Publié le 17 Jan 2021 - 01:24
REALISATION DE LA GRANDE MURAILLE VERTE

Bernard Jamet pessimiste sur les chances de réussite du projet

 

La Grande muraille verte, qui a été au cœur des débats lors du dernier sommet sur la biodiversité, le One Planet Summit, tenu cette semaine, présente des ‘’limites techniques considérables’’ et nécessite des milliards de dollars d’investissement. Ce qui veut dire, selon l’ingénieur civil des mines français, Bernard Jamet, par ailleurs consultant-expert en énergie-climat, qu’il y a ‘’vraiment très peu de chance d’y arriver’’.

 

Projet historique consistant à planter une mosaïque d’arbres, de prairies, de végétation et de plantes sur 8 000 kilomètres de long et 15 kilomètres de large à travers le Sahara et le Sahel, la Grande muraille verte peine, depuis plus d’une décennie, à décoller. Ce lundi, lors du One Planet Summit, un rendez-vous destiné à la biodiversité, l’initiative a été au menu des discussions. D’ailleurs, la Banque africaine de développement (Bad) s’est engagée, à cette occasion, à aider à mobiliser jusqu’à 6,5 milliards de dollars américains, soit 3 508 milliards de F CFA sur cinq ans, pour faire progresser le plan.

Cependant, intervenant avant-hier lors d’un webinaire sur le changement climatique et la transition énergétique, organisé par le Cercle universitaire d’études marxistes (CUEM), l’ingénieur civil des mines français, Bernard Jamet, a fait part de son scepticisme par rapport à la concrétisation de ce projet. ‘’C’est un projet pharaonique, il en est, mais qui présente des limites techniques considérables et qui nécessite des milliards de dollars d’investissement. Ce qui veut dire qu’on a vraiment très peu de chance d’y arriver. Alors que, sur le plan scientifique, c’est le meilleur projet qui existe’’, affirme-t-il.

Aujourd’hui, pour faire face aux effets du changement climatique, M. Jamet, par ailleurs, ancien Directeur du Département changement climatique du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), estime qu’il y a des tas d’autres domaines où une masse considérable d’argent devait être injectée pour s’adapter. Il s’agit de l’architecture résistant aux inondations, aux intempéries, etc.

‘’Il existe des milliards de projets qui méritent d’être explorés et qui ne le sont pas, car il manque de volonté politique et il n’y a pas d’argent aussi. (…) Pour atténuer et faire en sorte qu’on produise moins de gaz à effet de serre, cela va être compliqué, si on tient compte de la nécessité absolue pour les pays en voie de développement de se développer. Si on considère qu’en effet, les émissions de gaz à effet de serre, entre autres, sont l’une des causes du réchauffement climatique, alors le mieux que nous ayons à faire, c’est de nous préparer à l’avenir’’, dit-il.

Agir sur l’électricité et sur les transports

Ainsi, l’ingénieur suggère de développer, dès à présent, des politiques d’adaptation ‘’beaucoup plus importantes’’ que celles qui sont développées aujourd’hui, et en particulier des politiques tournées vers des pays en développement. Qui peuvent être les premiers affectés par l’élévation des températures, celle des niveaux des mers, etc. D’ailleurs, Bernard Jamet rappelle qu’il y a un certain nombre d’engagements qui avaient été pris par les pays industriels, consistant à fournir 100 milliards de dollars par an jusqu’en 2030, qui est le Fonds d’adaptation climat.

‘’Une autre façon de réduire les émissions de gaz à effet de serre, est de faire par la réduction des énergies fossiles. Ce qui nous amène, très directement, à la politique énergétique. Pour cela, il y a au moins deux façons de le faire. Il s’agit, d’abord, d’agir sur l’électricité et sur les transports. L’électricité se fabrique avec un très mauvais rendement. Partout, dans le monde, et quelles que soient les technologies, fabriquer un kilowatt-heure d’électricité suppose de consommer trois kilowatts heure d’énergie primaire. La production d’électricité nécessite beaucoup d’énergies fossiles’’, souligne M. Jamet.

L’ancien directeur du Département efficacité énergétique à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd) à Londres, note que le mix mondial d’énergie est produit à 80 % avec des combustibles fossiles. C’est un pourcentage qui est stable depuis un demi-siècle et qui n’a pas évolué au cours des dernières années. Ceci selon lui, quoiqu’en disent, les partisans des énergies renouvelables.

‘’Aujourd’hui, dans le mix mondial, il y a surtout du fossile, de l’hydraulique qui représente environ 6 à 7 %, il y a du nucléaire, qui représente plus de 10 % et les autres énergies qui représentent 4 à 5 %, telles que l’éolien, le solaire, la biomasse, etc. Il faut absolument décarbonner et la première chose à faire c’est d’évoluer en matière d’électricité, pour en réduire les usages. Ce qui se passe aujourd’hui, c’est qu’il est mis en place une doxa, depuis maintenant une trentaine d’année qui est cette convention à dire que ce qui sauvera le monde, ce sont les énergies renouvelables et principalement l’éolien et le solaire. Ces idées-là ce sont développées’’, renchérit-il.

Les coûts de production de l'éolien et du solaire non-négligeables

D’après M. Jamet, la première raison et qui est réelle est que ces énergies sont basées sur un caractère relativement infini de la matière. Donc, selon ces derniers, en décarbonant, forcément les émissions de gaz à effet de serre seront réduites. ‘’Ce n’est pas tout à fait vrai. L’éolien représente environ 14 grammes de CO₂ par KWh et le nucléaire ne représente d’une douzaine de grammes de CO₂ par KWh. Ce qui est très bas par rapport au charbon émet 120 g de CO₂ par KWh. Dans l’équation, il faut tenir compte de la dure réalité qui est que les énergies éoliennes comme le solaire sont intermittentes d’une part, et d’autre part les coûts de production ne sont pas négligeables. Malgré les baisses qui sont intervenues ces dernières années et qui sont réelles. On reste quand dans des ordres de grandeurs par rapport aux mégawatts installés qui sont les mêmes que le nucléaire. Un mégawatt photovoltaïque coûte environ 1 million d’euro, un mégawatt d’éolien environ 1,2 million d’euro, pour le nucléaire c’est 1,3 million d’euro. Si on ne prend pas en compte les opérations désastreuses notamment en ville’’, indique-t-il.

Cependant, l’ancien ingénieur du ministère français de l’Environnement en 1974, trouve qu’il faut tenir compte d’un problème essentiel auquel les spécialistes font référence. C’est que les installations éoliennes comme celles solaires, requièrent des surfaces de ‘’terres considérables’’. Bernard Jamet explique qu’un mégawatt installé c’est au moins deux hectares (ha) de terres. L’équivalent d’une centrale de 1000 MW, il faut 2000 ha. ‘’C’est à peu près pareil pour l’éolien. Il faut promouvoir une offre électrique décentralisée, avec de multiples promoteurs qui sont éoliens ou solaires’’, précise-t-il.

Sachant que les énergies solaires et éoliennes sont intermittentes et qu’il faut des secours qui le plus souvent ne peuvent provenir que d’installation thermiques à savoir le gaz naturel ou le charbon, aujourd’hui, l’ingénieur français relève que c’est pourquoi, les lobbies du charbon ou du gaz naturel soutiennent le développement de l’éolien et du solaire. ‘’Parce qu’ils savent bien que derrière il faudra mettre du charbon. L’autre aspect aussi, c’est la question des prix. Tout cela se met en place dans des conditions de prix qui ont un impact direct sur l’électricité. Lequel va encore augmenter en 2021, comme il avait déjà augmenté en 2019 et 2020. Parce que les tenants de ces énergies font valoir et font valoir dès les années 2000 que pour les énergies nouvelles il fallait des incitations gouvernementales. Donc, on a mis en place la politique des tarifs d’achat’’, signale-t-il.

L’électrification rurale, un moyen pour l’UE de plomber le développement de l’Afrique

Il convient de relever que lors de son exposé, Bernard Jamet qui était le directeur du département d’Efficacité énergétique à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) à Londres en 1994, a avoué que l’objectif de l’Union européenne (UE) avec l’installation d’unités de production d’électricité dans les villages africains était de plomber le développement économique du continent.

‘’L’idée du projet d’électrification rurale naturellement ciblait beaucoup l’Afrique. Parce que la grande affirmation de l’Union européenne, c’était de dire qu’il n’est pas question en Afrique de pouvoir mettre en place un système de production d’électricité centralisé. Ce qu’il faut aux Africains, ce sont des systèmes décentralisés, village par village, maison par maison et cela suffira bien pour leurs besoins.

C’est-à-dire, ce sont des systèmes qui sont totalement antinomiques de toute évolution, de développement notamment industriel. Et qui sont en opposition avec ce que souhaitent la majorité des gouvernants africains. Mais, vu qu’ils représentent peu de poids par rapport à la masse d’argent que l’Union européenne est capable de mettre en œuvre, ils sont obligés d’accepter’’, soutient-il.

MARIAMA DIEME

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