanitaire de Ranérou, qui polarise 17 postes de santé, fait face à un déficit criard de ressources humaines. Plus de 11 postes actuellement n’ont pas de sages-femmes. D’où le cri du cœur lancé par le médecin-chef de district, le Dr Coly, devant celui qui préside aux destinées du département de Ranérou. ‘’Le recrutement est une priorité dans les structures de santé, à Ranérou. Sur les 17 postes de santé du district, 11 n’ont pas de sages-femmes’’, fait-il constater, avant de préciser que ‘’les structures ne sont pas accessibles aux populations, d’autant plus que 63 % d’entre elles habitent à plus de 5 km des structures’’.
L’eau, une équation à plusieurs inconnues
Dans ce vaste département qui fait 30 fois la région de Thiès en termes de superficie, l’eau potable à portée de main est une jolie chimère. Pour la grande majorité des populations, pour trouver le liquide précieux, il faut parcourir chaque jour au minimum 10 km. Pour certains, le trajet peut atteindre 40 km. En charrettes, ce sont les femmes qui bravent les aléas de la longue distance. Comme récipients, elles utilisent des chambres à air pouvant contenir près de 200 l d’eau. Cette eau servira de boisson pour les hommes et les animaux domestiques.
Maïmouna est une jeune femme de 18 ans environ. Malgré son jeune âge, elle capitalise plus de cinq ans de mariage. Elle a un garçon et une fille qu’elle porte sur le dos. ‘’Chaque jour, je prends la charrette pour aller chercher de l’eau. Je viens d’un village qui se trouve à 10 km de Lougueré. Pour remplir la chambre à air, je dois débourser 200 F. C’est très difficile, mais nous n’avons pas d’autres alternatives. Quand l’État sera au courant, peut-être que nos calvaires deviendront de vieux souvenirs’’, espère-t-elle.
Comme lot de consolation, les populations vont se réjouir du démarrage du programme spécial de désenclavement qui va assurer la construction de la route Oudallaye - Ranérou et la voirie dans la ville, chef-lieu de département. Cependant, peu satisfaite de la tournure des évènements politiques, une frange de la population favorable au régime en place aurait déjà un pied dans l’opposition. Une officialisation qui pourrait survenir dans les prochains jours, si leurs doléances ne sont pas satisfaites.
Djibril Ba