Ces menaces qui pèsent sur le prix du mouton

A quelques jours de la Tabaski, c’est l’inflation presque généralisée dans le marché des aliments de bétail. Le manque de pluie et la surenchère des meuniers sont indexés du doigt par certains acteurs.
Ce n’est certes pas la ‘’famine’’, mais la situation alimentaire du bétail reste préoccupante. A Rufisque, à quelques jours de la Tabaski, c’est l’expectative. En dehors des autochtones, il n’y a presque personne dans ce grand foirail jouxtant la route nationale, à quelques encablures du rond-point communément appelé ‘’Djouti Ba’’. Abdoulaye Ndiaye vient de Colobane. Âgé d’une quarantaine d’années, il est venu acheter un mouton pour les besoins du baptême de son enfant. Mine sévère, jean bleu assorti d’un tee-shirt noir, il avance lentement, tirant sur la corde avec laquelle il tient son mouton au cou. ‘’Je m’en vais chercher un taxi pour rentrer’’, confie-t-il, la voix à peine audible, le regard lointain. L’homme ne semble guère satisfait par le ruminant blanc qu’il vient d’acquérir. ‘’Il est trop cher, s’indigne-t-il courroucé. Je l’ai acheté à 115 mille francs FCFA, parce que je n’avais pas le choix. Le baptême c’est demain (aujourd’hui). Il y a des moutons de 80 000 francs et même en deçà, mais ils sont trop petits. A ce rythme, je crains fort pour la Tabaski !’’
Dans ce foirail, ce n’est pas encore le rush. Pour le moment, les quelques vendeurs et acheteurs se tournent les pouces. Pendant que les seconds se plaignent de la cherté des petits ruminants, les premiers déplorent les prix ‘’insoutenables’’ de la nourriture de bétail. ‘’C’est d’ailleurs pourquoi les ‘’étrangers’’ (les vendeurs qui ne sont pas domiciliés à Rufisque) ne viennent pas tôt. Ils risquent de dépenser beaucoup d’argent avant que les clients ne sortent’’, explique Modou Sène, éleveur, habitant le quartier Lébou de Dangou. Même s’il tente de le nier, souvent, l’arrivée de ces ‘’étrangers’’ bouleverse carrément les plannings de certains autochtones, entraînant parfois une baisse importante du prix des ruminants. Le malheur des vendeurs faisant le bonheur des acheteurs, Abdoulaye Ndiaye, lui, nourrit un mince espoir de vivre la fête avec un peu plus de chance. ‘’Peut-être, dit-il, quand les ‘’étrangers’’ arriveront, les prix seront plus accessibles’’.
Le moins que l’on puisse dire, si l’on en croit Modou Sène, c’est que ce n’est pas demain l’arrivée de ces derniers qui viennent généralement de l’intérieur du Sénégal et des pays voisins comme le Mali et la Mauritanie. Depuis 30 ans, Modou est dans l’élevage. ‘’Plus par passion qu’autre chose’’, s’empresse-t-il de préciser. Mais par les temps qui courent, le marasme est beaucoup plus accentué, selon lui. Le marché est dans une situation de quasi-inflation. Toutes les denrées ou presque sont en hausse : ‘’Le foin, le ripass (aliment de bétail, le niébé, le maïs, le mil, tout’’, regrette le Rufisquois. Mais à n’en pas douter, le foin et le ‘’ripass’’ préoccupent plus. ‘’Rien que le sac de foin coûte 6 500 francs contre 2 500 et 3 500 l’année dernière à la même époque. Le ‘’ripass’’, n’en parlons même pas. Il est entre 9 500 et 10 500 francs contre 6 000 et 7 500 francs l’année dernière. Même le mil et le niébé ne sont pas épargnés’’, indique-t-il.
C’est d’ailleurs pourquoi, se justifie Monsieur Sène, les prix des moutons sont exorbitants. Assis sous une petite tente, contemplant ses bêtes et devisant tranquillement avec des amis, il déclare : ‘’Les acheteurs nous accusent souvent à tort. Nous ne vendons pas cher exprès. On ne gagne rien dans l’élevage. On dépense plus que ce que l’on gagne’’. Selon lui, il faut s’attendre à ce que le mouton soit encore plus cher dans les jours à venir, ‘’sauf si le ministre de l’Elevage prend les devants comme les années précédentes’’. Au banc des accusés, il y a les Grand Moulins, NMA Sanders et FKS qui sont, selon un vendeur d’aliments de bétail, responsables de la cherté de cette nourriture pour animal. Le vendeur explique qu’il est difficile de trouver du ripass dans ces différentes entreprises.
Quant à Modou Sène, il estime que tout ça, c’est à cause de l’hivernage qui n’est pas encore fameuse. ‘’Autrefois, on pouvait se rabattre sur l’herbe mais cette année, il n’y en a presque pas’’, regrette-t-il. Né en 1986, Modou Lo est, lui, apprenti d’un camion qui va dans les profondeurs du Sénégal pour acheter du foin à écouler à Dakar. Assis sur un banc à côté du camion du 10 tonnes, il explique que cela fait quelques jours qu’il n’est pas reparti dans la brousse pour acheter de la marchandise. Pourquoi ? Il explique : ‘’Il n’y en a pas. Il y a des gens qui sont sur les lieux et qui cherchent le produit. Quand ils en trouvent, ils nous informent et nous embarquons.
Lors de notre dernier voyage, c’était à Sokone, nous avions acheté à 3 500 francs le sac et l’avons vendu à 5 000 francs aux détaillants’’. Khadim Mbengue est revendeur. Selon lui, leurs chiffres d’affaires ont baissé du fait du manque de foin. La trentaine, bonnet noir sur la tête, il affirme : ‘’La situation est très difficile. Les clients croient que c'est à notre niveau. Alors que ce n’est pas le cas. Ceux qui vendent le foin en campagne, ils sont en même temps des éleveurs. Puisqu’il n’y a pas d’herbe, ils préfèrent d’abord préserver le peu qu’ils ont pour leurs bêtes.’’
MOR AMAR