Publié le 15 Feb 2023 - 01:18
SANTÉ À HALAR

Des spécialistes à l’assaut des disparités

 

Si les citoyens sont censés avoir les mêmes droits d’accès aux services sociaux de base, certains semblent en être pourvus bien plus que les autres. A Nimzatt Halar, situé à huit kilomètres du barrage de Diama, d’éminents spécialistes de la médecine, sous la houlette du professeur Gallo Diop, tentent de redonner le sourire aux populations qui souffrent du désert médical.

 

Ce vendredi après-midi, près de 30 km après Saint-Louis, sur la route du barrage de Diama, à la frontière avec la Mauritanie, un décor inhabituel accueille le voyageur. Des hommes en blouse blanche, visibles sur le côté droit de la route à hauteur du village austère de Nimzatt, attirent surtout l’attention. Leur habillement contraste avec celui des autochtones, principalement en ‘’meulfa’’ ou grand-boubou pour les hommes. On les prendrait facilement pour des maures de la Mauritanie. Mais ils sont pour la plupart des Sénégalais bon teint, venus des 32 villages autour de Nimzatt Haral, situé à 8 km du barrage. Un village fondé par Cheikh Adramé Aidara, fils de Cheikh Atkhana, fils de Cheikna Cheikh Saadbou.

Disciple de la famille, Cheikh Moussa Diène revient sur l’histoire du patelin : ‘’Cheikh Adramé, père de Mouhamadoul Mamoune (initiateur de la journée), a perdu trop tôt son père. Il a été élevé par le frère de ce dernier, Cheikh Talibouya, ancien Khalife général des khadres. Après son apprentissage, il a demandé la permission de prendre son indépendance et de se frayer son chemin. C’est ainsi qu’après avoir obtenu l’autorisation, il a préféré quitter Nimzatt en Mauritanie pour venir s’établir ici, dans la zone du Haral. Il a d’abord été à Ngadd, avant de fonder ce village où l’on se trouve et lui a donné le nom de Nimzatt.’’

Peu à peu, le hameau est sorti de l’ornière. Mais malgré les avancées notoires, l’accès à certains services, notamment de santé, est resté un véritable luxe dans les 32 villages environnants. Pour trouver un soignant, il faut parcourir près de 10 km pour aller à Diama où se trouve l’établissement le plus proche, plus de 20 km pour se rendre à l’hôpital à Saint-Louis, dans des conditions autrefois très difficiles, alors que les populations ont peu de moyens.

Une situation insupportable pour Mouhamadoul Mamoune, héritier de son père, peint comme un grand intellectuel. À son ami le professeur Amadou Gallo Diop, actuel chef du Service de neurologie du Centre hospitalier national universitaire de Fann, par ailleurs Directeur de l’Innovation et de la Recherche au ministère de l’Enseignement supérieur, il disait, il y a près de 20 ans : ‘’Moi, je suis venu pour perpétuer l’œuvre de mon père. Mais au-delà des prières que je formule pour les gens qui viennent me voir et dont je ne suis même pas sûr qu’elles vont être acceptées par le Bon Dieu, j’ai envie de faire vraiment des choses qui impactent directement les populations. Avec les problèmes de santé très récurrents dans la zone, les difficultés de se payer des soins à l’hôpital, je me demandais s’il est possible d’organiser chaque année des journées de consultations médicales, dans le cadre du Ziarra.’’

À cette requête, le patron de la neurologie à Fann répond avec générosité : ‘’Ah bien sûr ! C’est une excellente idée. J’aurais même dû y penser avant.’’

Ainsi sont parties les journées médicales gratuites de Nimzatt Haral, qui se tiennent chaque année sans interruption depuis 2006. Seule la pandémie à coronavirus a pu avoir raison de la détermination du Pr. Gallo Diop et de ses amis durant les deux dernières années.

Cette année, c’est la reprise au grand bonheur des populations qui, à l’image d’Awa Diallo venue du village lointain de Poul Dioss, ne cachent pas leur joie, face à cet espoir retrouvé. Pour venir à Nimzatt, elle a pris une charrette jusqu’à Diama. De là, elle a pris un véhicule pour venir se faire consulter pour plusieurs maux qui l’empêchent régulièrement de dormir. Elle se réjouit : ‘’Cette occasion est unique. C’est pourquoi j’ai voulu en profiter. J’ai des maux de tête terribles qui m’empêchent de dormir la nuit et qui affectent les autres parties de mon corps. Après discussion avec le médecin, on m’a fait faire une radio. Là, je pense qu’on m’a parlé de sinusite. On m’a prescrit des médicaments qu’on va me fournir gratuitement au niveau de la pharmacie. Je n’aurais jamais pu me payer de tels soins, c’est pourquoi nous ne remercierons jamais assez Chérif et toutes les personnes de bonne volonté qui l’accompagnent. Puisse Dieu les rétribuer.’’

De teint clair, des tâches en pleine figure et un peu partout sur les parties de son corps, Rokhaya Fall, boitillant, est aussi venue se faire consulter. Elle décrit son mal : ‘’Je suis diabétique, j’ai mal aux dents, je souffre aussi des jambes et de maladies de la peau. Je suis donc venue pour voir mon taux de sucre, enlever cette dent qui me fait de plus en plus mal. Ce n’est pas tous les jours qu’on a accès à des spécialistes de cette envergure. C’est pourquoi on en profite.’’

A un jet de pierre, devant la tente estampillée ‘’Pédiatrie’’, Teuyeu Fall est debout, la main droite tenant une fille d’environ 7 ans. Elle a l’air inquiet. Interpellée, elle décline les raisons de sa visite : ‘’Je suis là avec ma fille qui ne cesse de tousser. Elle ne dort pas la nuit. Et je n’ai pas les moyens pour l’emmener à l’hôpital. Je suis donc venue ici pour voir ce qu’elle a, d’autant plus qu’il y a de très grands médecins chaque année.’’

Dans le Halar et environ, ces journées sont très attendues. À l’approche, des messagers vont dans tous les recoins pour propager la nouvelle. Une aubaine pour les populations qui viennent en même temps faire leur ziaar. Sur place, presque tous les services sont présents : la neurologie, la dermatologie, l’odontologie, la gynécologie, la pédiatrie, avec des volontaires allant des professeurs aux internes. Tous dévoués à la cause. Parfois, ils font même mieux que dans les hôpitaux, grâce au matériel ultramoderne déployé. ‘’Par exemple, avec la radio qui a été mise à notre disposition par le PNT, tout est instantané. On  donne les résultats tout de suite. Même à Fann, ce n’est pas le cas’’, confie un médecin.

En 16 ans, les journées médicales de Halar n’ont eu de cesse de se massifier et de drainer du monde. Ce, malgré l’interruption due à la pandémie. Co-initiateur avec le Chérif décédé en janvier 2021, le Pr. Gallo revient sur les débuts difficiles. ‘’Je me souviens, lors des premières éditions, nous logions dans des écoles. Avec environ 10 matelas pour 40 médecins. J’ai dit aux gars : on s’adapte. Professeur, il manque ceci, je leur dis : on s’adapte. Vous me permettrez de remercier tous ceux qui y ont cru et qui se battent depuis lors pour offrir des soins à ces populations qui en ont vraiment besoin. Certains ferment leurs cabinets pour venir participer à ces journées. C’est énormément de sacrifices, mais on le fait avec le cœur.’’

En 16 ans, c’est aussi beaucoup de belles histoires qui ont marqué le professeur. Heureux d’avoir vu des mariages prendre leur racine à Nimzatt, des étudiants devenir des professeurs et qui l’accompagnent toujours dans cette belle expérience humaine.

Mais, à n’en pas douter, ce qui fait le plus plaisir, c’est de se mettre ensemble au service de la population, d’apaiser ses souffrances. De beaux souvenirs, il en a à gogo. Il raconte : ‘’Il est arrivé qu’on reçoive une femme qui se plaignait de maux de ventre. En lui faisant une radio, on se rend compte qu’elle avait des jumeaux. Je me rappelle également d’un patient qui se tordait de douleurs à l’épaule et qui ne savait quoi faire. Après la radio, on se rend compte que c’est une fracture. Plusieurs fois, on reçoit des gens qui n’arrivent pas à dormir la nuit à cause de problèmes dentaires et qu’on arrive à soulager… C’est vraiment de fabuleuses histoires comme ça qui font qu’on se dit que les sacrifices en valent vraiment la peine.’’ Et comme pour illustrer que la baraka accompagne peut-être leur initiative, il ajoute avec un peu d’humour : ‘’Il y a aussi quatre couples, dont les conjoints ont débuté leur idylle ici. Et j’en ai d’ailleurs un homonyme…’’

Rapprocher les services de santé : le nouveau défi

D’année en année, les journées médicales de Halar ont grandi, suscitant de l’intérêt au-delà de la zone, grâce à l’abnégation de ses initiateurs et de quelques bonnes volontés. Depuis quelques années, certaines entreprises ont rejoint l’initiative, qui avait déjà fait ses preuves. Pour l’une d’entre elles, au-delà de la mise à disposition de moyens financiers, il s’agit d’être aux côtés des spécialistes, de passer la journée avec eux, les encourager.

En 2019, avec la création de la fondation, l’option a été prise de renforcer les moyens. Administratrice de la fondation, Marie Fall déclare : ‘’Ce qui nous marque le plus, c’est la spontanéité des spécialistes, l’engouement, la discipline et la patience des populations qui se retrouvent autour des bivouacs. Comme vous le voyez, l’endroit est un peu éloigné des centres de prise en charge classiques. C’est ce qui explique la ruée des populations, parce qu’elles ont ici des compétences inestimables. C’est vraiment un grand plaisir d’accompagner cette initiative, d’autant plus que la santé est un des piliers fondamentaux de la fondation BHS créée en 2019, après l’éducation et avant la culture. Notre ambition est vraiment d’être à côté de nos communautés.’’

De l’avis de la cheffe de délégation, il faudrait que les entreprises, privées comme publiques, mettent davantage la main à la pâte pour soutenir les initiatives qui ont fait leurs preuves. Marie Fall : ‘’Nous saluons également le fait que les organisateurs, au-delà de ces journées, identifient des cas qui ont besoin de suivi, pour leur offrir des visites dans des structures à Dakar. C’est tout ça qui donne à cette initiative un cachet un peu particulier. Aussi, seize ans, ce n’est pas un jour. Il faut de l’engagement pour tenir. Nous les félicitons et les remercions. Notre devoir est de les encourager pour qu’ils puissent prendre en charge davantage de personnes.’’

L’autre grand défi, lance-t-elle, c’est  de faire en sorte qu’il y ait sur place des cases de santé pour permettre aux populations d’avoir accès en permanence à des professionnels. ‘’Les gens, insiste-t-elle, ne doivent pas attendre un an pour se soigner ; ils doivent disposer de services de proximité’’. Dans ce cadre, le professeur Gallo Diop précisera : ‘’Nous y travaillons avec la BHS et d’autres bonnes volontés. D’ailleurs, de manière symbolique, nous avons posé la première pierre. Nous comptons vraiment le réaliser, parce que les populations en ont grand besoin.’’

MOR AMAR

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