Publié le 7 Apr 2017 - 17:03
RETOUR GAGNANT DES 12 ACCUSES

Malaise au Café de Rome

 

En fin d’année 2016, l’hôtel-casino-restaurant, le Café de Rome, a été secoué par une histoire de détournement d’argent. Les douze travailleurs accusés des méfaits, sortis vainqueurs d’un bras de fer judiciaire contre la direction, remettent les choses à l’endroit et déplorent la nouvelle situation délétère qui y prévaut.

 

Dans un restaurant dakarois, l’heure est à la détente pour les douze accusés, finalement blanchis, du Café de Rome. ‘‘Allez repris de justice, on va commencer l’entretien !’’, plaisante un individu de la bande, riant de bon cœur de sa propre vanne. Cette pique, sans faire rire tout le monde, a le mérite de dérider l’ambiance.  Et c’est parti pour une heure de version. ‘‘Nous n’avons rien compris, nous avons été tous pris de court par cette affaire.’’ Pour les travailleurs du très couru hôtel-restaurant-casino, l’étonnement ne s’est pas encore dissipé après 19 jours de privation de liberté. Et malgré un verdict favorable en première instance, le malaise persiste toujours dans leur lieu de travail. 

Pour eux, l’affaire est claire comme de l’eau  de roche : la nouvelle direction en place depuis neuf mois prépare une purge et les accusations portées contre eux entraient dans cette logique. ‘‘Nous pensons que c’était pour licencier du personnel. Si par malheur nous avions été condamnés, nous aurions été licenciés sans droits. Le problème de fond, c’est ça : nous faire partir par tous les moyens à moindre frais. Ce n’est pas un simple point de vue, c’est la réalité’’, dénonce un des douze rescapés. Ils en veulent pour preuve les ‘‘signes de préméditation de la direction’’ de l’hôtel qui leur a trouvé ‘‘des remplaçants le jour même de la convocation à la Dic’’, avec cette question-complainte qui revient tout le temps dans l’entretien : ‘‘Comment la direction a-t-elle pu suppléer plus d’une dizaine de postes au pied levé, le jour de notre convocation ?’’ s’étonnent-ils.

Autre indice inquiétant, selon eux, les images de la séance de trombinoscope (photos d’identité) réalisée quelques jours plus tôt par la direction, sous prétexte de confection de badges, qui se sont retrouvées à la disposition des enquêteurs ‘‘avec des commentaires désobligeants’’, dénoncent-ils. Vendredi 11 novembre 2016, sur une liste de quinze personnes travaillant au Café de Rome, douze déferrent à la convocation des enquêteurs de la Division des investigations criminelles. Ils doivent se justifier des accusations d’association de malfaiteurs et abus de confiance. ‘‘On m’a signifié que j’étais citée dans un réseau de trafic de tickets car, selon eux, à la brasserie, ils  me reversaient tout ce qu’ils volaient. J’ai trouvé cela tellement aberrant que j’en ai rigolé. C’était faux de chez faux’’, s’indigne l’une des huit personnes autour de la table où chacun raconte ses déboires. ‘’Après trois renvois de l’affaire devant la Cour, nous avons été relaxés et le Café condamné à verser le franc symbolique.’’

Ambiance lourde

Les douze travailleurs sont blanchis finalement, le 30 novembre, mais ne sont pas totalement sortis de l’auberge, puisque la partie civile a fait appel de la décision rendue en première instance. Ce qui rend les conditions de la reprise du travail plutôt bizarres. ‘‘Le directeur général nous a demandé pardon en face du directeur de l’exploitation qui est récemment parti à la retraite. Pourquoi faire ça, si nous sommes vraiment les coupables ? Et dans le même temps, il fait appel de la décision du juge. C’est à n’y rien comprendre’’, s’offusque l’une des travailleuses. ‘‘Quand nous avons repris, il a convoqué certains d’entre nous pour se confondre en excuses. D’autres lui ont tourné le dos après l’avoir écouté, d’autres ne l’ont même pas écouté. Quant à moi, je lui ai dit mes quatre vérités, c’est ce qui m’a un peu soulagé. ‘Est-ce que tu sais ce que ça fait d’être prison ? Tu as mis tout le monde dans le désarroi pour des futilités’, lui ai-je dit’’, témoigne l’une des personnes, la blagueuse du début, qui semble prendre la chose avec plus de philosophie.

L’ambiance de travail est tellement délétère que ‘‘certains membres de la direction ont engagé des garde du corps, déclarent-ils. C’est très difficile de savoir que quelqu’un vous a mis en prison avec tant de légèreté et le côtoyer tous les jours, mais on n’a pas le choix’’. L’autre nouveau paramètre est le sureffectif causé par la sollicitation d’autres travailleurs appelés en leur absence. ‘‘Nous sommes obligés de travailler à deux à la caisse, puisque nous sommes six maintenant. Au lieu de faire le système complet, un mois assis à la caisse avec 9 heures de temps quotidien, nous sommes obligés de nous partager le calendrier, chaque semaine à tour de rôle. Maintenant, nous ne touchons pas à l’argent, il y a une autre caissière pour ça’’, font-ils savoir, regrettant le manque de confiance érigé en règle, depuis l’éclatement de l’affaire. ‘’L’autre jour à la terrasse, le Dg a même admonesté un des serveurs un peu trop gai à son goût, en lui demandant pourquoi il n’était pas stressé.’’ 

Désormais, aller au travail ‘‘qui était un plaisir’’ pour la plupart de ces gens ayant presque fait deux décennies au Café devient une corvée. Pour eux, ‘‘ces humiliations répétées’’ procèdent du désir de la direction de congédier cette vieille garde qui a assisté à l’ouverture du Café en 1998. ‘‘Nous y allons, pas avec la peur au ventre, mais avec dégoût dans une entreprise où les responsables cherchent à vous écraser. Nous n’allons pas nous laisser faire. Nous sommes exempts de tout reproche et la justice nous a blanchis. Nous avons été recrutés sur des bases légales. Si la direction ne veut plus de nous, elle n’a qu’à venir  nous proposer des conditions décentes de départ. Si ce n’est pas possible, explorer sur quelles nouvelles bases nous allons collaborer’’, analyse un autre resté légèrement à l’écart du groupe durant l’entretien.

Les pourboires de la discorde

Avec la nouvelle direction, arrivée il y a neuf mois (la nouvelle acquisition s’est faite en mars 2016), de nouvelles règles de fonctionnement ont été mises en place. Un règlement intérieur amélioré, une procédure de pourboires est mise en service pour obliger les travailleurs à ne plus toucher aux cadeaux. Les travailleurs pensent que c’est par ce prétexte qu’ils ont été accusés et que ces subsides qu’ils reçoivent des clients sont très mal accueillis par la direction du Café. ‘‘Ils ont sorti une note de service concernant les pourboires. Ils vont acheter une caisse qu’ils vont placer sous vidéosurveillance. Chaque fois qu’un employé en recevra, il devra présenter les espèces en billets ou monnaie devant la caméra avant de les mettre dans la caisse.

Chaque semaine, en présence de la responsable, on en fera un partage équitable. L’usage, c’était le partage entre les deux qui étaient de service, ou le tout pour la personne qui la recevait.  Maintenant, ils disent que pour tout pourboire empoché, le ‘‘checker’’ sous la caméra sera considéré comme vol’’, témoigne l’un deux. ‘‘Dans un restaurant, il y a des pourboires. C’est la règle dans tous les hôtels et restaurants du monde. Maintenant, les clients évitent de nous faire des largesses pour ne pas nous créer de problèmes. D’ailleurs, la direction s’est basée sur cela pour dire que nous pillions leur caisse. On nous donne des pourboires en nature aussi comme des tissus, des parfums, etc. Pourquoi la direction ne revendique pas ces dons en nature ?’’ témoigne un autre.

Une révélation contre la direction de l’hôtel qui ne se limite pas seulement aux pourboires, mais également à une option commerciale plutôt inédite. ‘‘Dans les deux départements, restaurant et hôtel, ils nous demandent maintenant de vendre du ‘‘seddo’’ [recharge de crédit téléphonique]. Où est-ce que vous avez vu un hôtel vendre du ‘‘seddo’’ ou Orange Money ? Il y a des structures dédiées pour ça’’, font savoir les travailleurs.

Blanchiment

Pour établir leur bonne foi, ces accusés blanchis affirment que ce sont des clients qui se sont cotisés pour leur commettre un pool d’avocats. ‘‘Les clients ne sont pas  contents du tout. Il y en a même qui disent qu’ils ne mettront plus les pieds, si d’aventure nous étions congédiés. On vous connaît depuis l’ouverture, si vous n’étiez pas des gens sérieux, le café n’en serait pas là. Ce sont même certains clients qui se sont cotisés pour nous payer un pool d’avocats’’, poursuit-on. Malgré leur relaxe par la justice, le fait d’avoir été mêlés à cette accusation passe toujours mal pour eux.

‘‘Je ne comprends pas qu’au Café, avec toutes les caméras, un contrôle systématique à la sortie, et la comptabilité super exigeante, l’on nous parle de vol. C’est après que cette affaire a éclaté que le comptable lui-même a su que nous étions accusés d’avoir détourné une telle somme. Nous sommes pères et mères de famille qui avons nos maisons, nos enfants et notre dignité. Nous ne nous serions jamais rabaissés à faire ça. Quand bien même c’était le cas, 20 millions pour quinze personnes, après près de 20 ans de service, vous pensez que ça en vaut la peine ?’’ précisent les travailleuses et travailleurs du Café.

Par respect pour le principe contradictoire, nous avons souhaité ne pas mentionner le nom du directeur général du Café de Rome dont il a été question dans l’article. Après une première tentative d’entrer en contact avec lui, le réceptionniste à qui nous avons décliné l’objet de notre appe, nous a fait savoir quelques heures plus tard que ‘‘le directeur ne souhaitait pas parler de cette affaire’’. 

OUSMANE LAYE DIOP

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