Enzo Millot, symbole du changement de cap saoudien

En signant à Al-Ahli, l'international espoirs français Enzo Millot (23 ans) est venu confirmer que la Saudi Pro League n'était plus seulement une maison de retraite pour vieilles gloires en quête d'un dernier gros chèque. De quoi finir d'enfoncer le dernier clou dans le cercueil du football romantique ?
Derrière le tintamarre provoqué par l’arrivée de Lucas Chevalier au Paris Saint-Germain, l’autre transfert notable de ce samedi, c’est celui d’Enzo Millot, transféré de Stuttgart à Al-Ahli, en Arabie saoudite, contre une trentaine de millions d’euros. Un sacré retournement de situation quand on sait que le capitaine des Bleuets était cité avec insistance du côté de l’Atlético de Madrid il y a encore quelques jours. Passer d’une solide équipe de Bundesliga, dans laquelle il s’est aguerri pendant quatre ans, à un candidat au titre de Liga habitué à disputer la Ligue des champions : la transition était toute trouvée pour le milieu de terrain, qui s’apprêtait à franchir un palier plutôt logique dans sa jeune carrière. Seulement voilà : d’après L’Équipe, Enzo Millot n’aurait « jamais ressenti d’attachement réel dans le discours des différents clubs européens » qui le convoitaient, à savoir Naples, la Juventus, l’Inter, mais aussi le Paris FC, Galatasaray, Tottenham et, donc, les Colchoneros.
Autrement dit, l’intéressé avait le choix du roi pour s’ancrer un peu plus sur le Vieux Continent. Il a finalement décidé de s’envoler pour les bords de la mer Rouge et enfiler le numéro dix laissé libre par Roberto Firmino, au sein d’un club neuf fois champion d’Arabie saoudite et tenant du titre de la Ligue des champions asiatique. Pour le plus grand bonheur, quelque part, de son désormais ancien employeur, lequel encaisse dix millions de plus que les offres qui bruissaient jusqu’alors sur le marché des transferts. Le milieu de terrain rentre quant à lui dans le top cinq des transferts les plus coûteux de ce mercato estival en Saudi Pro League. Précision de taille : aucun des cinq joueurs en question (Mateo Retegui, Darwin Núñez, João Félix, Theo Hernández et Enzo Millot, donc) n’a plus de 27 ans.
Place aux jeunes !
Si les écuries saoudiennes faussent la concurrence sur le marché des transferts en disposant de moyens qui leur permettent de claquer des sommes folles à tous les étages, le mercato 2025 a ceci de particulier que les recrues qui font parler d’elles ne sont plus de vieilles gloires européennes ou sud-américaines en quête d’un dernier gros chèque avant la quille. Cependant, selon l’agent de joueurs Bruno Satin, invité de l’émission L’After Foot cette semaine, cette phase préliminaire, entamée à la suite du Mondial 2022 avec le recrutement de Cristiano Ronaldo à Al-Nassr, était indispensable car elle a permis aux clubs du championnat de « gagner un peu de notoriété à travers des joueurs expérimentés, des grands noms qui leur ont permis de s’installer dans le paysage ».
Moins de trois ans plus tard, les exemples de Nathan Zézé (20 ans), devenu la vente la plus chère de l’histoire du FC Nantes en signant au Neom SC pour 20 millions d’euros après une seule saison complète en Ligue 1, ou de Saïmon Bouabré (19 ans), qui l’a rejoint chez le richissime promu après seulement 161 minutes de jeu à Monaco, illustrent cette nouvelle tendance que Satin appelle « la phase 2 de (la) stratégie » saoudienne. À savoir : « recruter des joueurs en pleine force de l’âge et même se positionner sur le marché des jeunes talents ». Le tout à une décennie de la Coupe du monde qu’organisera le royaume wahhabite, lequel ambitionne d’ici là de réellement hausser le niveau de son championnat pour prouver sa véritable valeur sportive.
La loi du pragmatisme
En attendant, le choix d’Enzo Millot – et des autres jeunes recrues – continue de poser question. On serait tenté de croire que le Français a d’ores et déjà « flingué » sa carrière en s’expatriant dans un championnat de seconde zone (à tel point qu’il sera diffusé sur une chaîne Twitch la saison prochaine), mais il faut rappeler que, dans le cas de celui qui est déjà père de trois enfants, l’expression « mettre la famille à l’abri » n’est pas forcément à prendre à la légère. Surtout quand on sait que, parfois, les véritables décideurs d’une signature dans un championnat lucratif ne sont pas forcément les joueurs eux-mêmes, mais plutôt leur entourage.
Concernant l’ancien Stuttgartois, certaines sources avancent un salaire annuel de dix millions d’euros. De quoi se constituer un petit bas de laine avant, pourquoi pas, de revenir en Europe et retrouver un vrai défi sportif. « L’idée pour ceux qui vont là-bas, c’est de se dire : si ça marche bien je prendrai l’intégralité du contrat, et si ça marche moins bien, j’ai la possibilité de ressortir, confirme Bruno Satin. On le voit bien avec certains jeunes joueurs qui sont partis et sont déjà revenus. » À l’instar du Colombien Jhon Durán, reparti dans le championnat turc après six mois passés à Al-Nassr, au vu de son incapacité à s’acclimater au paysage local.
Quelle place pour les sentiments ?
En attendant, certains restent dans le schéma classique et entendent d’abord confirmer en Europe avant de réfléchir au nombre de zéros qu’ils ajouteront à leur salaire. C’est le cas du Niçois Evann Guessand qui, en refusant les avances du glouton Neom SC pour choisir Aston Villa, ferait presque figure d’anomalie (bien que les émoluments versés en Premier League soient loin d’être les plus marginaux). De son côté, Adrien Rabiot jugeait ce samedi, dans une interview pour La Provence, « impensable » de signer « là-bas » s’il avait à nouveau dix-neuf ans : « Je ne veux pas juger qui que ce soit, nous ne sommes peut-être pas animés par les mêmes choses, tempère-t-il. Moi, je veux disputer les plus belles compétitions européennes, vibrer dans des enceintes comme le Vélodrome ou dans des stades comme ceux dans lesquels on va pouvoir jouer cette saison en Ligue des champions. »
Peut-on déjà parler d’une question de génération ? À 30 ans, le Duc a derrière lui ses plus belles années sportives, dont la majeure partie passée dans un club qui ne s’est jamais privé non plus de fausser la concurrence à l’échelle de la Ligue 1. « C’est facile de construire avec des budgets mirobolants, mais ce n’est pas le cas à Marseille, où les gens travaillent très bien avec les moyens qu’ils ont, s’enthousiasme Rabiot. Faire quelque chose de grand avec les moyens du club et pouvoir rivaliser avec des adversaires qui ont deux ou trois fois notre budget, c’est un challenge qui me plaît. »
Combien de temps encore ses coreligionnaires parviendront-ils à lui donner raison ? La relève voit peut-être le métier de footballeur autrement : à savoir, comme un business dont la logique première est d’être rentable. Et donc, de monnayer son talent au plus offrant, en réfléchissant dans un second temps à la réelle importance d’entendre une fois dans sa carrière la petite musique de la Ligue des champions. Celle de l’UEFA.
SOFOOT