Publié le 26 Jun 2016 - 18:15
LIBERATION NOCTURNE ET EXIL EN CATIMINI

Questions autour d’une nébuleuse

 

A la Grande Bretagne le ‘’Brexit’’, au Sénégal le ‘’Karimexit’’. A l’heure même où la sortie de ce royaume de l’Union européenne se précisait, celle de Karim Wade de Rebeuss s’opérait aussi. Et comme de l’autre côté de l’Atlantique, les questions fusent à propos de cette libération de Wade fils. A-t-il demandé une grâce ? Pourquoi un ‘’exil’’ au Qatar ou ailleurs ? Quel est son avenir politique ? Depuis quand a-t-on recouvré 50 milliards ? Combien la traque a coûté ? Mille et une questions…sans réponse !

 

Il est donc libre Karim Wade ! Il a même quitté le territoire national à 3h du matin, dans la nuit du jeudi au vendredi, à bord de l’avion privé du procureur général du Qatar qui est venu  chercher le prince à Dakar. Direction ? Ce ‘’petit émirat du Golfe’’, disent certains. D’autres avancent que c’est plutôt Paris. Il y en a même qui indiquent qu’il est allé en Arabie Saoudite pour une Oumra ! Qu’importe ! Ça ne change rien aux conditions brumeuses de sa libération et surtout sur le choix du moment. Le pied de nez au peuple est d’autant plus flagrant que la libération a eu lieu le jour du 23 juin, c'est-à-dire l’anniversaire de la journée pendant laquelle le Sénégal tout entier s’était mobilisé devant l’Assemblée nationale pour rejeter en bloc le projet phare de Me Wade : la marche de son fils  Karim vers le Palais.

Au-delà de la symbolique de la date, reste à savoir comment cette libération est intervenue. Karim Wade a-t-il demandé la grâce ? Par le biais de qui ? Ou alors est-ce le président de la République qui la lui a offerte sur un plateau d’argent. Par la voix du responsable libéral à Bambey, Aïda Mbodj, le désormais ex-plus célèbre prisonnier du Sénégal avait écarté, en août 2015, toute idée de grâce présidentielle. “Karim Wade ne veut pas d’une grâce présidentielle, mais de justice. Il m’a clairement dit : “Je ne veux pas de grâce, mais d’une justice transparente. Oumar Sarr était présent quand Karim Wade faisait cette déclaration. C’était lors d’une visite à la Maison d’arrêt de Rebeuss”, affirmait-elle.

Le ton était trop catégorique pour laisser place au doute. En plus, Oumar Sarr n’a jamais démenti cette allégation. On est donc porté à croire que c’est plausible. D’autant plus qu’après elle, plusieurs autres responsables ainsi que les avocats de Karim ont écarté d’office cette hypothèse. On se rappelle encore que le Pds s’était farouchement opposé à tout deal qui porterait sur l’avenir politique de Karim. Pas question de compromettre ses ambitions au profit d’une quelconque liberté. Aujourd’hui, il quitte le pays sans qu’on ne sache pourquoi ? En accord avec qui ? Reviendra-t-il ? Quand et dans quelles conditions ? Qu’en est-il de son avenir politique ? Silence absolu ! Il devient alors légitime de se demander ce qui s’est passé entre-temps pour que Karim demande une grâce, ou qu’il l’accepte.

Autre élément, une sortie de prison qui intervient à 1h 30 mn du matin pour que le détenu Karim file à l’anglaise dans la nuit. Plus rapide que la sortie de la Grand Bretagne de l’Union européenne. Il y a de quoi se poser des questions sur ce qu’Idrissa Seck a qualifié de deal sur le dos du peuple, il y a juste quelques semaines. Interrogé sur ce sujet, le ministre de la justice a servi une réponse des plus laconiques. ‘’Quand un décret de grâce présidentielle est pris, tout est mis en œuvre pour qu’il soit exécuté le plus rapidement possible, même tard dans la nuit’’, a  expliqué le Garde des Sceaux. Si jamais on avait la possibilité de voir à quelle heure les 7 000 et autres graciés ont quitté la prison, on se rendrait compte qu’aucun parmi eux n’a été libéré au milieu de la nuit, avec toutes les conditions réunies pour que le peuple qui préparait déjà une nouvelle journée de pénitence ne soit pas informé.

Questions sur les fonds recouvrés ou dépensés

Il s’y ajoute que c’est le procureur général de Qatar qui est venu le chercher jusqu’à Dakar. On ne peut pas manquer de s’étonner. Un procureur général d’un pays de l’Orient qui fait le déplacement au Sénégal avec un avion privé pour ramener un détenu. Certes, on savait que Wade fils avait pu se faire de solides entrées dans les monarchies du Golfe, du temps où il était le ministre de la Coopération internationale, de l’Energie, Transport aérien, des Infrastructures…bref, lorsqu’il était ministre du ciel et de la terre. On savait aussi que le Qatar avait déployé toutes ses forces pour le faire libérer. Mais de là à imaginer qu’un procureur serait envoyé  à sa recherche...

C’aurait été le procureur général d’un pays occidental, la France notamment, on aurait parlé encore de Françafrique, de néocolonialisme, de condescendance. Et comme si c’était totalement anodin, le Garde des Sceaux, Sidika Kaba, en conférence de presse hier, s’est exprimé en ces termes : ‘’Une fois gracié, Karim Wade est libre d’aller où il veut, au Sénégal ou ailleurs. Si vous voulez savoir où il se trouve, allez lui poser la question.’’

Plus de possibilité pour dissimuler l’argent

Autre aspect, le recouvrement des fonds subtilisés. Dans le communiqué envoyé hier, la Présidence indique que ‘’les sanctions financières contenues dans la décision de justice du 23 mars 2015 et la procédure de recouvrement déjà engagée demeurent’’. Autrement dit, la traque ne s’arrête pas. Or, il y a deux ans qu’on s’acharne à faire croire que la justice va se poursuivre, mais au-delà des affirmations, rien n’a été fait. Au contraire, une décision vient confirmer ce que tout le monde redoutait. Et pour tenter de rassurer un tant soit peu, M. Kaba révèle que 50 milliards ont été recouvrés. Quand et où le Sénégal a-t-il récupéré cet argent ? On ne sait pas ! Quelle est l’utilisation qui en a été faite ?

Et pendant que M. Kaba donnait la somme recouvrée, il oubliait de partager avec les Sénégalais la somme dépensée dans le cadre des traques. On ne sait pas si ce qui est retrouvé est inférieur ou supérieur à ce qui a été dépensé. Autrement dit, comme disait Cheikh Hamidou Kane, ce que nous gagnons vaut-il ce que nous perdons ? Une question qui mérite d’être posée, surtout si l’on sait que, pendant plus de trois ans, le gouvernement du Sénégal a eu du mal à dénicher l’argent planqué par Wade fils, selon la Crei, bien que ce dernier ait été en prison. Maintenant qu’il est libre et qu’il est capable d’opérer des mouvements sur ses comptes, peut-on encore espérer retrouver de l’argent ? Autant de questions qui n’auront pas de réponse avec un Karim Wade qui s’est exilé à la première heure de sa libération. Encore moins avec un gouvernement qui a décidé de couvrir cette affaire d’une nuit noire…à 1h du matin !  

BABACAR WILLANE

Section: 
PUBLICATION DES RAPPORTS D’EXÉCUTION BUDGÉTAIRE : Diomaye et Sonko font pire que Sall
VOITURE DES DÉPUTÉS À 54 MILLIONS F CFA : La fracture morale
VISITE DE SONKO À PÉKIN : Une diplomatie économique au service de la souveraineté
LIBÉRATION DES DÉTENUS, HAUTE COUR DE JUSTICE, LIBERTÉ DE LA PRESSE : Ces mesures fortes attendues par l'opposition républicaine
FIN DIALOGUE NATIONAL : Mi-figue mi-raisin
SITUATION PARTI SOCIALISTE : Les responsables de Dakar appellent à la réunification
JET PRIVÉ DU PM : Entre fantasmes et réalité
DIALOGUE NATIONAL AU SÉNÉGAL : Incertitudes autour du statut du chef de l’opposition
POURSUITE DES TRAVAUX DU PORT DE NDAYANE : Plus de 480 milliards F CFA  investis  en 2025
POUR LA LIBÉRATION DE MANSOUR FAYE : La Cojer départementale de Ndar  se mobilise
MANQUE D’EAU À NDIOSMONE-PALMARIN : Les populations marchent contre la Se’o
MACKY SALL DANS LA COURSE POUR L'ONU : Ambition personnelle ou défi diplomatique africain ?
APR ET GSB PRENNENT LE CONTRE-PIED DU POUVOIR : Le dialogue parallèle des opposants
SÉNÉGAL BINU BOKK : La nouvelle voie politique de Barthélemy Dias
SYSTÈME POLITIQUE : Le dialogue de la réconciliation 
FICHIER ÉLECTORAL : Les limites de l'inscription automatique 
Dialogue national/ PDS
DIALOGUE NATIONAL DU 28 MAI PROCHAIN : Taxawu Sénégal y sera, Gueum Sa Bopp encore indécis
GOUVERNANCE ET TRANSPARENCE PUBLIQUE : Le Forum civil exige plus d’inclusion et de redevabilité de l’État
KAYES SOUS LE FEU : L’alarmante recrudescence des attaques terroristes à la frontière du Sénégal