Publié le 20 Mar 2018 - 03:43
SANCTION SUR LES VOIES RAPIDO DE L’AUTOROUTE A PEAGE

Les couloirs divergents des associations de consommateurs 

 

La sanction appliquée aux usagers des voies Rapido qui rechargent moins de 5000 F CFA, sur les postes de péage de l’autoroute, divise les associations des consommateurs. Si pour l’Association des Consommateurs du Sénégal (Ascosen) cette mesure est raisonnable, SOS Consommateurs pense que c’est un abus et  compte l’attaquer à la Cour suprême.

 

Les règles ont changé depuis le 1er mars dernier pour les usagers des voies Rapido de l’autoroute à péage. Désormais, celui qui passe par cette voie sans avoir un crédit suffisant se verra appliquer une pénalité de 5 000 F. Et pour ceux qui ne le savent pas, la mauvaise nouvelle est au bout…du péage. Le citoyen Cheikhou Sow en sait quelque chose, lui qui, mercredi dernier, a payé ‘’11 000 F Cfa rien que pour rouler sur le péage’’. Cet usager qui a été sanctionné pour ‘’passage abusif’’ dénonce ce qu’il considère comme une tentative de la part de Eiffage ‘’de sucer les maigres ressources des citoyens sénégalais’’ par des mesures arbitraires sur ‘’ces « routes françaises » en territoire sénégalais’’. Il y a quelques semaines, Eiffage avait sorti un communiqué pour prévenir. M. Sow a sans doute raté l’information. Mal lui en a pris.

Quant aux associations de consommateurs censées défendre ses intérêts, elles ne parlent pas le même langage. L’association des consommateurs du Sénégal (Ascosen) précise que la mesure n’émane pas de la société française. C’est plutôt l’Etat du Sénégal, à travers l’arrêté 21-918 du 13 décembre 2017, portant règlement de police et d’exploitation de l’autoroute à péage. ‘’C’est une décision du ministère des Transports. Le schéma d’utilisation de l’autoroute est défini par un arrêté du ministre des Infrastructures. C’est lui qui détermine les conditions d’utilisation du péage.

Cet arrêté-là est défini par l’Etat du Sénégal’’, a expliqué le président de l’Ascosen, Momar Ndao, joint au téléphone par EnQuête. il précise qu’avec cette nouvelle mesure, les automobilistes qui veulent emprunter la voie Rapido peuvent recharger leurs cartes par tous les moyens de payement électronique, si le montant est inférieur à 5000 F.‘’Si on vient aux zones de péage pour le faire, on va faire perdre du temps à ceux qui sont derrière. Or, l’autoroute à péage, c’est une autoroute qui doit en priorité permettre aux usagers d’aller vite. Les gens paient pour ça. Donc, toutes les actions ou tous les comportements qui visent à les ralentir sont proscrites. C’est la raison pour laquelle, pour éviter les files qui vont se créer, parce qu’il y aura des gens qui vont essayer de recharger des montants faibles, l’Etat du Sénégal a décidé de demander aux gens de recharger à distance en utilisant les moyens de paiement électroniques’’, a-t-il soutenu.

Pour le président de l’Ascosen, l’autre élément qui sous-tend cette décision de l’Etat est qu’il y a des Sénégalais qui, pour éviter les files devant les postes de péage, ‘’utilisent les voies Rapido tout en sachant qu’ils n’avaient pas de crédit ou de carte Rapido’’. ‘’Cela accentue le ralentissement de ceux qui ont déjà fait le choix de payer par Rapido pour aller plus vite.

Si les gens paient par Rapido et sont ralentis par des comportements qui ne devraient pas avoir lieu, il faut trouver des solutions pour ça. C’est pour décourager l’utilisation abusive des voies Rapido que l’Etat a pris cette disposition-là’’, a-t-il insisté.  Ainsi donc, de l’avis de M. Ndao, l’objectif de la mesure est de donner la priorité aux personnes qui sont en règle et qui utilisent l’autoroute à péage pour gagner du temps. ‘’C’est l’Etat qui décide des conditions de l’utilisation du péage et son tarif, et non Eiffage. En France, les conditions d’utilisation de l’autoroute sont identiques et parfois même beaucoup plus sévères’’, a-t-il précisé. D’ailleurs, le président d’Ascosen a indiqué qu’au pays de Mariane, si on tombe en panne sur l’autoroute, on est aussi taxé. ‘’Les autoroutes en France ne sont pas éclairées. Il y a des sections qui le sont et c’est généralement là où il y a des croisements. Beaucoup de gens réclament des choses tout en n’ayant pas une idée de ce qui se passe à l’international. Aujourd’hui,  l’utilisation des autoroutes est normalisée dans beaucoup de pays’’, insiste-t-il.

SOS Consommateurs dépose son recours

Si l’Ascosen juge logique cette nouvelle mesure, le président de SOS Consommateurs lui, trouve qu’elle est abusive. ‘’Nous avons déposé un recours hier (jeudi), parce que c’était le dernier délai. Ceci pour attaquer en annulation l’arrêté qui a été pris par le ministre des Transports. Parce que c’est un arrêté qui cause déjà un grave préjudice aux populations’’, a affirmé Me Massokhna Kane. D’abord, il a signalé que sur l’autoroute, les gens peuvent ‘’se tromper de couloir’’ et prendre le Rapido. ‘’Ce n’est même pas écrit que c’est réservé uniquement aux clients Rapido. Il y a certes des lampes, mais il y a des gens qui ne savent pas lire. Donc, ils peuvent se tromper. Or, ceci n’est pas commettre une faute et les gens ne peuvent pas être sanctionnés sur ce fait. Une sanction, une amende, c’est pour quelqu’un qui a commis une faute volontairement’’, a-t-il défendu. Selon lui, cette disposition viole le droit de la légalité et même le libre choix des consommateurs. ‘’Les gens ont le droit de se tromper. Ce qu’il faut, c’est leur expliquer petit à petit et avec le temps, ils vont s’habituer à ce péage. C’est ça qu’on aurait dû faire et non pas appliquer une sanction sous forme d’amende. Voilà pourquoi nous avons attaqué cet arrêté’’, a-t-il renchéri. Persuadé que la décision viole la constitution même, il dit  avoir saisi le ministère et que si ce dernier ne revient pas sur sa décision, la Cour suprême sera saisie au bout du délai. 

Sur le remorquage en cas de panne, il estime que c’est priver les citoyens du droit de choisir. Selon Me Massokhna Kane, tout ce qu’on doit exiger, c’est que cela se fasse en toute sécurité. ‘’Ou alors, si la personne n’a pas les moyens de se faire tracter, à ce moment, on utilise le système de remorquage du concessionnaire pour dégager la voie’’, a-t-il préconisé. il reste convaincu que tant que la personne a la possibilité de se faire remorquer à l’aide d’une chaîne, une corde ou une barre de fer, ‘’comme cela se fait partout dans le monde’’, on ne peut pas lui enlever ces choix-là.

Par ailleurs, l’avocat se désole du fait que la lutte n’est jamais menée en synergie. ‘’C’est dommage que les Sénégalais ne s’associent pas à ces genres de lutte. On lutte pour les usagers. Cependant, il y a eu 9 personnes seulement qui se sont jointes à SOS pour déposer ce recours. Ce n’est pas suffisant par rapport à tous les gens qui utilisent l’autoroute à péage. Voilà, le problème des Sénégalais, ils ne se défendent pas’’, a-t-il regretté.

Sur la divergence de point de vue avec l’Ascosen, Me Kane s’est désolé du fait que quand deux ou trois associations de consommateurs se prononcent, on a l’impression qu’elles ne défendent pas les mêmes consommateurs. ‘’Franchement, je le regrette. Ce qui veut dire qu’il n’y a pas de concertations ; ensuite, on se dit : quelles sont les intérêts qu’on défend derrière ?’’ a-t-il déploré. En outre, Me Kane a affirmé que contraire aux propos de Momar Ndao, les conditions d’utilisation appliquées sur l’autoroute à péage n’obéissent pas aux normes internationales. ‘’C’est faux ! Je défie quiconque dans un débat contradictoire sur ces points-là. Nous nous basons sur des textes, et non des clauses de styles en disant que ce sont des normes internationales. Tout cela, c’est faux. C’est un arrêté qui contient des éléments abusifs. Mais tout n’est pas mauvais dans l’arrêté’’, a-t-il relativisé.

MARIAMA DIEME

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