Publié le 29 Sep 2022 - 21:40
RAPPORT SUR LE SÉNÉGAL

La Banque mondiale révèle les chiffres d’une économie dans le rouge 

 

Les conclusions du dernier rapport sur la situation économique au Sénégal ont été publiées hier par la Banque mondiale. Entre l’inflation, le déficit budgétaire ou encore la balance commerciale, le Sénégal présente une conjoncture extrêmement serrée.

 

L’économie sénégalaise ne vit pas ses plus belles heures. Le contexte international y est, certes, pour beaucoup. Mais les réponses apportées par le gouvernement aux deux grands chocs internationaux de ces trois dernières années peuvent être sujettes à différentes interprétations. Des chiffres sur lesquels s’appuyer ont été publiés hier par la Banque mondiale (BM), qui a rendu publiques les conclusions de son rapport 2022 sur la situation économique au Sénégal.

Intitulé ‘’Pour une croissance durable et résiliente : renforcer les écosystèmes entrepreneuriaux suite à la pandémie’’, il décrit les moteurs de la reprise économique observée en 2021, tout en soulignant sa fragilité, notamment dans le contexte de la guerre en Ukraine. Il fait également la part belle à l'entrepreneuriat avec des pistes afin de maximiser sa contribution à la croissance économique à moyen terme.

Depuis 2020, les rencontres pour la restitution du rapport sur la situation économique au Sénégal avaient été suspendues. Cela n’a pas empêché les économistes de la Banque mondiale de travailler sur les performances économiques du pays de la Téranga. Si une reprise ‘’post Covid’’  a été notée en 2021 (une croissance de 6,1 % (3,3 % pour le PIB par habitant), tirée par la reprise de la consommation privée et de l’investissement), les prévisions tablent désormais sur un taux de croissance estimé à 4,8 % en 2022.

Selon les experts de la BM, ‘’côté offre, la croissance sera tirée par les performances du secteur agricole et minier et, dans une moindre mesure, par la poursuite du rebond dans le secteur des services. Du côté de la demande, la consommation privée devrait moins contribuer que prévu, suite aux conséquences de l’inflation, mais les investissements privés, notamment dans le secteur minier contribueront à soutenir la croissance’’.

Un taux d’inflation qui atteint 11,3 % en juillet 2022

Le conflit en Ukraine est passé par là. Et la situation ne devrait pas s’améliorer dans l’immédiat. À cause des tensions géopolitiques mondiales, note le rapport, les pressions inflationnistes devraient s’accentuer significativement en 2022, atteignant 8,7 %. Pour comparaison, Alexandre Henry, un des auteurs du rapport, note : ‘’L’inflation en pleine Covid en 2020 était entre 2 et 3 %. Au mois de juillet 2022, il a atteint 11,3 %.’’

Aussi, ‘’les prix de l’énergie et des denrées agricoles (notamment les céréales comme  le blé), qui connaissaient une augmentation préalable au conflit, ont connu une forte accélération au cours de la première moitié de l’année. À court terme, c’est à travers les prix des denrées de base que l’impact du conflit devrait se ressentir. ‘’Des prix de transport plus élevés et des difficultés d’approvisionnement pour les matériaux de construction pourraient affecter les secteurs du transport et de la construction, notamment via le port et les activités de réexportation’’, retiennent les économistes.

Pour faire face à la flambée des prix du pétrole et des denrées de première nécessité, le gouvernement du Sénégal a pris des mesures fortes en soutien aux ménages : plus de 620 milliards de francs CFA, soit  300 milliards de subventions au carburant, à l’électricité et au gaz au 30 septembre 2022 ;  157 milliards de renonciations aux recettes fiscales pour éviter le renchérissement des prix du riz, du blé, du maïs, du sucre et de l’huile ; 120 milliards pour la revalorisation des salaires des agents publics ; plus de 43 milliards de transferts d’argent en soutien à 543 000 familles vulnérables.

Le déficit budgétaire a presque atteint le double de la limite permise par l’UEMOA

Toutes ces dépenses courantes inattendues ont une grande incidence sur le déficit budgétaire qui devrait se situer, selon les prévisions, autour de 6,2 % du PIB. C’est pratiquement deux fois le seuil de déficit budgétaire à ne pas excéder dans la zone UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine (3,97 % du PIB). ‘’En faisant l’hypothèse que le prix moyen du baril de pétrole se stabilise autour de 100 dollars fin 2022, prévoit la BM, le coût lié aux subventions pétrolières est estimé à environ 2,9 % du PIB. Même si les dépenses publiques en investissement s’ajustent au cours de l’année, ces pressions inattendues viendront s’ajouter aux dépenses additionnelles liées aux augmentations salariales des enseignants décidées en février 2022’’.

Dans le même temps, l’institution de Bretton Woods annonce un déficit de la balance courante (dons compris) qui devrait légèrement se détériorer et s’établir à 13,6 % du PIB en 2022. Les causes principales identifiées sont la hausse significative du prix des importations des produits pétroliers et la poursuite des investissements dans le secteur en construction des hydrocarbures. Toutefois, les revenus additionnels issus de l’exploitation des mines d’or permettront de compenser partiellement cette tendance.

L’exploitation des hydrocarbures devrait apporter un nouveau souffle à l’économie

Ce secteur extractif porte plusieurs espoirs. Dès lors que la production d’hydrocarbures sera mise en service, les pressions sur la balance courante s’atténueront avec la hausse des exportations et la baisse des importations liées au secteur extractif. À moyen terme, ‘’la croissance devrait être fortement stimulée par le début de la production d’hydrocarbures pour atteindre, en moyenne, 9,2 % sur la période 2023-2024’’.

Tout cela est  conditionné à un apaisement des tensions géopolitiques dans le Sahel, représentant des risques pour l’amélioration de la balance commerciale. Aussi, le contexte du conflit russo-ukrainien et ses évolutions au cours de l’année 2022 introduisent des incertitudes majeures concernant les prix de l’énergie, des denrées alimentaires et des restrictions commerciales. Les plans de riposte à ce choc extérieur, visant à soutenir les ménages, représentent un risque budgétaire pour le Sénégal.

De surcroît, la poursuite de l’accélération du resserrement de la politique monétaire des banques centrales états-unienne et européenne pourrait détériorer les conditions de refinancement sur les marchés internationaux. Enfin, le Sénégal est exposé à l’érosion côtière et aux chocs climatiques (inondations, sécheresses et risques sanitaires associés) qui pourraient impacter la productivité agricole et le secteur du tourisme.

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ENTREPRENEURIAT NUMÉRIQUE

La transformation d’une crise en opportunité 

Si la pandémie de  Covid-19 a mis en branle l’économie mondiale et sénégalaise entre 2020 et 2021, elle a forcé les entrepreneurs locaux à faire preuve d’ingéniosité et de résilience. Des études menées par la Banque mondiale au Sénégal l’expliquent à travers une formidable adaptation par l’entrepreneuriat numérique.  

Restrictions de mobilité, perturbations globales des chaînes de valeur, ralentissement de l’activité économique mondiale, chocs potentiels de liquidité. Les incertitudes qui ont caractérisé la pandémie de Covid-19 ont menacé la survie de nombreuses entreprises du secteur privé à travers le monde. Et le Sénégal n’a pas fait exception. Deux cycles d’une enquête sur le pouls des entreprises mises en œuvre par la Banque mondiale en avril et décembre 2020 ont suggéré que la plupart des entreprises ont connu des réductions des ventes, des heures travaillées, de la demande de leurs produits et services, de leur trésorerie et de la disponibilité des biens intermédiaires.

Au lieu  de baisser les bras, beaucoup d’entreprises se sont tournées vers le numérique pour faire face aux difficultés. L’étude de ces stratégies d’adaptation a permis à la Banque mondiale d’affirmer qu’au Sénégal, ‘’les mesures adoptées par le secteur privé pour répondre aux défis de la Covid-19 pourraient favoriser la réaffectation efficace des facteurs de production. De plus, elles peuvent également accroître la productivité sectorielle en incitant les entreprises à adopter des technologies plus avancées (par exemple, dans l’agroalimentaire et le tourisme) et en stimulant l’innovation, notamment dans les secteurs moins exposés au choc (par exemple, les services numériques)’’.

Tout au long de la pandémie, les entreprises ne se contentent pas d’adopter, mais augmentent également l’intensité d’utilisation des technologies numériques. Les premiers ayant adopté le numérique au début du choc Covid-19 ont affiché une reprise plus rapide, selon la BM. ‘’Près de 32 % des entreprises qui vendent sur des plateformes numériques au Sénégal ont signalé une augmentation des ventes en ligne en avril 2020. Les résultats montrent que les entreprises au Sénégal utilisent les technologies numériques de manière plus intensive, ce qui constitue un signal encourageant quant à l’accélération potentielle de la diffusion des technologies numériques’’, retient l’étude.

Devant les restrictions matérielles, ‘’les entrepreneurs utilisent leur talent pour combiner des machines et des équipements, des travailleurs et des biens intermédiaires afin de produire et de vendre des biens finaux sur les marchés. Ce processus se déroule dans un écosystème, un lieu géographique (commune, région ou pays) où les acteurs concernés sont interconnectés et qui se caractérise par la densité, la variété et la qualité des apports et des résultats de l’entrepreneuriat. Identifier le potentiel des écosystèmes locaux au Sénégal et profiter des gains d’efficacité associés aux économies d’agglomération pour soutenir la mise à niveau technologique pourraient stimuler considérablement la reprise économique à moyen et long terme.’’

Selon cette étude, au Sénégal, les entreprises adoptent les technologies numériques à un rythme sans précédent, notamment dans le secteur manufacturier. En plus d’améliorer potentiellement la productivité des entreprises de tous les secteurs grâce à l’adoption de technologies, cette tendance peut également être synonyme de nouvelles opportunités pour l’entrepreneuriat numérique, qui a le potentiel de jouer un rôle de catalyseur en innovant pour soutenir les entreprises de tous les secteurs de l’économie, retiennent les économistes.

PAYS LE PLUS ENDETTE DE L’UEMOA

Un conseiller auprès du ministère des Finances et du Budget s’explique

Le Sénégal est-il le pays le plus endetté de la zone UEMOA ? L’économiste Amath Soumaré l'a soutenu, il y a quelques jours. Le directeur général de Sopel International, lors d’une émission sur iRadio, a assuré qu’au mois de juillet 2022, ''on était à 11 % et fin août-début septembre, on est à 11,3 % de taux d’inflation. Au niveau de la dette, il y a deux mois on était à 75,6 % de dette. On a le critère de convergence de l’UEMOA qui est à 70 % maximum qu’on ne peut pas dépasser. On est le pays le plus endetté de la sous-région de l’UEMOA’’.

Les chiffres publiés hier par la Banque mondiale, qui a présenté son rapport sur la situation économique au Sénégal, sont allés en ce sens. Selon le document, ‘’le stock de dette publique devrait atteindre 75,1 % du PIB en 2022 avant de diminuer progressivement’’.

Interrogé sur la question, Bassirou Sarr n’a pas confirmé l’information. Le conseiller technique auprès du ministre des Finances et du Budget ne l’a pas infirmé non plus. À la place, le fonctionnaire s’est lancé dans des explications dignes d’un cours d’économie.

En effet, retient-il, ‘’lorsqu’on parle de ratio d’endettement, le stock de la dette publique rapporté au PIB, il y a deux choses à savoir : il y a un numérateur et un dénominateur. Lorsqu’on se met à comparer des pays, il faut s’assurer que le numérateur et le dénominateur entre pays sont comparables’’.

Concernant le classement des pays par rapport à l’endettement, le conseiller assure que le dénominateur est la clé. ‘’Pour notre le PIB, le Sénégal a fait son rebasing en 2014 tandis que d’autres pays de la sous-région l’on fait plus récemment. Cela gonfle la masse du PIB. Le rebasing ou ‘’rebasage’’ est une remise à niveau périodique à partir d’une année donnée pour tenir compte des changements dans la structure des prix. Il s’accompagne d’une normalisation statistique basée sur les standards internationaux de la SCN 2008, afin de prendre en compte le secteur informel, voire les activités illégales.

Ainsi, Bassirou Sarr explique que c’est la raison pour laquelle l’endettement du Sénégal est aussi élevé par rapport à d’autres. Et ‘’d’ici la fin de l’année, nous allons procéder à un nouveau rebasing et on verra que le stock de la dette va baisser, car le PIB sera beaucoup plus grand’’, ajoute-t-il.

Mais il n’y a pas que cela. L’économiste soutient qu’entre le Sénégal et d’autres pays au sein de l’UEMOA, le numérateur est faussé. Pour cause : le Sénégal est l’un des pays les plus transparents dans la zone. ‘’Lorsqu’on parle de stock de la dette publique, il faut prendre en compte le périmètre de l’administration centrale et le périmètre élargi comprenant l’État et les entreprises publiques. Le Sénégal est le seul pays de la zone UEMOA qui, dans sa comptabilité, prend à la fois l’administration centrale et les entreprises publiques. Si on tient en compte du stock qui prend en compte que le périmètre de l’administration centrale, le Sénégal est en dessous du critère de convergence de 70 %. Les 75 %, c’est l’administration centrale et les entreprises publiques’’, informe le conseiller technique auprès du ministre des Finances et du Budget.

Quant à la Banque mondiale, elle affirme que l’analyse de viabilité de la dette conjointe de la Banque mondiale et du FMI publiée en janvier 2022 a conclu que le risque de surendettement reste modéré au Sénégal, avec une capacité limitée à faire face à un choc sur le court terme.

Lamine Diouf

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