Publié le 18 Mar 2016 - 03:38
SEDHIOU- ASSASSINATS, ATTAQUES A MAIN ARMEE, VOLS…

Depuis 1998, la commune de Niagha vit la peur au ventre

 

La commune de Niagha est le théâtre d’opérations de différentes bandes armées, depuis 1998. En plus des marchandises, des vivres, du bétail emportés par les bandits, de nombreuses personnes ont été tuées. Aujourd’hui, les populations réclament le retour du cantonnement militaire enlevé depuis 2005.

Reportage

Lundi 14 mars 2016. Il est 12 heures. La chaleur qui s’abat sur la commune de Niagha comme une chape de plomb n’est pas de nature à apaiser les cœurs meurtris des habitants confrontés à une recrudescence des violences et des attaques à main armée. Cette localité, distante de la Guinée Bissau de 5 km, est devenue un Far West où la vie ne tient qu’à un fil. Pendant la journée, la commune vit au rythme quotidien des activités de ses habitants. Mais dès le coucher du soleil, la ville devient fantôme. Le silence saisissant n’est troublé que par les cris des oiseaux nocturnes, des insectes et des chiens qui aboient. Car, depuis que les militaires ont quitté les lieux, des bandes lourdement armées, souvent en tenue militaire, y font des incursions nocturnes. D’où la terreur permanente dans laquelle vivent les 12 mille 90 habitants de cette zone. Une farce qui dure… depuis 18 ans.

Le maire : ‘’Comment j’ai su qu’il ne s’agissait pas de militaires’’

Niagha vit au rythme des attaques à main armée, cambriolages, vols à l’arraché, assassinats ciblés et règlements de comptes, pour ne citer que cela. Il ne se passe pas un mois sans qu’une victime ne soit recensée. Dans la nuit du 06 au 07 mars dernier, le domicile du maire de Niagha a été visité par une bande de huit individus fortement armés qui réclamaient la tête de l’élu, Yéro Mballo. « J’étais au village de Sinthiang Aliou, situé à 500 mètres de Niagha, pour assister à un baptême. De retour à Niagha, je suis allé boire du thé chez un ami. C’est de là-bas qu’un jeune est venu me trouver. Il m’a dit que les militaires ont amené un voleur ligoté chez moi et ils me demandent. Je lui ai dit : va leur dire que tu ne m’a pas vu. Parce que je savais que ce ne sont pas les militaires. Qu’il s’agissait d’un stratagème des bandits pour m’atteindre. Parce que les militaires n’ont pas besoin d’amener un voleur dans ma maison », confie Yoro Mballo, maire de Niagha.

Ainsi, malgré les menaces, les membres de sa famille trouvés sur place ont refusé de révéler aux assaillants où se trouvait le maire. Finalement, les bandits se sont contentés d’emporter 235 mille francs, un ordinateur portable, deux téléphones portables, deux clés USB, des documents importants de la commune…. D’où ce cri du cœur de Fodé Diamanka, un enseignant qui vit dans la zone depuis des années : « A Niagha, nous vivons dans la terreur quotidienne, depuis 1998. » 

Des villages fantômes

Pour en avoir le cœur net, EnQuête s’est rendu dans certains villages de ladite commune. Le premier constat là-bas, ce sont les stigmates des affrontements des années 2006, 2007 et 2008 entre l’armée et les éléments supposés appartenir au MFDC. Il s’agit des villages de Sinthiang Diassy, Médina Saradou, Sinthiang Mamadou Lamèle, Sinthiang Woudé, Saré Bory, Sinthiang Kiny, Sinthiang Assé et enfin Sinthiang Bellèle. Les impacts de balles sont visibles sur les bâtiments, quelques outils de guerre gagnés par la rouille sont disséminés partout. Dans ces villages fantômes, le constat est amer. Des maisons en ruine, des routes désertes, des plantations d’anacardes et de manguiers abandonnées. En proie aux mines anti-personnelles, abandonnés par des populations, ces villages sont devenus des repaires de maquisards. C’est le lourd tribut de la crise casamançaise. La traversée de ces contrées donne un pincement au cœur.

De 1998 à nos jours, la commune de Niagha n’a eu de cesse de s’appauvrir. Ses potentialités économiques et humaines, mais aussi ses ressources naturelles, sont anéanties. La tristesse, l’angoisse et la peur habitent les populations rencontrées.

1998, année marquant le début des attaques

« Depuis 1998, la commune de Niagha est devenue le théâtre des opérations des bandits. Les bandes armées ont pillé les boutiques, emporté des vivres, volé du bétail, etc. C’est à cause de ces multiples attaques qu’un cantonnement militaire avait été implanté dans cette localité », explique Yoro Mballo. « Au moment où l’espoir des populations commençait à renaître, le cantonnement militaire a été enlevé, plongeant les populations dans un autre cycle de violences », poursuit Ibrahima Baldé, notable de Niagha.

Ainsi, l’année 2000 restera à jamais gravée dans la mémoire des populations de Niagha. « Cette année-là, nous avons perdu notre directeur d’école, Monsieur Diaité. Un émigré qui venait fraîchement d’arriver a été lui aussi tué par les bandits. Dans la même année, certaines personnes, comme Penda, ont sauté sur des mines. Ses deux jambes ont été amputées. C’est pour vous dire que nous ne sommes pas libres », déclare avec amertume Moussa Ndiaye, un des enseignants de la commune de Niagha.

Les vendredis noirs de Niagha

Une autre date a marqué les esprits. En 2010, lors d’un Gamou organisé à Niagha, qui a vu une forte mobilisation des fidèles notamment, venus de la sous-région, les militaires en patrouille sont tombés dans les filets d’une bande armée supposée appartenir aux rebelles. L’embuscade avait coûté la vie à deux militaires. Les faits s’étaient déroulés dans la zone située entre Sinthiang Téning et Saré Téning. Une forêt classée qui était le lieu de refuge des assaillants.

Trois ans plus tôt, en 2007, une autre tragédie avait frappé les Jambars. Cette année-là, un véhicule transportant des militaires s’était embourbé entre les villages de Saré Dembani et Saré Koundia. Au moment où les militaires s’affairaient autour de leur véhicule, des éléments supposés appartenir aux MFDC ont fait irruption sur les lieux. A l’arme lourde, ils ont fait sept morts du côté des militaires.

« La commune de Niagha a besoin d’un cantonnement militaire pour apaiser les cœurs meurtris par les multiples attaques à main armée. La commune de Niagha a besoin de sécurité », déclare Yoro Mballo. Il n’est pas le seul à réclamer le retour de l’armée. En outre, les habitants invitent l’Etat à déminer les villages abandonnés, afin de sortir la commune de la précarité, en permettant aux populations de retrouver leurs plantations et leurs champs. 

EMMANUEL BOUBA YANGA (SEDHIOU)

 

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