Publié le 15 Mar 2016 - 21:04
SOUTIEN AUX LEADERS POLITIQUES

Quand les artistes battent campagne 

 

Une campagne électorale, on ne la mène pas qu’avec des discours. Il faut bien de l’animation, de la musique pour rythmer les rencontres et processions. Et les politiciens sénégalais ne se contentent pas seulement de faire passer des chansons quand ils peuvent se payer des prestations en live avec des opus sur commande. C’est ainsi que pour ce référendum, le camp du OUI et celui du NON ont tous leurs chanteurs attitrés qui ont composé des mélodies et proposé des textes pour convaincre les Sénégalais. Certains d’entre eux expliquent ici le sens de leur engagement.

 

En plus de leurs alliés naturels, les hommes politiques pêchent souvent chez les artistes pour donner du rythme à leurs campagnes électorales. Au Sénégal, les artistes ont toujours ainsi accompagné les leaders politiques. De Senghor à Abdou Diouf en passant par Abdoulaye Wade et Macky Sall, tous ont un pilier sur lequel s’appuyer chez les acteurs culturels. Yandé Codou Sène, Thione Seck avec son tube ‘’numéro 10’’ en l’honneur d’Abdou Diouf, Alioune Mbaye Nder et Doudou Ndiaye Mbengue, ont tous chanté les différents Présidents du Sénégal. Et même si les engagements diffèrent car certains s’en sont tenus à chanter les louanges de leurs leaders, d’autres ont choisi d’être des politiciens avec des bases bien définies à l’image de Doudou Ndiaye Mbengue. Seulement, quel que soit le degré d’engagement des uns et des autres, ils prennent tous part aux différentes campagnes électorales, soit en composant une chanson, soit en s’affichant aux côtés de leurs leaders dans les meetings. Celle du référendum de ce 20 mars entamée ce week-end ne fait pas exception.

Et la campagne des artistes a commencé bien avant même le coup d’envoi officiel. Ce sont les chanteurs du front du NON ‘’Niani bañ na’’ qui ont donné le la. Kilifeu, Djily Bagdad, Simon et Fou Malade appellent le peuple, dans cette chanson, à voter NON.

‘’Dans ñani bañ na, on explique, sans entrer dans les détails, pourquoi il faut voter NON. Pour dire qu’il faut se concerter avant de se décider à faire certaines choses. On ne peut pas faire un référendum en un mois, c’est impossible. Il ne faut pas se dédire aussi. Nous avons axé le morceau  ñani bañ na’’ sur la gravité du ‘’wax waxati waxeet’’. Pour dire que c’est un combat de principes. Il avait été dit qu’il ne ferait que 5 ans un peu partout au Sénégal et dans les plus grandes instances de ce monde pour revenir nous dire que le Conseil constitutionnel ne le lui autorisait pas, alors que c’était un avis. Aussi, l’article 103 de la Constitution pourrait lui permettre de respecter la Constitution et de respecter la parole donnée. Donc, c’est un peu par rapport à ce principe. Plusieurs Présidents sont venus dans ce pays et à chaque fois, on nous sert du ‘wax waxeet’. 

On ne peut pas habituer les Sénégalais au wax waxeet et cela, à chaque fois. C’est impossible.’’ Ainsi s’est indigné Simon qui explique en même temps le sens de son engagement dans ce combat pour la victoire du NON. Cet engagement du boss de Jolof for life n’étonne pas, lui qui est Y en a marriste, tout comme celui de Xuman. Même si l’auteur de ‘’Lii lumu doon’’ ne s’est jamais engagé dans un mouvement de manière active ou dans un parti politique, il n’a jamais manqué de composer une chanson en de pareilles circonstances. Cette fois-ci, il n’a pas manqué de donner son avis comme à son habitude à travers une chanson. ‘’Déet ak déedéet’’ élucide sur le choix de Gunman Xuman.

‘’Moi, je ne suis ni Ps, ni Pds ou Apr. Je n’ai jamais milité pour un parti politique, j’ai toujours milité pour le parti du peuple. Et dans ‘’Lii lumu doon’’ sorti il y a 5 ans de cela, les mêmes choses que l’on déplorait sont toujours à l’ordre du jour. Quand on élit un homme politique, il oublie tout dès qu’il accède au pouvoir. C’est exactement ces paroles qu’on retrouve dans mes chansons passées.

Je ne vais pas dire que c’est de la prémonition mais dans le passé, il y a toujours eu les mêmes expériences et c’est dire que ce qui est en train de se passer, c’est du déjà vu. Quand je vois que dans la campagne du Oui, il y a toujours des camions où l’on met du vivre et qu’on va distribuer à certaines personnes pour pouvoir acheter leur vote, cela montre qu’on n’a pas changé. On a changé de personnes, mais on n’a pas changé nos manières de faire. Et je trouve cela dommage’’, explique Xuman. Par conséquent, ‘’ce morceau est plutôt un réglage, une mise au point. Pour dire au fait que je ne suis pas acheté, je n’ai jamais été acheté. Les y en a marristes sont des amis, ils ont leurs démarches.

Quand on doit cheminer, on chemine mais n’empêche que quand j’ai envie de sortir un single, je le fais pour dire ce que je pense du pays. Quel que soit le président qui sera élu ou réélu, s’il y a des dérives que l’on constate, je vais toujours prendre ma plume pour dire ce que je pense du pays’’, a déclaré ce membre fondateur du Pee Froiss.  Et pour ce cas précis, voilà ce qu’il en pense : ‘’Le single est pour moi une manière de montrer mon désaccord par rapport à tout ce bruit qu’il y a autour de ce référendum. Et pour moi, le leader est quelqu’un qu’on respecte par rapport à sa parole.

Du moment que notre Président nous a promis qu’il allait réduire le mandat et qu’au final, on se retrouve à différents mandats dans lequel son mandat en cours n’est pas pris en compte, je pense que le référendum n’avait plus lieu  d’être. Aussi, ce n’est pas pour moi un référendum mais juste un vrai sondage par rapport à sa popularité et voir si les Sénégalais l’apprécient. Malheureusement, je me rends compte que le message n’est pas encore passé parce qu’au deuxième jour de campagne, il y a eu déjà des violences. Alors cela signifie qu’à la présidentielle, il y aura plus de violences et c’est ce qui m’attriste vraiment.’’

A côté des musiciens du ‘’NON’’ se distinguent les chanteurs du OUI. Parmi eux, le rappeur Red Black. Célèbre grâce au tube ‘’na dem’’ chanté en 2012 pour réclamer le départ d’Abdoulaye Wade, le rappeur qui s’habille toujours en rouge et noir a sorti une chanson qui n’a pas encore le même succès que ‘’na dem’’ pour appeler le peuple à voter OUI. Même si son auteur est convaincu du contraire. ‘’C’est déjà un morceau qui mobilise, comme d’habitude avec mes autres chansons d’ailleurs. C’est la raison pour laquelle cela fait beaucoup de bruit. Ce n’est pas pour me jeter des fleurs mais c’est l’un des meilleurs morceaux qui ont eu à parler du référendum et l’impact, c’est la mobilisation.

C’est comme du ‘’Jumbo’’ (épices)  dans la cuisson. Cela a créé beaucoup de frustrés, beaucoup de mécontents’’, pense-t-il. Son soutien aux politiciens défendant le OUI, il ne s’en cache pas et l’assume. ‘’’Le peuple sénégalais attendait ma position et donc j’ai chanté le OUI. Ce, parce qu’après avoir lu les 15 points, j’ai vu que c’était l’avantage du Sénégal et des Sénégalais. Et d’autant plus qu’il y en a qui ont fait d’autres tubes pour s’opposer alors que le OUI est le bien du Sénégal. C’est une avancée démocratique. Donc pour nous qui avons toujours combattu pour la démocratie, c’est positif.  Pour gagner un pouvoir, il faut avoir des arguments, une vision, être positif et on ne peut pas gagner un pouvoir par des mensonges. Il est temps que les politiques soient exemplaires, il ne faut pas sacrifier l’intérêt des Sénégalais. Ce qui nous intéresse, c’est le développement du Sénégal. Et puis, que ceux qui sont fâchés contre Macky Sall attendent les élections (ndlr la présidentielle), mais que l’on ne nous prive pas de notre référendum’’, supplie-t-il.

Quel poids a l’engagement politique des artistes ?

Par ailleurs, que cela soit dans le camp du OUI ou du NON, la question que l’on se pose est de savoir si cela peut influencer l’électorat sénégalais. En d’autres termes, les gens votent-ils OUI ou NON parce que leur chanteur préféré le fait ? A voir les réactions sur la toile contre la sortie du leader de Fekke Ma ci Boole par ailleurs lead vocal du Super Etoile, Youssou Ndour, on serait tenté de dire non. Il y a plus de réprobation et d’appels envers le roi du mbalax de faire la différence entre le patron du ‘’Dakar ne dort pas’’, le ‘’Dakar des jet-setteurs’’ que celui du ‘’Dakar des travailleurs’’.

Cependant, le secrétaire général de l’Association des métiers de la musique (AMS) Guissé Pène essaie ici de persuader du contraire. ‘’Avant tout, les artistes sont aussi des citoyens qui ont des sensibilités politiques et qui peuvent de manière infime influer sur des décisions par rapport à leurs admirateurs, leurs familles’’, reste-t-il convaincu. Non sans préciser : ‘’Quand un artiste chante contre la gestion du pouvoir en place, tout le monde l’écoute, tout le monde l’aime. Mais dès que c’est l’effet inverse, c’est-à-dire  quand l’artiste fait les louanges du pouvoir en place ou s’implique dans le gouvernement, cela pose problème’’, analyse-t-il. Même s’il est d’avis que les choses ne devraient pas se passer ainsi, Guissé Pène pense ‘’que les artistes ont aussi le droit de s’exprimer parce qu’ils contribuent à la gestion de la cité’’.

BIGUE BOB ET AMINATA FAYE

 

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